Jules Supervielle |
Où sont-ils les points cardinaux, Le soleil se levant à l'Est, Mon sang et son itinéraire Prémédité dans mes artères? Le voilà qui déborde et creuse, Grossi de neiges et de cris Il court dans des régions confuses; Ma tête qui jusqu'ici Balançait les pensées comme branches des îles, Forge des ténèbres crochues. Ma chaise que happe l'abîme Est-ce celle du condamné Qui s'enfonce dans la mort avec toute l'Amérique? Qui est là? Quel est cet homme qui s'assied à notre table Avec cet air de sortir comme un trois-mâts du brouillard, Ce front qui balance un feu,. ces mains d'écume marine, Et couverts les vêtements par un morceau de ciel noir? A sa parole une étoile accroche sa toile araigneuse, Quand il respire il déforme et forme une nébuleuse. Il porte, comme la nuit, des lunettes cerclées d'or Et des lèvres embrasées où s'alarment des abeilles, Mais ses yeux, sa voix, son cour sont d'un, enfant à l'aurore. Quel est cet homme dont l'âme fait des signes solennels? Voici Pilar, elle m'apaise, ses yeux -déplacent le mystère. Elle a toujours derrière elle comme un souvenir de famille Le soleil de l'Uruguay qui secrètement pour nous brille, Mes enfants et mes amis, leur tendresse est circulaire Autour de la table ronde, fière comme l'univers; Leurs frais sourires s'en vont de bouche en bouche fidèles, Prisonniers les uns des autres, ce sont couleurs d'arc-en-ciel. Et comme dans la peinture de Rousseau le douanier, Notre tablée monte au ciel voguant dans une nuée. Nous chuchotons seulement tant on est près des étoiles, Sans cartes ni gouvernail, et le ciel pour bastingage. Comment vinrent jusqu'ici ces goélands par centaines Quand déjà nous respirons un angélique oxygène, Nous cueillons et recueillons du céleste romarin, De la fougère affranchie qui se passe de racines, lit comme il nous est poussé dans l'air pur des ailes longues Nous mêlons notre plumage à la courbure des mondes |
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Jules Supervielle (1884 - 1960) |
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Portrait de Jules Supervielle | |||||||||
Biographie / OuvresSes parents, français, se sont expatriés en Uruguay pour fonder une banque. De retour en France pour des vacances, l'année même de la naissance de Jules, il meurent tous les deux : il devait y avoir quelque chose dans l'eau du robinet. C'est son oncle et sa tante qui l'élèvent et qui s'occupent de la banque en Uruguay. Ce n'est qu'à l'âge de 9 ans qu'il apprend qu'il est adopté. ChronologieDe 1880 à 1883 : Bernard, oncle du poète, fonde en Uruguay une banque avec sa femme Marie-Anne. Cette entreprise devient rapidement familiale : Bernard demande à son frère Jules, père du poète, de venir le rejoindre en Uruguay. Jules fait du trio un parfait quatuor en épousant sa propre belle-soeur, Marie, soeur de Marie-Anne et mère du poète. |
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