Jean Tardieu |
Sur l'eau pas encore séparée de la nuit d'abord se forma peu à peu le rassemblement des rumeurs qui au fur et à mesure de l'insertion de l'aube entre les éléments s'animèrent en un profond et large buisson de clartés frissonnantes et si dans un sens ou dans 1 autre longtemps hésita le passage de l'ouïe au regard ce n'est pas que l'on eût la peur ni la souffrance d'un subit éblouissement ni le désir de mieux entendre ni le besoin de fermer les paupières pour mieux posséder en soi-même les multiples reflets du dehors mais bien pour assouvir dans la lumière la souveraine joie de créer l'être jamais vu capable enfin d'osciller entre deux mondes oui je dis bien oui cet unique oui ce double animal amphibie attiré tout autant par le retour au flux natal que par l'espoir de vaincre à la surface de l'air frais la pesanteur fardeau insupportable (pourtant la seule preuve) et quand je vins plus près déjà la narine éveillée à l'embrun à la senteur salubre du varech c'est là c'est bien là c'est alors c'est là que le choc m'atteignit en plein ventre d'une palpitation de bras et de seins puis de cuisses de reins et de croupes par les lueurs par l'ombre et par l'ambre à la pleine faveur des volumes haussés puis offerts quand tout à coup le rire à nouveau (autant de criailleries de mouettes s'envolant) parut désigner l'oblique plan d'intersection ombre vallon forêt où puisse à l'infini d'une houle soulevée de temps forts et temps faibles cris de gorge et soupirs se porter aux abords puis au fond le désir assouvi renaissant cependant qu'à la cime des chênes à mille bras eux aussi condamnés refluait la renaissante aurore sans cesse dans la vague tour à tour plongée et retirée tordue et secouée pour enfin renverser dans le songe et dans la paix autant de formes ici au superbe tourment de survivre soumises sans aucun effroi ni péché ni regrets ni envie pas plus que n'est menacé de je ne sais quel immémorial tourment le plaisir de l'or des rayons glissés dans la confidence heureuse des sous-bois pas plus que n'est caché à l'oil montant du jour l'amoncellement des oiseaux migrateurs sur les terrasses des falaises ni le hurrah du triomphe dans le stade bien au-dessus de ce petit personnage seul en bas qui s'évertue et atteint la limite à bout de souffle comme moi. |
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Jean Tardieu (1903 - 1995) |
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Portrait de Jean Tardieu | |||||||||
Biographie / OuvresNé en 1903 à Samt-Gerrnain-de-Joux (Jura), d'un père peintre (Victor Tardieu. 1870-1937) et dune mère musicienne. Étude.a Paris : Ivcée Condorcet. puis Sorbonne. Suit, dès 1923. les > Entretiens d'été » de Pontigny, où ses premiers écrits poétiques sont remarqués par Paul Desjardins, André Gide, Roger Martin du Gard. Premiers poèmes publiés par Jean Paulhan. en 1927. dans La Nouvelle Revue |
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