Jules Supervielle |
Des visages familiers Brillent autour de la lampe du soleil. Les rayons touchent les fronts Et parfois changent de front Oscillant de l'un à l'autre. Des explosions d'irréel dans une fumée blanchissante Mais nul bruit pour les oreilles : Un fracas au fond de l'âme. Des gestes autour de la table Prennent le large, gagnent le haut-ciel, Entre-choquent leurs silences D'où tombent des flocons d'infini. Et c'est à peine si l'on pense à la Terre Comme à travers le brouillard d'une millénaire tendresse. L'homme, la femme, les enfants, A la table aérienne Appuyée sur un miracle Qui cherche à se définir. Il est là une porte toute seule Sans autre mur que le ciel insaisissable, Il est là une fenêtre toute seule, Elle a pour chambranle un souvenir Et s'entr'ouvre Pour pousser un léger soupir. L'homme regarde par ici, malgré l'énorme distance, Comme si j'étais son miroir, Pour une confrontation de rides et de gêne. La chair autour des os, les os autour de la pensée Et au fond de la pensée une mouche charbonneuse. Il s'inquiète Comme un poisson qui saute A la recherche d'un élément, Entre la vase, l'eau et le ciel Le ciel est effrayant de transparence, Le regard va si loin qu'il ne peut plus vous revenir. Il faut bien le voir naufrager Sans pouvoir lui porter secours. Tout à coup le soleil s'éloigne jusqu'à n'être plus qu'une étoile perdue Et cille. Il fait nuit, je me retrouve sur la Terre cultivée. Celle qui donne le maïs et les troupeaux, Les forêts belles au cour. Celle qui ronge nuit et jour nos gouvernails d'élévation. Je reconnais les visages des miens autour de la lampe Rassurés comme s'ils avaient Échappé à l'horreur du ciel, Et le lièvre qui veille en nous se réjouit dans son gîte; Il hume son poil doré Et l'odeur de son odeur, son cour qui sent le cerfeuil. |
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Jules Supervielle (1884 - 1960) |
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Portrait de Jules Supervielle | |||||||||
Biographie / OuvresSes parents, français, se sont expatriés en Uruguay pour fonder une banque. De retour en France pour des vacances, l'année même de la naissance de Jules, il meurent tous les deux : il devait y avoir quelque chose dans l'eau du robinet. C'est son oncle et sa tante qui l'élèvent et qui s'occupent de la banque en Uruguay. Ce n'est qu'à l'âge de 9 ans qu'il apprend qu'il est adopté. ChronologieDe 1880 à 1883 : Bernard, oncle du poète, fonde en Uruguay une banque avec sa femme Marie-Anne. Cette entreprise devient rapidement familiale : Bernard demande à son frère Jules, père du poète, de venir le rejoindre en Uruguay. Jules fait du trio un parfait quatuor en épousant sa propre belle-soeur, Marie, soeur de Marie-Anne et mère du poète. |
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