Marguerite Yourcenar |
UNE AUTOBIOGRAPHIE, POURQUOI? POUR QUI? Hadrien n'a pas songé d'emblée à raconter sa vie. L'exorde de sa lettre affiche une préoccupation première: révéler au destinataire les progrès d'un mal incurable ; le gouvernement de l'Empire sera bientôt confié à Antonin et, par conséquence, étant donné l'âge avancé du sénateur, à Marc Aurèle qui doit se préparer à lui succéder. La nouvelle est sans conteste d'importance pour l'héritier adoptif. Qu'il s'agit simplement de l'en informer, et non de témoigner la moindre inquiétude à l'égard d'une fin voisine, Hadrien s'empresse de le préciser au jeune homme qui fait, en stoïcien zélé, de l'impassibilité devant la douleur et la mort une règle essentielle de conduite : « Ne t'y trompe pas : je ne suis pas encore assez faible pour céder aux imaginations de la peur...» Au bout de quelques pages cependant, le projet initial subit un infléchissement radical qui va lui donner une toute autre portée : Peu à peu, cette lettre commencée pour t'informer des progrès de mon mal est devenue le délassement d'un homme qui n'a plus l'énergie nécessaire pour s'appliquer longuement aux affaires de l'État, la méditation écrite d'un malade qui donne audience à ses souvenirs. Je me propose maintenant davantage: j'ai formé le projet de te raconter ma vie. A coup sûr, j'ai composé l'an dernier un compte rendu officiel de mes actes, en tête duquel mon secrétaire Phlégon a mis son nom. Nous reviendrons un peu plus loin sur ce qui a pu ainsi déterminer Hadrien, au terme d'un engendrement qui semble procéder de récriture elle-même, à rédiger ses Mémoires. Mais c'est le projet en soi qu'il convient d'interroger tout d'abord. De l'hagiographie à l'autobiographie S'il n'était question que de raconter son règne, ce serait là une chose que l'empereur a déjà faite, ainsi qu'il le rappelle à son destinataire. De fait l'Histoire auguste rapporte, sans indulgence, qu' « Hadrien était si désireux de jouir d'une grande renommée qu'ayant composé son Autobiographie', il la confia à certains de ses affranchis cultivés et leur ordonna de la publier sous leur nom ; et, de fait, les livres de Phlégon passent pour être l'ouvre d'Hadrien ». De sorte que le nouvel écrit s'apparenterait fort à un doublon. Certes l'empereur est préoccupé des traces qu'il laissera dans l'histoire. L'inscription qu'il a fait placer sur le Panthéon d'Athènes et par laquelle il rappelle les bienfaits dispensés sous son règne aux Grecs et aux Barbares suffirait à le prouver2. Le récit yourcenarien atteste à maintes reprises, en l'ennoblissant quelque peu, ce souci de la postérité chez Hadrien. Mais de là à produire deux «autobiographies» successives! Comment expliquer que Marguerite Yourcenar non seulement ait écrit des Mémoires apocryphes, mais ait songé, pour les légitimer, à prêter le dessein à son personnage de refaire, à un an d'intervalle, le récit de sa vie? Bien sûr, le fait qu'Hadrien se soit de manière hautement vraisemblable servi de Phlégon comme prête-nom confère une crédibilité certaine à l'entreprise autobiographique. Dans le même temps il l'invalide en partie, puisqu'on imagine mal l'empereur reprendre, au seuil de la mort, une tâche si récemment menée à bien. La réponse, déterminante pour le roman, et prêtée à Hadrien lui-même, est évidemment à chercher dans la manière dont se déplace et se reconfigure, des livres de Phlégon aux « faux-vrais » Mémoires, l'écriture de soi. Qu'est-ce qui fonde la dualité des projets ? Justement, au sens le plus strictement étymologique du mot pro-jet, ce qu'Hadrien accepte de mettre au devant de soi. Tombant le masque de l'affranchi, il assume en son nom la narration. A ce seul trait on comprend que l'écrit bascule du domaine public dans le domaine privé, de l'hagiographie élaborée à des fins de propagande impériale - ce que Yourcenar fait admettre à Hadrien en incorporant dans le passage précité l'acerbe remarque de l'Histoire auguste, tout en dédouanant son personnage, par cette ruse d'écriture, de l'accusation de mégalomanie -, de l'hagiographie, donc, à l'autobiographie véritable. Autrement dit, il est clair que les Mémoires se situent sur un autre plan que les livres de Phlégon et qu'au-delà du rétablissement des faits inévitablement travestis par les seconds les premiers vont exploiter d'autres matériaux. Ce n'est pas, du moins pas seulement, à une reconnaissance historique qu'aspire désormais Hadrien. Son ouvre témoigne pour lui, visible dans la pierre, lisible dans ses