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Jean-Philippe Salabreuil

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Poésie de Jean-Philippe Salabreuil


Poésie / Poémes d'Jean-Philippe Salabreuil





A la mi-temps des années soixante, une loi très ancienne se vérifia une fois encore, lorsqu'un jeune homme de vingt-quatre ans publia le premier de ses trois livres de poèmes, la Liberté des feuilles. Une loi qui veut que l'on n'écrive vrai que lorsque l'on est soi-même, et d'abord dans l'imitation de ses maîtres. Parce que ceux-là sont l'autre famille, élue, avant d'être, elle aussi, tenue en lisière par la nécessité d'affirmation. D'où le mot de Jean Cocteau, assurant que le poète ne chante juste que dans son arbre généalogique. Salabreuil l'inconnu afficha la sienne avec une naïve audace. Eût-il nourri des doutes, ou des craintes, sur une parenté douteuse ou méprisable au regard de quelques jobards, l'oracle de l'époque l'aurait aussitôt dissuadé de se trahir. C'était Jean Pauihan, dont les conseils passaient pour obliques (mais n'espérons jamais de la lumière ex cathedra de midi qu'elle fasse voir les valeurs et les ombreS). Villon et Théophile, Supervielle et Du Perron se répondent dans ce premier livre, orchestration grave, claire, et joueuse jusqu'au baroque d'un enchantement de vivre.

On ne peut être moderne sans avoir été classique ; l'inverse reste moins sûr. Le trop bref passage de Salabreuil parmi nous témoigne de ce combat que tout artiste doit mener au-delà de ses refus. Il n'y a pas de création sans dépassement de soi, donc de ses certitudes. Le commerce des classiques demeure la plus efficace des meules pour affûter ses dons, éprouver ses limites. Et, plus communément qu'on ne le croit, ce commerce-là suscite autant l'irrespect qu'il soutient l'audace dès lors que l'on conçoit la création comme un acte de passion. Comme tout amour, écrire dépossède. Dans le premier de ses livres, Salabreuil avoue ses attachements et se fait nu dans l'habit de ceux qu'il aime ou sous leur masque, conjurant les « âmes » de son passé de ne plus émouvoir le silence, la mémoire, et l'avenir même :



Ne m'oubliez jamais n'en parlez pas à d'autres



- en fermant la porte sur l'adolescence et ses heures d'angoisse, une espèce de vertige pascalien au bord du mysticisme. De par son titre même, hémistiche emprunté à René-Guy Cadou (Oui mais l'odeur des lys ! la liberté des feuilles !), le recueil que publie Georges Lambrichs dans la collection qu'il dirige chez Gallimard dit une délivrance. Mais c'est en même temps le renoncement aux acquis visibles, reconnaissables, et l'une de ces célébrations que la création sait rendre à ce qui la précède, et qui magnifie le parcours du temps.



La connaissance naît et se développe dans l'arbre imprévisible et capricieux de nos affinités - cette généalogie que le hasard nous forge. Mais le savoir et le doute, ces versants gémeaux du faire, de l'écriture (Salabreuil détestait le terme de littératurE), qui les gouverne, les incline, leur imprime mouvement ou rétention, les aliène ou les provoque ? Eux surgissent de l'acte seul, de l'agir, par une sorte de constitution en cercle du faire, du doute et du savoir. Cela est si vrai que l'ouvre ne peut naître, parfois, que de l'acte par lequel elle se nie : c'est l'exemple fameux du Journal d'Amiel. Célébrant le cardinal Du Perron, poète familier de Henri III et de Henri IV, dans sa retraite de la cour « au bord tristement doux des eaux », le poète Salabreuil, qui a vingt-trois ans, comme conscient déjà du profond déchirement d'écrire, nous laisse entendre (s'appropriE) une réelle douleur (metA) physique - parturition de l'échec et de l'oubli :



Il écorchait sa gorge mot à mot comme un puits

Qui pierre à pierre en lui-même s'écroule

Il parlait au silence et j'entends aujourd'hui

Grincer le char anfractueux de ses graves paroles



La Liberté des feuilles apparaît en librairie en février 1964 ; le 1" novembre suivant, son auteur observe que « la poésie (l'écriture plutôT) doit être grave en tant que geste comme en tant que timbre. Grave à la manière d'une maladie sans doute » '. Il savait quel était l'enjeu, et en pressentait le prix. Car sous le charme du premier livre règne l'existence, et sous les jeux la mise en question. Le 14 avril 1965, de cette campagne de l'Yonne où il aimait se ressourcer, comme l'on dit aujourd'hui, il écrivait, à propos d'un essai de « commentaire » sur son travail ', cène phrase d'une irréprochable et lumineuse rectitude : « la continuité du tout n'est pas le fruit d'une recherche mais le reflet d'un destin » '. Maudit, certainement pas ; tragique, oui.



