Jean Tardieu |
Offerte à la nuit qui de toutes parts nous déborde et envahit le jour lui-même à cette nuit qui nous dessine et nous allonge ici toute chose se tient debout sur son ombre entre un envol toujours futur toujours déçu et la chute vertigineuse ici c'est ici que les solitaires qui se cherchent les peuples déchirés les astres volant en éclats se rejoignent et se passent le mot sans le comprendre ici sur le seuil de ce temple au fronton écroulé autrefois résonnant de conseils aujourd'hui plus éloquent encore d'être muet nous savons qu'il n'y a rien à connaître sinon l'enchaînement fatal des questions lancées à tous les murs d'où ne revient que leur écho et que tout est à redouter des ruses de l'espace car ce triomphe à l'horizon étincelant ce gage l'espérance enfoui dès l'origine au fond de notre espèce n'est plus qu'un vaste oubli d'or et de feu où les poussières de la vie et de la mort pareilles aux nombres-tourbillons dans le creuset des machines géantes ont enfin démasqué cet ordre illusoire ce séjour inutile et superbe sans raison condamné à retourner toujours et toujours sur lui-même cendre et brasier fuite et fureur comme une phrase ressassée. HENNISSEMENT DE L'INCONNU Cependant que s'obscurcissent et se mélangent à qui mieux mieux l'erreur le vrai le songe et la raison dans le grenier des accessoires hors d usage el de sens démentiel désordre le hasard implacable prend place et s'impose partout amplement fourni (selon le déroulement d'une suite sans logique et sans freiN) de mouvements opposés variables et insensibles qui ne se peuvent traduire qu'en termes de douleur car il est devenu évident que l'aigle et sa proie font de leur couple horrible et de leur inséparable agonie la seule clé pour nos mains talonnantes d'aveugles et la seule mesure possible de ce qui comble à tout casser ce lieu sans lieu ce dôme autrefois transparent mais qui pour jamais s'est voilé de conjectures furibondes ce ciel sonore et infaillible ce recours cet abri peuplé de protecteurs de démons et d'oracles figures familières jouant leur rôle et portant leur nom même insulté veilleurs toujours reconnaissables et toujours prêts à nous défendre aux frontières sauvages où piaffe où hurle où hennit l'imprévisible l'inconnu. LES VOLETS Pendus aux murs de la maison comme feuilles aux branches mobiles mais tenus comme les feuilles au grand marronnier de la place par une matinée tournante incertaine triste et joyeuse d'orage et d'éclaircies les volets les uns ouverts les autres clos ou bien les mêmes tour à tour le vent les ouvre et les rabat comme autant d'oreilles de lapins famille de lapins famille de volets poursuivis immobiles par le vent qui va-vient par le soleil qui s'endort dans un nuage et se réveille dans un courant d'air le bruit des oreilles de bois de lapins toujours battant les volets de la maison jamais lassés d'indiquer l'heure qui s'ouvre et l'heure qui se ferme la présence ou l'absence des habitants de la maison le temps qu'il fait le temps qui passe qui toujours va qui toujours vient toujours revient sinon pour nous qui partirons mais pour tous ceux qui reviendront. UN REGARD POUR UN SOUFFLE Tombé soudain là sous mes pas du plus lointain de cet espace et de ce temps coalisés pour nous confondre ce faible souffle sur le sol entre le mur et le buisson me fait trembler d'effroi de joie de gratitude et de vertige car il contient mais inversée la même charge sans mesure que mon regard lorsque l'été lorsque la nuit droit vers le ciel s'élance et plane vidé de poids et de pensée mon esprit simple et démuni qui ne croit rien que ce qu'il touche et se sent proche des points d'or disséminés ici et là même de l'astre le plus pâle et le plus seul à peine vu ni reconnu sur le gravier et pas à pas franchi le seuil où rien n'est plus qui nous réponde je m'aventure hors de moi-même vers ma fin sans adresser à tant d'énigmes torturantes à ce soleil à cet amour qui m'ont fait naître et m'ont fait vivre à ces splendeurs qui vont s'éteindre à ces horreurs qui vont cesser à cet espoir qui va dormir à toute main que j'ai serrée à toute lèvre que j'ai bue aucun reproche ni regret car la souffrance est dépassée car la mémoire est en deçà du pur instant du seul regard navigateur qui ma quitté pour le voyage sans retour. |
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Jean Tardieu (1903 - 1995) |
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Portrait de Jean Tardieu | |||||||||
Biographie / OuvresNé en 1903 à Samt-Gerrnain-de-Joux (Jura), d'un père peintre (Victor Tardieu. 1870-1937) et dune mère musicienne. Étude.a Paris : Ivcée Condorcet. puis Sorbonne. Suit, dès 1923. les > Entretiens d'été » de Pontigny, où ses premiers écrits poétiques sont remarqués par Paul Desjardins, André Gide, Roger Martin du Gard. Premiers poèmes publiés par Jean Paulhan. en 1927. dans La Nouvelle Revue |
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