Jean-Pierre Claris de Florian |
Mon frère, sais-tu la nouvelle ? Mouflar, le bon Mouflar, de nos chiens le modèle, Si redouté des loups, si soumis au berger, Mouflar vient, dit-on, de manger Le petit agneau noir, puis la brebis sa mère, Et puis sur le berger s'est jeté furieux. - Serait-il vrai ? - très vrai, mon frère. - À qui donc se fier, grands dieux ! C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine ; Et la nouvelle était certaine. Mouflar, sur le fait même pris, N'attendait plus que le supplice ; Et le fermier voulait qu'une prompte justice Effrayât les chiens du pays. La procédure en un jour est finie. Mille témoins pour un déposent l'attentat : Récolés, confrontés, aucun d'eux ne varie ; Mouflar est convaincu du triple assassinat : Mouflar recevra donc deux balles dans la tête Sur le lieu même du délit. À son supplice qui s'apprête Toute la ferme se rendit. Les agneaux de Mouflar demandèrent la grâce ; Elle fut refusée. On leur fit prendre place : Les chiens se rangèrent près d'eux, Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse, Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux. Tout le monde attendait dans un profond silence. Mouflar paraît bientôt, conduit par deux pasteurs : Il arrive ; et, levant au ciel ses yeux en pleurs, Il harangue ainsi l'assistance : Ô vous, qu'en ce moment je n'ose et je ne puis Nommer, comme autrefois, mes frères, mes amis, Témoins de mon heure dernière, Voyez où peut conduire un coupable désir ! De la vertu quinze ans j'ai suivi la carrière, Un faux pas m'en a fait sortir. Apprenez mes forfaits. Au lever de l'aurore, Seul, auprès du grand bois, je gardois le troupeau ; Un loup vient, emporte un agneau, Et tout en fuyant le dévore. Je cours, j'atteins le loup, qui, laissant son festin, Vient m'attaquer : je le terrasse, Et je l'étrangle sur la place. C'était bien jusques là : mais, pressé par la faim, De l'agneau dévoré je regarde le reste, J'hésite, je balance. à la fin, cependant, J'y porte une coupable dent : Voilà de mes malheurs l'origine funeste. La brebis vient dans cet instant, Elle jette des cris de mère. La tête m'a tourné, j'ai craint que la brebis Ne m'accusât d'avoir assassiné son fils ; Et, pour la forcer à se taire, Je l'égorge dans ma colère. Le berger accourait armé de son bâton. N'espérant plus aucun pardon, Je me jette sur lui : mais bientôt on m'enchaîne, Et me voici prêt à subir De mes crimes la juste peine. Apprenez tous du moins, en me voyant mourir, Que la plus légère injustice Aux forfaits les plus grands peut conduire d'abord ; Et que, dans le chemin du vice, On est au fond du précipice, Dès qu'on met un pied sur le bord. |
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Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794) |
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Portrait de Jean-Pierre Claris de Florian | |||||||||
Biographie / OuvresJean-Pierre Claris de Florian est né à Florian près de Sauve, dans les Cévennes, le 6 mars 1755, perd sa mère très jeune, probablement à l'âge de deux ans. Familier du château de Sceaux et protégé de Voltaire (son oncle). Lauréat de l'Académie, le 6 mars 1788, Florian atteignit le sommet de sa gloire en y entrant , remplaçant le cardinal de Luynes. Banni de Paris pendant |
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