Lorsque parut la Liberté des feuilles, le grand bureau de la Nouvelle Revue française, où siègent Dominique Aury, Marcel Arland et Jean Paulhan, est un havre au-dessus duquel brillaient, quelque peu inaccessibles, Char, Michaux et Perse. Il arrivait qu'on les croisât, aérolithes ou astres à nos yeux, perdus dans un couloir. Plus aisément familiers Frénaud, Tardieu, Follain ou Guillevic. Ce havre était un carrefour. Jean-Philippe Salabreuil y rencontra les générations et les ouvres. lesquelles avaient ensemble peu à voir, semblait-il, avec ce que lui-même écrivait. Ses paysages et modèles demandaient qu'on reculât le chevalet, bien au-delà de Supervielle, dont on croit pourtant deviner la longue silhouette à l'angle de la Léproserie d'étoiles :



On vous demandera pardon avec plein de pervenches

Je me suis donc vêtu de ma très pauvre peau

C'est tout ce que je mets entre le monde et moi...



L'un des mérites de ce lieu feutré, où se cultivait une sorte de démonologie monastique avisée, riche en dictâmes contre les diableries de la mode, demeurait l'ouverture au talent sans souci d'école. La poésie y était volontiers honorée dans sa diversité, donc librement. Plus que la recherche, c'est l'ouvre qui était prise en compte. A rebours de ce qui se passait ailleurs, là où la littérature devenait objet de laboratoire. Des poètes assez secrets, tels Yves Bonnefoy et René-Louis des Forêts, reconnus et célébrés par la Revue, furent peut-être parmi les aînés annonciateurs de l'ouvre en cours de Salabreuil, l'ultime relais sur la voie qu'il commençait de tracer dans la blancheur, le sang et la ténèbre. Il semble bien, le temps passant, qu'il y ait là une parenté dans le timbre, le retrait, le pur effroi.



Peu d'influence subie ou cherchée en fait chez ceux qu'il côtoie : à l'époque (1964-1965), si Michel Deguy signe son troisième titre, Ouï-dire, n'oublions pas que Jacques Réda n'est pas sorti encore d'un long silence ; ni Jude Stefan, ni Jacques Roubaud n'ont, à cette date, rien publié, du moins aux Editions Gallimard ; Jean Pérol est absent ; et le lent basculement vers une génération nouvelle - celle des poètes nés autour de 1930 - ne sera sensible que vers la fin de la décennie. Salabreuil, alors, disparaîtra.

Un sommeil rouge nous a pris. Nous dormirons dans de lointaines chambres séparées dont les cloisons furent bâties d'argile et de sapin. Ce soir le nombre des étoiles dans tes yeux me manque. (On entend l'effraie tournoyer dans d'immenses branchages.)



Fragment, tel un adieu prémonitoire, de l'Inespéré, publié en avril 1969. Lecteur attentif, le critique - et poète trop oublié - René Lacôte, écrivait aussitôt dans les Lettres françaises : « je pense qu'il ne tardera pas à rejeter ce qu'aujourd'hui il nous propose. C'est donc à son extraordinaire tempérament lyrique que je m'attache dans l'actuel cheminement où de décevantes rhétoriques me laissent sans inquiétude ». Tout renouvellement implique des dérives : celles du doute, et de l'incertitude. Elles relèvent de ce que le jeune poète aurait pu nommer la mue de l'écriture. A partir de son deuxième livre, Juste retour d'abîme, la prose - le poème en prose, pour être précis -, balançait les longues laisses de vers à tendance élégiaque. Si l'on excepte le surgissement de cette nappe de proses toujours très denses, c'est surtout l'aisance des rythmes qui étonne le lecteur, ces cadences habiles sans l'être trop, savantes avec une apparente désinvolture dont on s'enchante dans la Liberté des feuilles. Un abandon progressif du chant reconnaissable comme tel pourrait être décelé dans l'Inespéré, le vers se voulant parfois plus oraculaire, le cours plus opaque. Plus chargé de sens (en jouant sur l'une et l'autre acception du termE). Et ce jeu-là se fait plus tendu, comme plus lourd de conséquences et d'engagements. L'intention reste la plaie des ouvres, quand elle ne les paralyse pas avant de naître. Mais le courant lyrique était chez Jean-Philippe Salabreuil assez puissant pour soumettre le vouloir - c'est-à-dire l'intention rhétorique.



