Jean-Pierre Claris de Florian |
Un bon homme de mes parents, Que j'ai connu dans mon jeune âge, Se faisait adorer de tout son voisinage ; Consulté, vénéré des petits et des grands, Il vivait dans sa terre en véritable sage. Il n'avait pas beaucoup d'écus, Mais cependant assez pour vivre dans l'aisance ; En revanche force vertus, Du sens, de l'esprit par-dessus, Et cette aménité que donne l'innocence. Quand un pauvre venait le voir, S'il avait de l'argent, il donnait des pistoles ; Et s'il n'en avait point, du moins par ses paroles Il lui rendait un peu de courage et d'espoir. Il raccommodait les familles, Corrigeait doucement les jeunes étourdis, Riait avec les jeunes filles, Et leur trouvait de bons maris. Indulgent aux défauts des autres, Il répétait souvent : n'avons-nous pas les nôtres ? Ceux-ci sont nés boiteux, ceux-là sont nés bossus, L'un un peu moins, l'autre un peu plus : La nature de cent manières Voulut nous affliger : marchons ensemble en paix ; Le chemin est assez mauvais Sans nous jeter encor des pierres. Or il arriva certain jour Que notre bon vieillard trouva dans une tour Un trésor caché sous la terre. D'abord il n'y voit qu'un moyen De pouvoir faire plus de bien ; Il le prend, l'emporte et le serre. Puis, en réfléchissant, le voilà qui se dit : Cet or que j'ai trouvé ferait plus de profit Si j'en augmentais mon domaine ; J'aurais plus de vassaux, je serais plus puissant. Je peux mieux faire encor : dans la ville prochaine Achetons une charge, et soyons président. Président ! Cela vaut la peine. Je n'ai pas fait mon droit ; mais, avec mon argent, On m'en dispensera, puisque cela s'achète. Tandis qu'il rêve et qu'il projette, Sa servante vient l'avertir Que les jeunes gens du village Dans la cour du château sont à se divertir. Le dimanche, c'était l'usage, Le seigneur se plaisait à danser avec eux. Oh ! Ma foi, répond-il, j'ai bien d'autres affaires ; Que l'on danse sans moi. L'esprit plein de chimères, Il s'enferme tout seul pour se tourmenter mieux. Ensuite il va joindre à sa somme Un petit sac d'argent, reste du mois dernier. Dans l'instant arrive un pauvre homme Qui tout en pleurs vient le prier De vouloir lui prêter vingt écus pour sa taille : Le collecteur, dit-il, va me mettre en prison, Et n'a laissé dans ma maison Que six enfants sur de la paille. Notre nouveau Crésus lui répond durement Qu'il n'est point en argent comptant. Le pauvre malheureux le regarde, soupire, Et s'en retourne sans mot dire. Mais il n'était pas loin, que notre bon seigneur Retrouve tout-à-coup son cour ; Il court au paysan, l'embrasse, De cent écus lui fait le don, Et lui demande encor pardon. Ensuite il fait crier que sur la grande place Le village assemblé se rende dans l'instant. On obéit : notre bon homme Arrive avec toute sa somme, En un seul monceau la répand. Mes amis, leur dit-il, vous voyez cet argent : Depuis qu'il m'appartient, je ne suis plus le même, Mon âme est endurcie, et la voix du malheur N'arrive plus jusqu'à mon cour. Mes enfants, sauvez-moi de ce péril extrême ; Prenez et partagez ce dangereux métal ; Emportez votre part chacun dans votre asile : Entre tous divisé, cet or peut être utile ; Réuni chez un seul, il ne fait que du mal. Soyons contents du nécessaire Sans jamais souhaiter de trésors superflus : Il faut les redouter autant que la misère, Comme elle ils chassent les vertus. |
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Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794) |
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Portrait de Jean-Pierre Claris de Florian | |||||||||
Biographie / OuvresJean-Pierre Claris de Florian est né à Florian près de Sauve, dans les Cévennes, le 6 mars 1755, perd sa mère très jeune, probablement à l'âge de deux ans. Familier du château de Sceaux et protégé de Voltaire (son oncle). Lauréat de l'Académie, le 6 mars 1788, Florian atteignit le sommet de sa gloire en y entrant , remplaçant le cardinal de Luynes. Banni de Paris pendant |
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