Jules Supervielle |
ravers la Pampa n'ayant pour relief que des vaches condamnées à brouter dès le premier tremblement du jour jusqu'à ce que l'herbe ait un goût de crépuscule, roule le train comminatoire qui vise de tout son fer le Nord guarani. Tout d'un coup voici un palmier en pleine campagne, un palmier d'origine, un palmier de chez lui, premier avertissement des tropiques proches, puis me petite palmeraie qui fait front de toutes parts puis des palmiers qui vont les uns engendrant les autres, tous forcés par le train en fureur à glisser sans bruit vers l'arrière dans la plus complète obéissance, tout ce qui était devant passant brusquement de la forêt, au souvenir, et ne devant vivre désormais en moi que dans la confusion d'images bien battues par le train tenace comme des cartes d'auberge par des mains soupçonneuses. Mais la forêt se fait si dense qu'elle a arrêté le train. Sur le fleuve maintenant flottent le navire à roues et ma pensée tandis que glissent des bacs couverts de cèdres frais-coupés et déjà rigides comme des Indiens morts; on n'entend même pas la respiration de la forêt dans le paysage brûlé de silence. La sirène à vapeur du navire arrêté déchire le paysage cruellement, de son couteau ébrécbé. Les caractactes de l'Iguazu sous la présence acharnée d'arbres de toutes les tailles qui tous veulent voir, les cataractes, dans un fracas de blancheurs, foncent en mille fumantes perpendiculaires violentes comme si elles voulaient traverser le globe de part en part. Les cordes où s'accroche l'esprit, mauvais nageur, se cassent au ras de l'avenir. Des phrases mutilées, des lettres noires survivantes se cherchent, aveugles, à la dérive pour former des îlots de pensée et soudain, comme un chef fait l'appel de ses hommes après l'alerte, je compte mes moi dispersés que je rassemble en toute hâte. Me revoici tout entier avec mes mains de tous les jours que je regarde. Et je ferme les yeux et je cimente mes paupières. |
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Jules Supervielle (1884 - 1960) |
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Portrait de Jules Supervielle | |||||||||
Biographie / OuvresSes parents, français, se sont expatriés en Uruguay pour fonder une banque. De retour en France pour des vacances, l'année même de la naissance de Jules, il meurent tous les deux : il devait y avoir quelque chose dans l'eau du robinet. C'est son oncle et sa tante qui l'élèvent et qui s'occupent de la banque en Uruguay. Ce n'est qu'à l'âge de 9 ans qu'il apprend qu'il est adopté. ChronologieDe 1880 à 1883 : Bernard, oncle du poète, fonde en Uruguay une banque avec sa femme Marie-Anne. Cette entreprise devient rapidement familiale : Bernard demande à son frère Jules, père du poète, de venir le rejoindre en Uruguay. Jules fait du trio un parfait quatuor en épousant sa propre belle-soeur, Marie, soeur de Marie-Anne et mère du poète. |
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