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Jean-Pierre Claris de Florian



Le lapin et la sarcelle - Fable


Fable / Poémes d'Jean-Pierre Claris de Florian





Unis dès leurs jeunes ans



D'une amitié fraternelle,



Un lapin, une sarcelle,



Vivaient heureux et contents.



Le terrier du lapin était sur la lisière



D'un parc bordé d'une rivière.



Soir et matin nos bons amis,



Profitant de ce voisinage,



Tantôt au bord de l'eau, tantôt sous le feuillage,



L'un chez l'autre étaient réunis.



Là, prenant leurs repas, se contant des nouvelles,



Ils n'en trouvaient point de si belles



Que de se répéter qu'ils s'aimeraient toujours.



Ce sujet revenait sans cesse en leurs discours.



Tout était en commun, plaisir, chagrin, souffrance ;



Ce qui manquait à l'un, l'autre le regrettait ;



Si l'un avait du mal, son ami le sentait ;



Si d'un bien au contraire il goûtait l'espérance,



Tous deux en jouissaient d'avance.



Tel était leur destin, lorsqu'un jour, jour affreux !



Le lapin, pour dîner venant chez la sarcelle,



Ne la retrouve plus : inquiet, il l'appelle ;



Personne ne répond à ses cris douloureux.



Le lapin, de frayeur l'âme toute saisie,



Va, vient, fait mille tours, cherche dans les roseaux,



S'incline par-dessus les flots,



Et voudrait s'y plonger pour trouver son amie.



Hélas !
S'écriait-il, m'entends-tu ?
Réponds-moi,



Ma sour, ma compagne chérie ;



Ne prolonge pas mon effroi :



Encor quelques moments, c'en est fait de ma vie ;



J'aime mieux expirer que de trembler pour toi.



Disant ces mots, il court, il pleure,



Et, s'avançant le long de l'eau,



Arrive enfin près du château



Où le seigneur du lieu demeure.



Là, notre désolé lapin



Se trouve au milieu d'un parterre,



Et voit une grande volière



Où mille oiseaux divers volaient sur un bassin.



L'amitié donne du courage.



Notre ami, sans rien craindre, approche du grillage,



Regarde et reconnaît. ô tendresse ! ô bonheur !



La sarcelle : aussitôt il pousse un cri de joie ;



Et, sans perdre de temps à consoler sa sour,



De ses quatre pieds il s'emploie



À creuser un secret chemin



Pour joindre son amie, et par ce souterrain



Le lapin tout-à-coup entre dans la volière,



Comme un mineur qui prend une place de guerre.



Les oiseaux effrayés se pressent en fuyant.



Lui court à la sarcelle ; il l'entraîne à l'instant



Dans son obscur sentier, la conduit sous la terre ;



Et, la rendant au jour, il est prêt à mourir



De plaisir.



Quel moment pour tous deux !
Que ne sais-je le peindre



Comme je saurais le sentir !



Nos bons amis croyaient n'avoir plus rien à craindre ;



Ils n'étaient pas au bout.
Le maître du jardin,



En voyant le dégât commis dans sa volière,



Jure d'exterminer jusqu'au dernier lapin :



Mes fusils !
Mes furets !
Criait-il en colère.



Aussitôt fusils et furets



Sont tout prêts.



Les gardes et les chiens vont dans les jeunes tailles,



Fouillant les terriers, les broussailles ;



Tout lapin qui paraît trouve un affreux trépas :



Les rivages du
Styx sont bordés de leurs mânes ;



Dans le funeste jour de
Cannes



On mit moins de romains à bas.



La nuit vient ; tant de sang n'a point éteint la rage



Du seigneur, qui remet au lendemain matin



La fin de l'horrible carnage.



Pendant ce temps, notre lapin,



Tapi sous des roseaux auprès de la sarcelle,



Attendait en tremblant la mort,



Mais conjurait sa sour de fuir à l'autre bord



Pour ne pas mourir devant elle.



Je ne te quitte point, lui répondait l'oiseau ;



Nous séparer serait la mort la plus cruelle.



Ah !
Si tu pouvais passer l'eau !



Pourquoi pas ?
Attends-moi. la sarcelle le quitte,



Et revient traînant un vieux nid



Laissé par des canards : elle l'emplit bien vite



De feuilles de roseau, les presse, les unit



Des pieds, du bec, en forme un batelet capable



De supporter un lourd fardeau ;



Puis elle attache à ce vaisseau



Un brin de jonc qui servira de câble.



Cela fait, et le bâtiment



Mis à l'eau, le lapin entre tout doucement



Dans le léger esquif, s'assied sur son derrière,



Tandis que devant lui la sarcelle nageant



Tire le brin de jonc, et s'en va dirigeant



Cette nef à son cour si chère.



On aborde, on débarque ; et jugez du plaisir !



Non loin du port on va choisir



Un asile où, coulant des jours dignes d'envie,



Nos bons amis, libres, heureux,



Aimèrent d'autant plus la vie



Qu'ils se la devaient tous les deux.



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Jean-Pierre Claris de Florian
(1755 - 1794)
 
  Jean-Pierre Claris de Florian - Portrait  
 
Portrait de Jean-Pierre Claris de Florian

Biographie / Ouvres

Jean-Pierre Claris de Florian est né à Florian près de Sauve, dans les Cévennes, le 6 mars 1755, perd sa mère très jeune, probablement à l'âge de deux ans.
Familier du château de Sceaux et protégé de Voltaire (son oncle). Lauréat de l'Académie, le 6 mars 1788, Florian atteignit le sommet de sa gloire en y entrant , remplaçant le cardinal de Luynes.
Banni de Paris pendant

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