réformes, glorifiée par les biographies «officielle» ou spontanée comme celle de cet « adversaire rallié », un juif d'Alexandrie, et qui confine déjà à la légende1. Par-delà la narration de la geste du règne, le récit incline à la « méditation » et à l'écriture de soi, dans la mesure où le soi ne saurait être complètement identifié à la persona2 du père de la patrie campé pour l'histoire. Vers la fin de ses Mémoires, Hadrien n'op-pose-t-Û pas par exemple, en un contraste ironique, la déroute intime du corps souffrant et les pouvoirs de thaumaturge prêtés par la foule à Pempereur-dieu ? Le choix du destinataire est non moins exemplaire du changement d'orientation qui caractérise la seconde autobiographie. Sévère, lucide et d'une indéfectible rigueur morale, le « vérissime » est le prototype du confident auquel on ne peut rien déguiser. Interlocuteur unique et proche de l'empereur, il suscite l'effusion d'une parole privée, la mue en confidence (fût-ce épisodiquemenT), la dénude. L'avènement d'une véritable écriture de soi, voilà ce que favorisent cette nouvelle situation de communication et le genre de la lettre morale déjà évoqué. Plus personnelle, plus réflexive, la rédaction des Mémoires peut cette fois tenter d'échapper d'une part à la rhétorique convenue de l'éloge' (la généalogie familiale, la formation, les principaux actes du règne et leur justificatioN) et d'autre part à la scansion immuablement chronologique propre aux annales («au même moment », « après cela », « ensuite »...)- traits qui ont dû, selon toute vraisemblance, caractériser les livres de Phlégon puisqu'on les retrouve dans les textes « autobiographiques » des empereurs qui ont devancé Hadrien, d'Auguste à Trajan. Animula vagula blandula, tout comme Patientia, pour ne citer que ces deux chapitres, ressortissent de toute évidence à des genres moins strictement codifiés. Le rapport d'Arrien achève de nous éclairer sur le déplacement opéré par la nouvelle rédaction des Mémoires. Hadrien n'en cite que quelques extraits2, leur adjoignant ce commentaire: Arrien comme toujours a bien travaillé. Mais, cette fois, il fait plus : il m'offre un don nécessaire pour mourir en paix ; il me renvoie une image de ma vie telle que j'aurais voulu qu'elle fût. Arrien sait que ce qui compte est ce qui ne figurera pas dans les biographies officielles, ce qu'on n'inscrit pas sur les tombes. Ces lignes cautionnent a posteriori la reprise du projet autobiographique. La vérité de l'être échappe à toute saisie de l'extérieur. Ni les «biographies officielles», ni les titulatures' ne peuvent rendre une « image» fidèle de l'homme qu'elles prétendent résumer à ses actes ou à ses charges. Seul le regard introspectif, ou à tout le moins «sympathique» (tel celui d'Arrien... ou de YourcenaR), peut espérer atteindre à quelque ressemblance et donner un sens - c'est-à-dire à la fois une orientation et une signification - à l'aventure de l'existence. C'est sans doute cela aussi qu'il faut entendre derrière la demande faite à l'empereur par le gouverneur de la Petite-Arménie: «...[les habitants de Sinope] t'ont érigé une statue qui n'est ni assez ressemblante, ni assez belle : envoie-leur en une autre, de marbre blanc. » Nul mieux qu'Arrien ou Hadrien n'est à même d'apprécier cette fidélité de l'effigie, fidélité liée, de surcroît, à la qualité du matériau utilisé. La différence de nature entre la première et la seconde autobiographie est donc radicale. Elle constitue une motivation romanesque que le lecteur doit accepter, en tout état de cause, comme une condition nécessaire et suffisante pour juger plausible la rédaction d'un autre récit de vie. Reste à expliquer ce qui a pu faire naître chez Hadrien cet intérêt d'un genre nouveau qu'il porte à soi-même. Maladie et souci de soi Dans son Histoire de la sexualité, le philosophe Michel Foucault observe que «selon une tradition qui remonte fort loin dans la culture grecque, le souci de soi est en corrélation avec la pensée et la pratique médicales »'. Thérapeutique du corps et médecine de l'âme sont il est vrai étroitement solidaires, aussi bien chez les épicuriens que chez les stoïciens. C'est en se reconnaissant faible ou faillible, en s'appréhendant comme un individu souffrant qui doit se soigner lui-même, que l'on accède à la philosophie selon Épictète. Le rapport est donc étroit entre maladie et connaissance de soi : - (...) relativement à l'erreur elle-même, un bien peut se produire, à savoir, la connaissance de l'erreur comme telle. Il