Jean-Pierre Claris de Florian |
Des laboureurs vivaient paisibles et contents Dans un riche et nombreux village ; Dès l'aurore ils allaient travailler à leurs champs, Le soir ils revenaient chantants Au sein d'un tranquille ménage ; Et la nature bonne et sage, Pour prix de leurs travaux, leur donnait tous les ans De beaux bleds et de beaux enfants. Mais il faut bien souffrir, c'est notre destinée. Or il arriva qu'une année, Dans le mois où le blond Phébus S'en va faire visite au brûlant Sirius, La terre, de sucs épuisée, Ouvrant de toutes parts son sein, Haletait sous un ciel d'airain. Point de pluie et point de rosée. Sur un sol crevassé l'on voit noircir le grain, Les épis sont brûlés, et leurs têtes penchées Tombent sur leurs tiges séchées. On trembla de mourir de faim ; La commune s'assemble. En hâte on délibère ; Et chacun, comme à l'ordinaire, Parle beaucoup et rien ne dit. Enfin quelques vieillards, gens de sens et d'esprit, Proposèrent un parti sage : Mes amis, dirent-ils, d'ici vous pouvez voir Ce mont peu distant du village ; Là se trouve un grand lac, immense réservoir Des souterraines eaux qui s'y font un passage. Allez saigner ce lac ; mais sachez ménager Un petit nombre de saignées, Afin qu'à votre gré vous puissiez diriger Ces bienfaisantes eaux dans vos terres baignées. Juste quand il faudra nous les arrêterons. Prenez bien garde au moins. oui, oui, courons, courons, S'écrie aussitôt l'assemblée. Et voilà mille jeunes gens Armés d'hoyaux, de pics, et d'autres instruments, Qui volent vers le lac : la terre est travaillée Tout autour de ses bords ; on perce en cent endroits À la fois ; D'un morceau de terrain chaque ouvrier se charge : Courage ! Allons ! Point de repos ! L'ouverture jamais ne peut être assez large. Cela fut bientôt fait. Avant la nuit, les eaux, Tombant de tout leur poids sur leur digue affaiblie, De partout roulent à grands flots. Transports et compliments de la troupe ébahie, Qui s'admire dans ses travaux. Le lendemain matin ce ne fut pas de même : On voit flotter les bleds sur un océan d'eau ; Pour sortir du village il faut prendre un bateau ; Tout est perdu, noyé. La douleur est extrême, On s'en prend aux vieillards : c'est vous, leur disait-on, Qui nous coûtez notre moisson ; Votre maudit conseil. il était salutaire, Répondit un d'entre eux ; mais ce qu'on vient de faire Est fort loin du conseil comme de la raison. Nous voulions un peu d'eau, vous nous lâchez la bonde ; L'excès d'un très grand bien devient un mal très grand : Le sage arrose doucement, L'insensé tout de suite inonde. |
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Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794) |
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Portrait de Jean-Pierre Claris de Florian | |||||||||
Biographie / OuvresJean-Pierre Claris de Florian est né à Florian près de Sauve, dans les Cévennes, le 6 mars 1755, perd sa mère très jeune, probablement à l'âge de deux ans. Familier du château de Sceaux et protégé de Voltaire (son oncle). Lauréat de l'Académie, le 6 mars 1788, Florian atteignit le sommet de sa gloire en y entrant , remplaçant le cardinal de Luynes. Banni de Paris pendant |
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