Jules Supervielle |
Elle est tendue en arrière Et le regard même arqué, Elle souffle sur le fleuve Comme pour le supprimer. Ces planches jointes qui flottent Est-ce fait pour une vache Colorée par l'herbe haute, Aimant à mêler son ombre A l'ombre de la forêt? Sur la boue vive elle glisse Et tombe pattes en l'air. Alors vite on les attache Et l'on en fait un bouquet, On en fait un bouquet âpre D'une lanière noué, Tandis qu'on tire sa queue, Refuge de volonté; Puis on traîne dans la barque Ce sac essoufflé à cornes, Aux yeux noirs coupés de blanche Angoisse par le milieu. Çà et là dans le canot La vache quittait la terre; Dans le petit jour glissant, Les pagayeurs pagayèrent. Aux flancs noirs du paquebot Qui sécrète du destin, Le canot enfin s'amarre. A une haute poulie On attache par les pattes La vache qu'on n'oublie pas, Harcelée par cent regards Qui la piquent comme taons. Puis l'on hisse par degrés L'animal presque à l'envers, Le ventre plein d'infortune, La corne prise un instant Entre barque et paquebot Craquant comme une noix sèche. Sur le pont voici la vache Suspectée par un bouf noir Immobile dans un coin Qu'il clôture de sa bouse. Près de lui elle s'affale Une corne sur l'oreille Et voudrait se redresser, Mais son arrière-train glisse De soi-même abandonné, Et n'ayant à ruminer Que le pont tondu à ras Elle attend le lendemain. Tout le jour le bouf lécha Un sac troué de farine; La vache le voyait bien. Vint enfin le lendemain Avec son pis plein de peines. Près du bouf qui regardait, Luisaient au soleil nouveau, Entre des morceaux de jour, Seuls deux grands quartiers de Côtes vues par le dedans. La tête écorcbée mauvaise, De dix rouges différents, Près d'un cour de boucherie, Et, formant un petit tas, Le cuir loin de tout le reste, Douloureux d'indépendance, Fumant à maigres bouffées. |
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Jules Supervielle (1884 - 1960) |
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Portrait de Jules Supervielle | |||||||||
Biographie / OuvresSes parents, français, se sont expatriés en Uruguay pour fonder une banque. De retour en France pour des vacances, l'année même de la naissance de Jules, il meurent tous les deux : il devait y avoir quelque chose dans l'eau du robinet. C'est son oncle et sa tante qui l'élèvent et qui s'occupent de la banque en Uruguay. Ce n'est qu'à l'âge de 9 ans qu'il apprend qu'il est adopté. ChronologieDe 1880 à 1883 : Bernard, oncle du poète, fonde en Uruguay une banque avec sa femme Marie-Anne. Cette entreprise devient rapidement familiale : Bernard demande à son frère Jules, père du poète, de venir le rejoindre en Uruguay. Jules fait du trio un parfait quatuor en épousant sa propre belle-soeur, Marie, soeur de Marie-Anne et mère du poète. |
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