devrait donc en être également ainsi pour ce qui concerne la vie. La santé est-elle un bien et la maladie un mal ? Non, homme. Mais quoi ? Le bon usage de la santé est un bien, le mauvais usage, un mal. - En sorte que, de la maladie elle-même, il y a moyen de tirer avantage? - Par Dieu, de la mort, n'y a-t-il pas moyen de tirer avantage? Et d'une infirmité n'y a-t-il pas moyen ? Comme on voit, le début des Mémoires démontre une fois encore, s'il en était besoin, l'extrême familiarité de Marguerite Yourcenar avec la mentalité qui caractérise « la culture de soi » au cours des deux premiers siècles de l'époque impériale. En effet, la lettre à Marc Aurèle s'ouvre par le compte rendu d'un examen médical en vue duquel l'empereur a dépouillé son manteau et sa tunique. Nudité du corps, vérité de l'être: autre métaphore du changement de registre évoqué plus haut. Hadrien comprend, malgré les formules élusives d'Hermogène, qu'il va bientôt mourir de ce mal dont il a ressenti les premières atteintes au camp de Béthar, voire un peu plus tôt encore. Cette prise de conscience explique sans doute - comme tend à le prouver le faible écart temporel censé séparer la rédaction des livres de Phlégon de celle des Mémoires -le nouveau souci de soi dont il va faire preuve. « Ce matin, l'idée m'est venue pour la première fois que mon corps, ce fidèle compagnon, cet ami plus sûr, mieux connu de moi que mon âme, n'est qu'un monstre sournois qui finira par dévorer son maître.» Le corps devient «monstre» car il attire désormais l'attention sur lui et certifie la proximité de la mort1. Jusqu'aux premiers symptômes de son mal, Hadrien s'était enorgueilli des qualités de ce serviteur, docile aux exigences du cavalier, du guerrier, de l'amant. A présent le corps de l'hydropique enfle et s'impose, inversant l'ordre hiérarchique qui donnait depuis toujours le pas à la volonté. Le constat, si douloureux fût-il, n'aurait rien que de très banal s'il se bornait à réaffirmer l'importance de la part matérielle de notre être. Plus fondamentalement, la soudaine précellence du corps malade va modifier chez Hadrien les rapports à soi, au temps et à l'espace. Nous verrons, en les envisageant tour à tour, que ces nouveaux rapports sont les moteurs essentiels de l'écriture autobiographique. 1. Le sujet divisé L'horrible pesanteur d'un corps n'obéissant plus qu'aux injonctions létales de ses cellules agit comme le révélateur d'un phénomène d'ordre plus général : l'être s'échappe, il y a en lui une part d'étran-geté. La fin de la phrase citée plus haut est particulièrement éloquente qui pose le sujet en objet («... dévorer son maître », plutôt que «... me dévorer»), tout comme l'effet d'éloignement suggéré par les déictiques (« cet ami », « ce compagnon »). Le corps malade confirme une distance de soi à soi sans laquelle la rédaction des Mémoires serait inconcevable. Sans césure du sujet, en effet, il n'est pas d'écriture de soi. C'est une donnée ontologique qui précède et induit les dédoublements scripturaires propres au genre autobiographique: celui du je en je-narrant et je-narré, celui du temps en présent de l'écriture et passé de l'existence vécue. La véritable substance d'une autobiographie, du moins d'une autobiographie digne de ce nom, n'est pas formée de la simple remémoration des actes d'une vie, mais de l'effort d'une intelligence qui s'exerce à les comprendre. Le sujet, étranger à lui-même, cherche à se rejoindre : «... il y a entre moi et ces actes dont je suis fait une distance indéfinissable. Et la preuve, c'est que j'éprouve sans cesse le besoin de les peser, de les expliquer, d'en rendre compte à moi-même. » La narration apparaît dès lors comme le moyen et non la fin de cette quête de soi poursuivie tout au long de ses mémoires par Hadrien. En quelque sorte son regard s'est «médicalisé». Hermo-gène, indifférent à l'apparence, ne voit pas l'empereur mais l'homme, et dans l'homme même « un monceau d'humeurs, triste amalgame de lymphe et de sang». C'est bien un regard similaire qu'Hadrien va désormais poser sur soi, un regard presque neutre de praticien qui, traversant les apparences, ne s'arrêtera pas aux faits, mais les interrogera ainsi que des symptômes à interpréter, des signes pouvant conduire à une plus grande intelligence de lui-même. Au surplus, c'est également d'un médecin, Léotychide, qu'Hadrien déclare avoir appris dans sa jeunesse « à préférer les choses aux mots, à [s]e méfier des formules, à observer plutôt qu'à juger ». Il est vrai