Jean-Pierre Claris de Florian |
Un de ces pieux solitaires Qui, détachant leur cour des choses d'ici bas, Font vou de renoncer à des biens qu'ils n'ont pas. Pour vivre du bien de leurs frères, Un dervis en un mot, s'en allait mendiant Et priant, Lorsque les cris plaintifs d'une jeune corneille Par des parents cruels laissée en son berceau, Presque sans plume encor, vinrent à son oreille. Notre dervis regarde, et voit le pauvre oiseau Allongeant sur son nid sa tête demi-nue : Dans l'instant, du haut de la nue, Un faucon descend vers ce nid, Et, le bec rempli de pâture, Il apporte sa nourriture À l'orpheline qui gémit. Ô du puissant Allah providence adorable ! S'écria le dervis : plutôt qu'un innocent Périsse sans secours, tu rends compatissant Des oiseaux le moins pitoyable ! Et moi, fils du très-haut, je chercherais mon pain ! Non, par le prophète j'en jure : Tranquille désormais, je remets mon destin À celui qui prend soin de toute la nature. Cela dit, le dervis, couché tout de son long, Se met à bayer aux corneilles, De la création admire les merveilles, De l'univers l'ordre profond. Le soir vint, notre solitaire Eut un peu d'appétit en faisant sa prière : Ce n'est rien, disait-il ; mon souper va venir. Le souper ne vient point. Allons, il faut dormir ; Ce sera pour demain. Le lendemain l'aurore Paraît, et point de déjeuner. Ceci commence à l'étonner ; Cependant il persiste encore, Et croit à chaque instant voir venir son dîner. Personne n'arrivait ; la journée est finie, Et le dervis à jeun voyait d'un oil d'envie Ce faucon qui venait toujours Nourrir sa pupille chérie. Tout-à-coup il l'entend lui tenir ce discours : Tant que vous n'avez pu, ma mie, Pourvoir vous-même à vos besoins, De vous j'ai pris de tendres soins ; À présent que vous voilà grande, Je ne reviendrai plus. Allah nous recommande Les faibles et les malheureux : Mais être faible, ou paresseux, C'est une grande différence. Nous ne recevons l'existence Qu'afin de travailler pour nous ou pour autrui. De ce devoir sacré quiconque se dispense Est puni de la providence Par le besoin ou par l'ennui. Le faucon dit et part. Touché de ce langage, Le dervis converti reconnaît son erreur, Et, gagnant le premier village, Se fait valet de laboureur. |
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Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794) |
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Portrait de Jean-Pierre Claris de Florian | |||||||||
Biographie / OuvresJean-Pierre Claris de Florian est né à Florian près de Sauve, dans les Cévennes, le 6 mars 1755, perd sa mère très jeune, probablement à l'âge de deux ans. Familier du château de Sceaux et protégé de Voltaire (son oncle). Lauréat de l'Académie, le 6 mars 1788, Florian atteignit le sommet de sa gloire en y entrant , remplaçant le cardinal de Luynes. Banni de Paris pendant |
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