Il était parfaitement conscient que la poésie française était en crise. A dire vrai, elle élevait des décombres au lieu de relever des défis ; elle allait se perdre aux lisières des terrains vagues de l'approximation, ou se dessécher dans le champ du minimalisme. Il écrivait avoir pressenti que « le langage, actuellement, se trouvait terriblement menacé (...) de mensonge, d'échec » '. Mais il ajoutait, dans cette même lettre ' datée 12 janvier 1970 : «... je crois que l'écriture pleine peut encore exister, existera toujours ». C'est-à-dire une parole plurielle en accord avec son expression formelle. Chargée de sens, « forte d'une conviction intense » *, tendue vers toujours plus d'exigence, mais aussi audible à celui qui écoute. Pour autant que nous puissions en juger à partir de l'ouvre écrite, sa voie allait vers le lyrisme retrouvé, à coup sûr moins proche du baroque rocailleux et savoureux d'un Frénaud que des résonances élégiaques de Bonnefoy. Si nous pouvons le supposer, c'est bien que les trois ouvrages parus, et que les inédits dont nous disposons le placent, au terme de son si bref parcours, dans cette perspective. Ce qui nous reconduit au premier livre, la Liberté des feuilles.



Les audaces non préméditées sont les plus belles, et leur lumière plus pérenne. Ecrire pour être au plus près de soi n'est pas si simple, lorsque l'adolescence demeure si proche, toutes portes ouvertes à la vie qui s'offre. Riche de promesses profanes, bien évidemment ; mais aussi, pour celui qui va bientôt signer Jean-Philippe Salabreuil, éclairée de solitude. Le silence convient à la connaissance. De soi, d'abord. Pour mesurer les disponibilités de l'eue, et tendre vers son resserrement sur l'essentiel. Concilier si possible le monde du vécu et Tailleurs. Vivre de part et d'autre de la nuit. Dès le troisième poème de la Liberté des feuilles le jeune écrivain se meut dans une transparence dont il possède d'emblée le privilège :



Vous me croyez vivant

Je laisse mes yeux ouverts

(...)

Je suis là je murmure

Et ces mots vous comprennent

Comme comprend le vent

(...)

Mais moi je suis ailleurs

Je ne suis pas vivant

Je suis mort et transi

Je ne suis pas d'ici...



La faille est pour lui originelle qui sépare le commun réel (dont il ne s'exclut paS) de cette « autre nuit » où il erre, nous parle encore, avec cette même fabulation, ce même charme apparemment si naturel qui appartenait à Supervielle ou à Tardieu, et sait nous faire, par une sereine illumination, complice ou compagnon de l'arbre, du chien ou de l'étoile - ou visiteur angoissé du fleuve caché qui nous traverse et déjà nous emporte. Comment pouvoir être déjà de l'autre côté du fleuve et raison garder ? L'écriture, et particulièrement la poésie, c'est le verbe en-allé sur le fil, la crête des deux versants du temps, ou le courant médian du fleuve. Exercice de passage :



Pour les choses de ce monde

Revenez un autre jour

Le ciel aboie sur un banc jaune

Asseyez-vous caressez-le.



Le moment du poème permet le passage, l'interférence, l'osmose des mondes et des temps. Ecrire, après tout, n'est-ce pas cet éternel retour à ce que l'on vient de quitter, et vers quoi le poète revient toujours, boitant, selon la blessure ancienne ou la blessure fraîche, plus ou moins bas ?