que de nombreux passages des Mémoires décèlent chez le narrateur, bien avant sa maladie, une aptitude singulière au dédoublement de soi, une propension certaine à occuper la place de l'autre, ainsi qu'une satisfaction non dissimulée à pouvoir se considérer lui-même comme du dehors. Il apprend par exemple, se « modelant sur César, à dicter plusieurs textes à la fois, à parler en continuant à lire ». Dans les combats il se sent « à la fois lui-même et l'adversaire». Il rédige les discours de Trajan, se réjouissant d'entendre «prononcer des phrases qui semblaient typiques, et dont [il] était responsable». Lors des pourparlers de paix avec l'empereur parthe, il s'imagine « devenu Osroès marchandant avec Hadrien»2. Cette faculté de dédoublement n'est rien moins qu'un jeu. Elle constitue un gage de maîtrise de soi dans le même temps qu'elle donne barre sur autrui. Elle perdure au sein même du plaisir et va de pair avec une conception très «positive» du bonheur. Ce dernier n'est en effet plein et entier, aux yeux d'Hadrien, que s'il s'accompagne d'une lucidité critique et d'une application soutenue qui secondent, en les sublimant, les dons du hasard: «A cette époque [celle de la relation avec Antinous], je mettais à affermir mon bonheur, à le goûter, à le juger aussi, cette attention constante que j'avais toujours donnée aux moindres détails de mes actes ; et qu'est la volupté elle-même, sinon un moment d'attention passionnée du corps ? Tout bonheur est un chef-d'ouvre. »' Il est par ailleurs évident qu'Hadrien n'a pas attendu d'écrire ses Mémoires pour mettre en pratique le précepte delphique du connais-toi toi-même: «Une partie de chaque vie, et même de chaque vie fort peu digne de regard, se passe à chercher les raisons d'être, les points de départ, les sources. »2 Reste que le passage à « la méditation écrite » constitue un changement d'approche radical. La maladie hâte indéniablement l'envie de se connaître et intensifie le rapport à soi. Entraîné dès longtemps à s'observer, à interroger la nature de son être, Hadrien paraît désormais déterminé à trouver des réponses. Dans cette perspective, l'écriture offre un instrument d'analyse de soi sans égal. Marc Aurèle le saura bien, lui qui tiendra sa vie durant « le journal intime de son état intérieur» pour reprendre l'expression de Renan. On peut alors se demander pourq uoi Hadrien a attendu d'avoir soixante ans avant de se résoudre à méditer sur soi de la sorte, alors que la rédaction d'une précédente autobiographie ne l'y avait pas même engagé. 2. Le moment de l'écriture Si pour un Stendhal la conscience d'avoir atteint la cinquantaine revêt un caractère fatidique qui l'engage à écrire ses souvenirs3, l'âge en tant que tel importe moins à Hadrien que la certitude de sa fin prochaine. «Je commence à apercevoir le profil de ma mort. » Mors certa, hora incerta. La mort est certaine, pourtant l'indécision de l'heure en rend l'idée supportable parce qu'elle « nous empêche de bien distinguer ce but vers lequel nous avançons sans trêve (...). Mais, poursuit Hadrien, le malade sait qu'il ne vivra plus dans dix ans. Ma marge d'hésitation ne s'étend plus sur des années, mais sur des mois». Mortelle, la maladie transforme donc radicalement chez Hadrien l'expérience du temps. Le présent, qui «se mesure désormais en unités beaucoup plus petites», impose une gestion raisonnée des ressources physiques. La prescience du « terme si voisin » exige une attention lucide et une extrême vigilance permettant « d'entrer dans la mort les yeux ouverts». La dégradation physique enfin, et sa séquelle d'abandons obligés, provoque, en sollicitant la mémoire, la résurgence nostalgique du temps d'avant où rien d'autre qu'un libre acquiescement de l'esprit ne semblait devoir mesurer l'effort ou les plaisirs. Pour vivre pleinement cette expérience «totale» du temps, l'écriture est un irremplaçable outil : . ... Activité de «délassement» elle permet d'user au mieux d'un reste d'énergie insuffisant pour se consacrer longuement aux affaires de l'État. Elle rend tolérable la vacuité de l'expectation, puisque le futur semble désormais figé dans un présent sans perspective ni relief. . ... Au service de la méditation, elle prépare à la mort. Plus exactement, car Hadrien ne la redoute pas, elle autorise une réévaluation des discours habituellement tenus sur elle par la philosophie, en les rapportant à l'aune de son expérience individuelle. Nous verrons pourquoi Hadrien a en effet acquis la conviction que la mort « a d'autres secrets, plus étrangers encore à notre présente condition d'hommes». . ... Exercice de mémoire, elle permet de ressaisir le passé, de se définir en le racontant, et donc de mieux se connaître avant de mourir. A cet égard la quasi-contiguïté de l'écriture et de la mort, telle qu'elle est suggérée à la fin du roman, permet d'embrasser l'existence comme un ensemble clos. Ne faut-il pas qu'une destinée soit accomplie pour que chacun des actes qui en a ponctué la courbe puisse se voir assigner son rang et sa signification ? Le moment où Marguerite Yourcenar prête à Hadrien le dessein de se raconter ne répond donc pas seulement à des impératifs de vraisemblance historique ou psychologique, tels que la nécessité de situer l'écriture des Mémoires postérieurement à celle des livres de Phlégon (on imagine mal, en effet, le travestissement hagiographique faire suite au parti pris de sincérité). Les Carnets de notes apportent là-dessus un éclairage décisif: Prendre une vie connue, achevée, fixée (autant qu'elles peuvent jamais l'êtrE) par l'Histoire, de façon à embrasser d'un seul coup la courbe tout entière ; bien plus, choisir le moment où l'homme qui vécut cette existence la soupèse, l'examine, soit pour un instant capable de la juger. Faire en sorte qu'il se trouve devant sa propre vie dans la même position que nous. L'entre-deux frontalier, la limite qui réunit et sépare, la lisière, le sommet, les confins, sont toujours dans les Mémoires des lieux décisifs d'émergence de la vérité. Aussi la posture d'Hadrien auto-biographe est-elle fondamentalement déterminée par le moment où il entreprend d'écrire sur soi. C'est parce que la distance de soi à soi ne saurait être plus grande qu'en cet « instant » qui précède immédiatement la mort - au point d'être assimilée à la distance qui nous sépare du personnage historique! - qu'Hadrien est doué, selon Yourcenar, de la faculté de juger son existence avec un maximum de recul, de lucidité et d'objectivité. Dans le même temps, un pacte de sincérité est signé avec le destinataire. Partant, il ne faut pas s'étonner que l'annonce du projet autobiographique intervienne après une vingtaine de pages seulement, au terme d'un développement qui exacerbe le contraste entre la vie écoulée et l'état auquel se voit réduit celui qui s'apprête à la raconter : c'est une façon de souligner l'importance accordée au moment de l'écriture. De fait, dans ces premières pages â'Animula, Hadrien dresse le bilan des sacrifices imposés par l'âge et la maladie en se remémorant les jouissances procurées par ses activités de prédilection. L'ordre même qui commande cet inventaire n'est pas indifférent. Essentiellement physiques à première vue, les «plaisirs perdus» sont étroitement rattachés à des expériences spirituelles toujours plus élevées. La chasse d'abord : premier apprentissage du courage et de la mort donnée. Puis le cheval et la nage : exemples d'une entente parfaite avec les bêtes et les éléments, ils invitent à rêver la possibilité d'une sympathie universelle, permettant de partager l'existence de tous (nous avons vu ce qu'avait de typiquement yourcenarien un tel fantasmE). Vient ensuite la nourriture, « la plus simple de nos joies» : elle donne l'occasion à Hadrien d'exprimer une conception de la sagesse à hauteur humaine. Après cela, les voluptés de l'amour, qu'Hadrien juge évidemment, à rencontre des moralistes, supérieures au plaisir de boire et de manger: elles conduisent l'homme au-delà de lui-même, l'erotique offrant une voie suprême de connaissance de l'Autre, en même temps qu'elle donne accès à des mystères qui passent la logique humaine. On aurait pu s'attendre à ce que l'amour conclût cette liste; il n'en est rien; elle s'achève sur le sommeil. La place éminente accordée à ce bonheur, « l'un des plus précieux », s'explique aisément : seule expérience que l'homme puisse faire du néant, il « confine à la mort et à la résurrection». En outre, il donne à vivre une expérience tout à fait déterminante au regard du projet autobiographique, dans la mesure où elle impulse probablement, en profondeur, la quête de soi. Le sommeil sépare en effet le sujet de lui-même, et dans la phase d'éveil, libère la conscience de son enveloppe corporelle. Dans l'entre-deux du néant et du retour à l'être défini par son nom propre, on peut alors se sentir exister sans appartenir à un corps : Si totale était l'éclipsé, que j'aurais pu chaque fois me trouver autre, et je m'étonnais, ou parfois m'attristais, du