Jules Supervielle |
L'Atlantique est là qui, de toutes parts, s'est généralisé depuis quinze jours, avec son sel et son odeur vieille comme le monde, qui couve, marque les choses du bord, s'allonge dans la chambre de chauffe, rôde dans la soute au charbon, enveloppe ce bruit de forge, s'annexe sa flamme si terrestre, entre dans toutes les cabines, monte au fumoir, se mêlant aux jeux de cartes, se faufilant entre chaque carte, si bien que tout le navire, et même les lettres qui sont dans les enveloppes cinq fois cachetées de rouge au fond des sacs postaux, tout baigne dans une buée, dans une confirmation marine, comme ce petit oiseau des îles dans sa cage des îles. La voici la face de l'Atlantique dans cette grande pièce carrée si fière de ses angles en pleine mer, ce salon où tout feint l'aplomb et l'air solidement attaché de graves meubles sur le continent, mais souffre d'un tremblement maritime ou d'une quiétude suspecte, même la lourde cheminée avec ses fausses bûches éclairées à l'électricité qui joue la cheminée de château assise en terre depuis des siècles. Que prétend ce calendrier, fixé, encadré, et qui sévèrement annonce samedi 17 juillet, ce journal acheté à la dernière escale et qui donne des nouvelles des peuples, ce vieux billet de tramway retrouvé dans ma poche et qui me propose de renouer avec la Ville? Que témoignent toutes ces têtes autour de moi, tous ces agglomérés humains, qui vont et viennent sur le pont de bois rnbuvant entre ciel et vagues, promenant leur bilan mortel, leurs chansons qui font ici des couacs aigrelets, et prétendent qu'il faudrait à cette mer qui prend toujours et se refuse, quelques cubes en pierre de taille avec fenêtres et pots de géranium, un coteau dominé par la gare d'un funiculaire et un drapeau tandis que sur le côté, des recrues marcheraient une, deux, une, deux, sur un terrain de manouvre. Mais sait-elle même qu'il existe l'homme qui fume ces cigares accoudé au bastingage, le sait-elle, la mer, cette aveugle de naissance, qui n'a pas compris encore ce que c'est qu'un noyé et le tourne et le retourne sous ses interrogations? |
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Jules Supervielle (1884 - 1960) |
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Portrait de Jules Supervielle | |||||||||
Biographie / OuvresSes parents, français, se sont expatriés en Uruguay pour fonder une banque. De retour en France pour des vacances, l'année même de la naissance de Jules, il meurent tous les deux : il devait y avoir quelque chose dans l'eau du robinet. C'est son oncle et sa tante qui l'élèvent et qui s'occupent de la banque en Uruguay. Ce n'est qu'à l'âge de 9 ans qu'il apprend qu'il est adopté. ChronologieDe 1880 à 1883 : Bernard, oncle du poète, fonde en Uruguay une banque avec sa femme Marie-Anne. Cette entreprise devient rapidement familiale : Bernard demande à son frère Jules, père du poète, de venir le rejoindre en Uruguay. Jules fait du trio un parfait quatuor en épousant sa propre belle-soeur, Marie, soeur de Marie-Anne et mère du poète. |
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