Je cherche et je ne suis

Pas vraiment du pays

Je pèse et je ne puis

Sur la terre marcher



Il vivait cela comme des intermittences de l'eue, et il lui est arrivé de confier, non sans retenue, ses crises d'incertitudes douloureuses. Il en souffrait d'autant plus qu'elles affectaient non seulement le vécu, mais le combat avec l'écriture. Mettre en question l'efficace de son travail est une lancinante astreinte, mais ce peut, ce doit être aussi une sauvegarde, sinon une réelle ligne de force. Je l'ai dit, il n'y a, sous le charme de ce premier recueil, aucun abandon de mauvais aloi. Simplement, l'enjeu s'y montre léger d'apparence. C'est la grâce du matin que de dire sur un mode mineur des chansons graves. Chessex ne faisait pas erreur, notant : « Sous ses allures de jeune chien joueur, ce garçon-là cache une âme errante et lointaine », ajoutant : « Une certaine transparence, aussi, difficile à trouver, puis à retenir, puis à traduire, mais qui doucement luit (...) comme le fond même de l'instant. » '



Dirais-je qu'il s'agit d'une transparence franciscaine ? Il y a de l'interlocuteur des oiseaux chez Salabreuil, en même temps que les ombres d'un frère novice de Villon, qu'émeuvent les heures et l'amour de l'amour.



Et si la sauvegarde et si le très beau corps

Bien sûr ne sont rien d'autre que gratnen et squelette

Tout de même tout de même on aurait bien envie

Que parfois le soleil éclate à nos pommettes !

Ayez Seigneur pitié de nous



Ecrire le passage de l'ombre à la lumière, de ce monde à l'autre. Jusqu'au dernier livre nous sommes les témoins du retour de Salabreuil d'une rive à l'autre rive, d'un espace « blanc » à un dieu « noir », de la nuit à la neige, comme s'il était toujours à l'aube d'



(un grand réveil amer

Mais lentement l'être s'éclaire et suave lève

Son aile sur l'amour et monte vers toI)

Ce sera l'éclairement là-haut de la foi

Guerrière et qui fut triomphale ou bien l'ange

Extasié jailli d'elle et de moi me prend

Nous unit te blanchit de la mort et je comprends

A travers toi les noires voix d'un monde étrange. "



Peu à peu, l'appel « franciscain » se colore d'une pourpre. La vie, et non plus l'ouvre seule, se fait l'intercesseur d'une renaissance. Le « noir » du cri, la solitude pure, acceptent un autre passage, qui est celui de la passion. Est-ce le hasard si, dans l'Inespéré, au poème cité ci-dessus succède celui-ci, Au corps perdu de la beauté ? Ange et femme deviennent les passeurs de l'âme et de la joie, figures idéelles depuis la Liberté des feuilles, où leur présence cependant ne laisse pas d'être plus convenue, tracée en filigrane, pour, plusieurs fois, ne tenir qu'un emploi d'hommage aux poètes aimés (ainsi de Clara pour saluer Francis Jammes ?). La femme pour autant « n'épuise pas le désir », puisqu'il s'agit enfin d'absolu : apparaîtra Dana, anagramme aisément déchiffrable de « na-da ». Echec et tragique prévus, consentis ? De ces données essentielles au baroque, à quoi il relie avec raison la poétique de Saiabreuil, Jean Roudaut propose cette leçon : « Il redoute ce qui devrait le sauver, fuit ce à quoi il aspire, se trouve "coupable de l'éternité de la mort" (l'amour de la blancheur ne va pas sans terreuR). Ce que la vie ne peut, le livre le tentera : perpétuer l'apparition. L'écriture et la femme ont des rôles complémentaires : l'une naît de l'effacement de l'autre, l'une rend possible le retour de l'autre. » '

L'échec - la mort sans doute -, ne serait dès lors qu'une étape, une station sur la voie de Dieu. Ou, de livre en livre, la voie de la mémoire.



Du chemin de crête sur lequel il s'avance, il dit parfois, sans aller au-delà de sa belle réserve, qui laissait son amitié pure, quels périls et quelles peurs il rencontre. Le vertige du silence, l'appel du néant, que ses éloignements de Paris pouvaient rendre plus difficiles à dominer, ces plaies vives qui affectent tout chercheur d'absolu, il les affronte dès la Liberté des feuilles. Les « Commentaires » lyriques qu'il m'avait adressés, le 14 avril 1965, demeurés jusqu'alors inédits, sont à cet égard révélateurs ". Son « grand besoin d'une solitude silencieuse et rêvée » - « le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui » revécu - se montre propice, il le sait, et le redoute, à l'ivre glaciation : « Il est un dangereux point de l'esprit créateur. Celui où l'écriture n'étanche plus mais aiguise la soif de l'absolu et commence une lente chute vers le vide et le silence. » Attirance qui sans cesse paraît compensée par un retour sur « Tout ce qu'il fallait décrire hier pour exister encore et tout ce qu'il fallait rejoindre pour aimer. » Juste retour d'abîme comme l'Inespéré laissent bien voir le jeu de l'alternance. Tout se répond d'un livre à l'autre : tel un chant et ses répons. Et les « Commentaires » lyriques annoncent l'Inespéré, que le poète définit ainsi : « l'étrange équivoque du don sans le mérite et de la faute sans le vouloir ».