strict agencement qui me ramenait de si loin dans cet étroit canton d'humanité qu'est moi-même. (...) Pour une seconde, avant de rentrer à regret dans la peau d'Hadrien, je parvenais à savourer à peu près consciemment cet homme vide, cette existence sans passé. Ce moment où Hadrien « savoure » de se considérer hors de lui-même, cet espace utopique2 d'où il est réellement possible de se voir comme un autre, récriture autobiographique vise sans doute à le restaurer partiellement. N'oublions pas qu'Hadrien est désormais insomniaque. Or, «qu'est-ce que notre insomnie, sinon l'obstination maniaque de notre intelligence à manufacturer des pensées, (...) son refus d'abdiquer en faveur de la divine stupidité des yeux clos ou de la sage folie des songes?». Le délabrement du corps a ceci au moins d'avantageux qu'il permet de garder les «yeux ouverts». Au terme de cette série de deuils, Hadrien fait part à Marc Aurèle, du désir de raconter sa vie. Pourquoi à cet instant ? Probablement parce que, comme l'écrit Michel de Certeau, « il faut mourir au corps pour que naisse récriture»1. L'autobiographie ne se conçoit pas sans un sentiment de perte, sans l'évanouissement d'une présence ; elle est un processus compensatoire, en d'autres termes, la mémoire d'une séparation. Elle requiert corrélativement une condition supplémentaire: non seulement une mise à distance de soi, mais aussi une mise à distance du monde. Le retrait, pour ne pas dire l'exil, lui est également nécessaire. 3. L'espace du retrait L'omnipotence de l'empereur se traduisait par ses nombreux voyages à travers l'Empire. L'impotence du corps, confine désormais Hadrien à sa villa de Tibur. Il la décrit comme un «immense décor». La métaphore théâtrale a son importance : cet asile où l'empereur vient jouer le dernier acte de sa vie représente, comme un fond de scène figure un lieu «réel», un monde à échelle réduite. Hadrien a réuni dans sa villa le souvenirs de ses errances et de ses plaisirs. Tout y rappelle la Grèce aimée : tel édifice évoque l'Académie, telle vallée celle de Tempe, telle prairie même ou tel coin du parc, les Champs-Elysées ou le Styx, sans lesquels la figuration du cosmos eût été incomplète. Voilà qui fait de la villa un microcosme éminemment propice à la réminiscence en ce qu'elle facilite la transition métonymique d'un espace à un autre, d'un temps à un autre : «Je savais bien que cette petite vallée plantée d'oliviers n'était pas Tempe, mais j'arrivais à l'âge où chaque beau lieu en rappelle un autre, plus beau, où chaque délice s'aggrave du souvenir de délices passées. » Cependant, au sein de cette retraite déjà limitée, Hadrien a circonscrit un espace «plus retiré encore»: ... un îlot de marbre au centre d'un bassin entouré de colonnades, une chambre secrète qu'un pont tournant, si léger que je peux d'une main le faire glisser dans ses rainures, relie à la rive, ou plutôt sépare d'elle. Ce saint des saints, qui tout ensemble relie et sépare, voué au sommeil, à la rêverie et à la lecture, est l'endroit idéal s'il en fut pour se consacrer pleinement au souci de soi, l'équivalent concret de cet entre-deux « utopique » évoqué précédemment à propos du sommeil : affranchi des contraintes de l'espace et du temps par le geste d'écarter le pont qui le rattache à la rive, Hadrien, dans l'îlot de Tibur, peut se laisser aller au rythme intérieur de la méditation. Une autre homologie souligne la relation entre la maladie et la mémoire, entre l'île et la mort : le cour de la villa comme celui d'Hadrien sont entourés d'une eau qui libère et étouffe à la fois. Ainsi, dans son ultime retraite, Hadrien reconstruit l'unité de son être, dans le même temps que les contours de son corps fluidifié se dissolvent. Ces phénomènes conjoints annoncent un glissement progressif vers la mort, envisagée non plus comme une rupture, mais comme un passage accomplissant la fusion si ardemment désirée avec l'universel. Le choix d'un interlocuteur ou les métamorphoses du tu Pareille situation d'insularité ne démarre cependant pas entièrement Hadrien de tout point d'attache. Rappelons qu'il a fait choix de communiquer ses pensées les plus intimes à Marc Aurèle. Qu'es-père-t-il au juste en s'adressant au jeune stoïcien de dix-sept ans? Pour répondre à cette question, il convient d'analyser les contextes dans lesquels Hadrien interpelle son correspondant. Les mentions du destinataire ne sont au reste pas très nombreuses si l'on considère la longueur du récit. 