Jules Supervielle |
Vois, il est vide ce lit, bouleverse les couvertures, Agite les draps en tous sens comme s'ils me cachaient encore, Défonce le matelas au cas où je ne serais plus que de la laine cardée! Il n'y a plus personne dans cette couche à deux places que j'occupais dans son entier, Il n'y a pas un pli à la descente de lit Et les rideaux sont endormis dans les bras l'un de l'autre. Entre dans ce train, fouille sous les banquettes, Parle au chauffeur de la locomotive d'un air confidentiel, Interroge le chef de gare à mots couverts, Là, plus près de son visage, jusqu'à en toucher les poils, de tes lèvres blêmes. L'homme que tu cherches était bien dans le train mais il n'y est plus! Us sont deux employés et trois femmes qui ont vu son chapeau de paille Et ne savent rien d'autre. Celui qui prononce ces mots à ton oreille Bien qu'il se trouve peut-être très loin de toi Comme ce haut-parleur qui vous poursuit partout dans les Expositions Et on se demande d'où il vous arrive Celui qui dit ces mots, où est-il? A-t-il une main encore (ou deux) avec ses cinq doigts dont un orné d'une bague Ou de plusieurs, Un appareil circulatoire comme une décoration interne et compliquée? Ou bien se passe-t-il de reins pour montrer sa toute-puissance? Récite-t-il la nuit sa prière Pour pouvoir discuter d'égal à égal avec les Seigneurs de son sommeil? S'en est-il allé de l'autre côté De ce qui te hante toujours? Avant un suicide intéressé S'est-il installé au Panthéon des Grands Hommes, A-t-il repoussé à droite et à gauche Deux pensionnaires considérables Pour se faire une place d'homme qui a beaucoup galopé dans sa vie? Ce n'est pas moi qui te renseignerai. Fais ton métier. Je fais le mien. Ne cherche plus à devenir l'allié de mon squelette, Bête blanche et silencieuse, Tapie au meilleur de nous-mêmes Et qui nous saute à la gorge au premier moment d'inattention. Qu'il te suffise de savoir Si oui ou non Tu m'as poussé sur la voie Hors du train, en pleine vitesse, Sous prétexte que tu manquais d'air, Si tu as posé des questions hypocrites En désignant un pardessus, une valise dans un coin : « Avez-vous vu mon compagnon, le Seûor Guana- miru? Ah! les gens ne disent plus où ils vont ni d'où ils viennent Et l'homme disparaît devant vous comme de l'eau dans la mer. » |
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Jules Supervielle (1884 - 1960) |
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Portrait de Jules Supervielle | |||||||||
Biographie / OuvresSes parents, français, se sont expatriés en Uruguay pour fonder une banque. De retour en France pour des vacances, l'année même de la naissance de Jules, il meurent tous les deux : il devait y avoir quelque chose dans l'eau du robinet. C'est son oncle et sa tante qui l'élèvent et qui s'occupent de la banque en Uruguay. Ce n'est qu'à l'âge de 9 ans qu'il apprend qu'il est adopté. ChronologieDe 1880 à 1883 : Bernard, oncle du poète, fonde en Uruguay une banque avec sa femme Marie-Anne. Cette entreprise devient rapidement familiale : Bernard demande à son frère Jules, père du poète, de venir le rejoindre en Uruguay. Jules fait du trio un parfait quatuor en épousant sa propre belle-soeur, Marie, soeur de Marie-Anne et mère du poète. |
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