Jules Supervielle |
N'importe où je me mettais à creuser le sol espérant que tu en sortirais J'écartais du coude les maisons et les forêts pour voir derrière. J'étais capable de rester toute une nuit à t'attendre, portes et fenêtres ouvertes En face de deux verres d'alcool auxquels je ne voulais pas toucher. Mais tu ne venais pas, Lautréamont, Autour de moi des vaches mouraient de faim devant des précipices Et tournaient obstinément le dos aux plus herbeuses prairies, Les agneaux regagnaient en silence le ventre de leurs mères qui en mouraient, Les chiens désertaient l'Amérique en regardant derrière eux Parce qu'ils auraient voulu parler avant de partir. Resté seul sur le continent Je te cherchais dans le sommeil où les rencontres sont plus faciles. On se poste au coin d'une rue, l'autre arrive rapidement. Mais tu ne venais même pas, Lautréamont, Derrière mes yeux fermés. Je te rencontrais un jour à la hauteur de Fernando Noronha Tu avais la forme d'une vague mais en plus véri- dique, en plus circonspect, Tu filais vers l'Uruguay à petites journées. Les autres vagues s'écartaient pour mieux saluer tes malheurs, Elles qui ne vivent que douze secondes et ne marchent qu'à la mort Te les donnaient en entier, Et tu feignais de disparaître Pour qu'elles te crussent dans la mort leur camarade de promotion. Tu étais de ceux qui élisent l'océan pour domicile comme d'autres couchent sous les ponts Et moi je me cachais les yeux derrière des lunettes noires Sur un paquebot où flottait une odeur de femme et de cuisine. La musique montait aux mâts furieux d'être mêlés aux attouchements du tango, J'avais honte de mon cour où coulait le sang des vivants, Alors que tu es mort depuis 1870, et privé du liquide séminal Tu prends la forme d'une vague pour faire croire que ça t'est égal. Le jour même de ma mort je te vois venir à moi Avec ton visage d'homme. Tu déambules favorablement les pieds nus dans de hautes mottes de ciel, Mais à peine arrivé à une distance convenable Tu m'en lances une au visage, Lautréamont. |
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Jules Supervielle (1884 - 1960) |
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Portrait de Jules Supervielle | |||||||||
Biographie / OuvresSes parents, français, se sont expatriés en Uruguay pour fonder une banque. De retour en France pour des vacances, l'année même de la naissance de Jules, il meurent tous les deux : il devait y avoir quelque chose dans l'eau du robinet. C'est son oncle et sa tante qui l'élèvent et qui s'occupent de la banque en Uruguay. Ce n'est qu'à l'âge de 9 ans qu'il apprend qu'il est adopté. ChronologieDe 1880 à 1883 : Bernard, oncle du poète, fonde en Uruguay une banque avec sa femme Marie-Anne. Cette entreprise devient rapidement familiale : Bernard demande à son frère Jules, père du poète, de venir le rejoindre en Uruguay. Jules fait du trio un parfait quatuor en épousant sa propre belle-soeur, Marie, soeur de Marie-Anne et mère du poète. |
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