1. Le destinataire explicite ► On peut d'abord déceler dans les Mémoires une visée didactique. Hadrien a adopté Annius Vérus comme héritier de l'Empire à la mort d'Antonin ; la procédure d'adoption le séduit précisément parce qu'elle est un choix intellectuel supérieur à la filiation naturelle : « Ce n'est point par le sang que s'établit d'ailleurs la véritable continuité humaine»', déclare-t-il. En somme Hadrien confirme et justifie son choix en adoptant Marc Aurèle comme interlocuteur. On conçoit qu'il veuille lui laisser, outre l'Empire, un héritage spirituel et quelque chose de l'expérience acquise au cours des vingt années passées à la tête de l'État. Un tel désir de continuité s'inscrit en parfaite cohérence avec la fonction de relais qu'il s'assigne à lui-même dans l'Histoire (qu'on songe à la métaphore du bateau gréé pour l'avenir, plusieurs fois utilisée à propos de certaines grandes réalisations du règnE). De toute évidence, l'écriture de soi ne saurait se contenter d'être, chez un politique du rang d'Hadrien, une écriture pour soi. Non pas que l'empereur espère trouver en Marc Aurèle «ce continuateur docile (...) que la plupart des gens qui ont exercé une autorité absolue cherchent désespérément à leur lit de mort»2. Il est trop lucide pour cela et sait que la poursuite de l'ouvre accomplie ne saurait obliger son successeur à une allégeance inconditionnelle. Il n'en déclare pas moins, au moment où il définit la nouvelle orientation de sa lettre : « Je tiens pourtant à t'instruire... » Le rêve de continuité se lit notamment dans les recommandations précises qu'Hadrien fait à Marc. Rares au demeurant, elles portent sur des points relativement secondaires (si l'on excepte la nécessité de préserver l'entente avec les PartheS): renoncer aux contributions volontaires faites par les villes à l'empereur, poursuivre le projet de l'Odéon... Aussi est-ce plutôt les Mémoires dans leur ensemble qu'il convient de lire comme un bréviaire du Prince, à la façon des Mazarin ou des Gabriel Naudé4 de l'avenir. Un ars regendi, fondé non sur des «principes abstraits», mais sur «l'expérience » véritable du pouvoir. Ne pas faire de la guerre un instrument de conquête mais la conduire sans faiblesse lorsqu'il s'agit de préserver l'ordre et la paix, éliminer ses ennemis s'ils présentent un véritable danger pour l'État, faire preuve d'humanité, prendre le temps d'écouter..., la liste serait longue à établir des maximes qui devraient guider le futur empereur, car elles rejoignent la méditation globale d'Hadrien sur la politique et l'histoire et surplombent pratiquement de bout en bout le récit. Finalement, la visée didactique est d'autant plus prégnante que les considérations sur le pouvoir s'ancrent dans une approche très pragmatique et que leur auteur évite de se poser en modèle ou de se complaire dans le jeu d'une relation maître-disciple. . Toujours présente, l'ambition didactique se double d'une volonté de persuader, laquelle fait plus nettement encore basculer le discours du côté de l'argumentatif. Malicieux, en effet, et volontiers provocateur, Hadrien écrit autant contre Marc que pour lui, affirmant vouloir «choquer aussi» son correspondant. On pourra juger la nuance byzantine, et objecter qu'il est encore question d'éducation. A ceci près qu'il s'agit en l'espèce moins de former un caractère que de le réformer. Marc Aurèle est à dix-sept ans déjà un sévère stoïcien. Cette jeune rigueur, cette austérité précoce, effraient un peu le rédacteur des Mémoires. Il se propose donc de contre-peser, par quelques fermes mises en garde, des dispositions qui risqueraient, si elles venaient à s'ossifier, de séparer par trop le futur empereur du commun des hommes. Être «accablé de vertus », comme l'était son propre père, n'est pas nécessairement compatible aux yeux d'Hadrien avec l'ars regnandi (l'art de régner cette fois, plus exactement que l'art de gouverneR) tel qu'il le conçoit. De là ses remarques ironiques à l'endroit du garçon qui recopie «avec une application d'enfant sage» un propos méprisant sur l'union charnelle dont il ignore tout, ou qui se rend au cirque en emportant ses livres dans la loge impériale, ce qui revient à insulter les autres en paraissant dédaigner leurs joies. Un excès de sagesse n'est guère moins condamnable qu'une licence trop visible. L'écriture de soi telle que la pratique Hadrien ne s'enferme donc pas dans une relation biunivoque entre le je acteur de l'histoire et le je auteur des Mémoires. Le choix d'un destinataire comme Marc Aurèle, dernière