Il évoque, dans un texte en prose de l'Inespéré, « comme un retournement de la mort. Mais toujours (tout aussi bieN) le lieu d'un crime très sauvage en rêve (il ne sera jamais commiS). Or mon visage s'incline à l'ombre intérieure. Et j'ai laissé passer le jour en longues nappes claires... » Relisons la première ligne des « Commentaires »... Ou ces vers du présent livre, début du Chant baroque de la vie transparente :



C'est une fenêtre blanche toujours ouverte

Mon âme sombre assise auprès riant trop clair

Si clair on sait dehors tout ce que j'aime et certes

Ensemble je déteste en ce sanglot trop clair

Je viens au monde chaque instant...



Transparence qui ne le dévoilait pas. La lumière le masquait. Comme son premier livre voilé par la fraîcheur, le ruissellement de la lumière et de l'eau, qui dérobent des ombres naissantes. De même, les formes de son lyrisme, si on leur prête attention, font glisser l'imitation vers l'invention par l'enjambement inattendu, le rythme syncopé, l'élision, l'inversion, la suspension du sens ou, au gré d'une inspiration ludique, son renversement dans un monde rêvé où les chiens sont bleus et la vie trouée « pour y voir / Tout au fond battre mon cour ».



Faut-il parler de sa mort, et comment l'évoquer ? Les circonstances n'en sont pas éclaircies. Une ambiguïté demeure, qu'il est, au demeurant, inutile de vouloir lever aujourd'hui. La mort est l'une des figures familières que nous croisons dans chacun de ses livres. A trente ans et moins, il n'est pas exceptionnel de la voir habiter ce que l'on écrit, campagne naturelle, figure tutélaire. Sa présence, souvent, traduit moins l'angoisse que la lucidité. Sans doute le suicide (?) demeure-t-il incompréhensible à ceux qui eurent le bonheur de partager son affection, ou son amitié, voire simplement sa confiance. Il savait l'estime que lui portaient quelques-uns, et les espoirs que ses livres suscitaient. Il avait traversé des moments cruels de doute et d'insatisfaction, et chaque fois en émergeait retrempé. Il n'est pas non plus dans la correspondance que j'ai cru devoir publier ", et dont l'ultime lettre est datée 12 janvier 1970, d'indice laissant prévoir une mort volontaire. Dirai-je enfin que sa foi ne le disposait pas à un tel geste ?

Son destin fut tragique ; mais Jean-Philippe Salabreuil n'appartient pas aux poètes « maudits » ou, alors, les mots ne veulent plus dire ce qu'ils ont à nous dire. (La confusion naît de la commodité.) La mort l'a pris très tôt, comme Odilon-Jean Périer, ou l'absence mentale Emile Nelligan. La durée lui a donc manqué pour atteindre ses dimensions. Mais son rayonnement demeure, qui nous vient d'une ouvre singulière, par son timbre, son indépendance, l'expression d'une sensibilité et d'une réflexion qui parurent, à juste titre, inespérément libres. Lumière qui éclaire les allées du temps, et le retour du poète des domaines du silence.

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Jean-Philippe Salabreuil
(1940 - 1970)
 
  Jean-Philippe Salabreuil - Portrait  
 
Portrait de Jean-Philippe Salabreuil

Biographie / chronologie

Jean-Pierre Steinbach est né le 25 mai 1940 à Neuilly-sur-Seine.
Etudes au Lycée Jean-Baptiste Say (Baccalauréat en philosophie).
Etudes et licence en droit.
Prépare une thèse de doctorat sur « Les coutumes africaines ».

Bibliographie / Ouvres

Né le 25 mai 1940 à Neuilly-sur-Seine, Jean-Pierre Steinbach - qui prit le pseudonyme de Jean-Philippe Salabreuil - meurt à Paris le 27 février 1970. Trois recueils de poèmes constituent son ouvre : La Liberté des feuilles (1964) - dont le titre est tiré d'un hémistiche emprunté à René-Guy Cadou - est remarqué par Jean Paulhan et obtient sur manuscrit, grâce à ce dernier, le prix Félix Fénéon en

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