Louise Labé |
Au tems qu'Amour, d'hommes et Dieus vainqueur, Faisoit brûler de sa flamme mon cour, En embrasant de sa cruelle rage Mon sang, mes os, mon esprit et courage : Encore lors je n'avois la puissance De lamenter ma peine et ma souffrance. Encor Phebus, ami des Lauriers vers ', N'avoit permis que je fisse des vers : Mais meintenant que sa fureur divine Remplit d'ardeur ma hardie poitrine, Chanter me fait, non les bruians tonnerres De Jupiter, ou les cruelles guerres, Dont trouble Mars, quand il veut, l'Univers. m'a donné la lyre, qui les vers Souloit chanter de l'Amour Lesbienne : Et à ce coup pleurera de la mienne. O dous archet, adouci moy la voix. Qui pourroit fendre et aigrir quelquefois, En recitant tant d'ennuis et douleurs, Tant de despits fortunes et malheurs. Trempe l'ardeur, dont jadis mon cour tendre Fut en brûlant demi réduit en cendre. Je sen desja un piteus souvenir, Qui me contreint la larme à l'oil venir. II m'est avis que je sen les alarmes, Que premiers j'ù d'Amour, je voy les armes. Dont il s'arma en venant m'assaillir. C'estoit mes yeus, dont tant faisois saillir De traits, à ceus qui trop me regardoient Et de mon arc assez ne se gardoient. Mais ces miens traits ces miens yeus me défirent. Et de vengeance estre exemple me firent. Et me moquant, et voyant l'un aymer. L'autre brûler et d'Amour consommer: En voyant tant de larmes espandues, Tant de soupirs et prières perdues. Je n'aperçu que soudein me vint prendre Le mesme mal que je soulois reprendre : Qui me persa d'une telle furie, Qu'encor n'en suis après long tems guérie : Et meintenant me suis encor contreinte De rafreschir d'une nouvelle pleinte Mes maus passez. Dames, qui les lirez, De mes regrets avec moy soupirez. Possible, un jour je feray le semblable, Et ayderay votre voix pitoyable A vos travaus et peines raconter, Au tems perdu vainement lamenter. Quelque rigueur qui loge en votre cour, Amour s'en peut un jour rendre vainqueur. Et plus aurez lui esté ennemies, Pis vous fera, vous sentant asservies. N'estimez point que Ion doive blâmer Celles qu'a fait Cupidon inflamer. Autres que nous, nonobstant leur hautesse, Ont enduré l'amoureuse rudesse: Leur cour hautein, leur beauté, leur lignage, Ne les ont su préserver du servage De dur Amour : les plus nobles esprits En sont plus fort et plus soudain espris. Semiramis ', Royne tant renommée, Qui mit en route avecques son armée Les noirs squadrons des Ethiopiens, Et en montrant louable exemple aus siens Faisoit couler de son furieus branc Des ennemis les plus braves le sang, Ayant encor envie de conquerre Tous ' ses voisins, ou leur mener la guerre. Trouva Amour, qui si fort la pressa, Qu'armes et loix veincue elle laissa. Ne meritoit sa Royalle grandeur Au moins avoir un moins fascheus malheur Qu'aymer son fils? Royne de Babylonne, Ou est ton cour qui es combaz resonne ? Qu'est devenu ce fer et cet escu, Dont tu rendois le plus brave veincu? Ou as tu mis la Marciale creste, Qui obombroit le blond or de ta teste ? Ou est l'espee, ou est cette cuirasse, Dont tu rompois des ennemis l'audace? Ou sont fuiz tes coursiers furieus, Lesquels trainoient ton char victorieus? T'a pu si tôt un foible ennemi rompre? Ha pu si tôt ton cour viril corrompre, Que le plaisir d'armes plus ne te touche : Mais seulement languis en une couche? Tu as laissé les aigreurs Marciales, Pour recouvrer les douceurs géniales. Ainsi Amour de toy t'a estrangee, Qu'on te dirait en une autre changée. Donques celui lequel d'amour esprise Pleindre me voit, que point il ne mesprise Mon triste deuil : Amour, peut estre, en brief En son endroit n'aparoitra moins grief. Telle j'ay vu qui avoit en jeunesse Blâmé Amour : après en sa vieillesse Brûler d'ardeur, et pleindre tendrement L'âpre rigueur de son tardif tourment. Alors de fard et eau continuelle ' Elle essayoit se faire venir belle. Voulant chasser le ridé labourage, Que l'aage avoit gravé sur son visage. Sur son chef gris elle avoit empruntée Quelque perruque, et assez mal antee : Et plus estoit à son gré bien fardée, De son Ami moins estoit regardée : Lequel ailleurs fuiant n'en tenoit conte. Tant lui sembloit laide, et avoit grand'honte D'estre aymé d'elle. Ainsi la povre vieille Recevoit bien pareille pour pareille . De maints en vain un tems fut réclamée, Ores qu'elle ayme, elle n'est point aymee. Ainsi Amour prend son plaisir, à faire Que le veuil d'un soit à l'autre contraire. Tel n'ayme point, qu'une Dame aymera: Tel ayme aussi, qui aymé ne sera : Et entretient, néanmoins, sa puissance Et sa rigueur d'une vaine espérance. |
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Louise Labé (1524 - 1566) |
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Portrait de Louise Labé | |||||||||
Biographie / chronologiePierre Charly, apprenti cordier (peut-être d'origine italienne), né aux alentours de 1470, illettré au point de ne pas savoir signer, épouse Guillermette Decuchermois, sans doute âgée ; celle-ci est veuve depuis 1489 de Jacques Humbert, dit Labé (ou L'Abbé [forme la plus ancienne], l'Abé, Labbé, Labbyt), cordier installé rue de l'Arbre sec. Pierre reprend le surnom de Labé, qui est attaché au fond BibliographieLouise Labé (ou Labbé) est née à Lyon vers l'année 1524. Son père, Pierre Charly, était un cordelier de la ville. Elle tirera son surnom, la belle cordelière, de son père aussi bien que de son futur époux, Ennemont Perrin, qui exercera la même activité. |
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