grande figure en puissance du stoïcisme, dessine à l'arrière-plan du texte un horizon continûment et discrètement polémique: une certaine conception de la sagesse, on le verra, s'offre comme le «correctif» d'une autre. Encore et toujours, donc, Hadrien veut convaincre, exercer sur autrui un pouvoir, rallier à sa vérité. Sans illusions toutefois, et peut être sans vrai désir d'y parvenir. A cela plusieurs raisons. Tout d'abord son caractère tolérant le porte à reconnaître : « Il existe plusieurs formes de sagesse, et toutes sont nécessaires au monde ; il n'est pas mauvais qu'elles alternent. »' D'autre part il doit se douter que sa lettre sera pour Marc Aurèle ce que sont les livres pour lui, des instruments utiles mais imparfaits et menteurs puisqu'ils ne peuvent exprimer la réalité tout entière. Enfin et surtout, Hadrien a d'ores et déjà constaté à ses dépens, avec l'échec de sa politique en Judée, que l'Autre pouvait rester fanatiquement attaché à ses certitudes sans que rien, ni l'intelligence, ni la générosité, ni la force, ne puisse l'en faire démordre. La faillite du discours argumentatif est par là inscrite au cour même du projet des Mémoires. Ne serait-ce pas cet échec, angoissant parce qu'il semble condamner d'avance toute réforme et toute innovation, qu'Hadrien voudrait précisément conjurer? . Outre le didactique et Pargumentatif, on s'attendrait à croiser un autre régime discursif dans les mémoires. Mais, alors que la lettre testamentaire semble porter naturellement à la confidence ou à l'aveu, force est de constater que le destinataire n'est presque jamais interpellé dans cette perspective. La seule exception notable est la suivante : « Je t'avoue ici des pensées extraordinaires, qui comptent parmi les plus secrètes de ma vie... »2 A quoi Hadrien fait-il alors allusion? A son identification avec des guerriers barbares tués dans les combats. On a eu l'occasion de noter combien ce genre d'ivresse mimétique était intéressant pour cerner sa personnalité. Mais quoi ! il est des aveux dans les Mémoires autrement importants que celui-ci : le flou qui a entouré l'adoption par Trajan, la décision de faire assassiner certains ennemis personnels, les emportements excessifs et injustifiés, les relations avec Antinous, Lucius et les autres... Or, c'est au moment où le discours se fait le plus intime que s'estompe le profil du destinataire, au point qu'Hadrien semble même n'y plus songer. 2. Un destinataire en filigrane La preuve en est, flagrante, le chapitre Saeculum aureum. Il comporte comme on sait le célèbre épisode d'Antinous. Or tout au long de la relation de ce «grand moment de la vie d'Hadrien»1 on ne trouve pas la moindre mention de Marc Aurèle. A qui s'adresse alors le rédacteur des Mémoires? Ne serait-ce pas directement à l'ami défunt, lui signifiant par-delà la mort, qu'il l'a plus et mieux aimé que quiconque ? L'hypothèse est étayée de quelques indices, ténus certes, mais troublants. Ainsi, après avoir arrêté le plan définitif de sa succession, son dernier grand acte public, Hadrien retourne à Tibur et déclare vouloir « reprendre en paix [s]on dialogue interrompu avec un fantôme». Contemplant, dans cette même villa, «les effigies du mort», il songe également qu'il n'échappera plus «à ce silence, à cette froideur plus proche de [lui] désormais que la chaleur et la voix des vivants ». Enfin, dans les dernières pages des Mémoires, celui qui pourrait être leur authentique destinataire, longtemps offusqué, est explicitement désigné comme tel : Petite figure boudeuse et volontaire, ton sacrifice n'aura pas enrichi ma vie, mais ma mort. Son approche rétablit entre nous une sorte d'étroite complicité : les vivants qui m'entourent, les serviteurs dévoués, parfois importuns, ne sauront jamais à quel point le monde ne nous intéresse plus. A en croire les prêtres, je t'ai laissé à cet endroit où les éléments d'un être se déchirent comme un vêtement usé sur lequel on tire, à ce carrefour sinistre entre ce qui existe éternellement, ce qui fut et ce qui sera. Marc Aurèle, déjà fort peu nommé, est comme exclu de cette intime «complicité», à l'instant où le discours lui aussi s'installe en cette intersection qui n'est d'aucun temps, entre l'éternité, le pas-encore et le déjà-plus. Indice visible, parmi d'autres, de cette exclusion dans Saeculum, l'absence de la seconde personne dans ces commentaires : « Si je n'ai encore rien dit d'une beauté si visible, il n'y faudrait pas voir l'espèce de réticence d'un homme trop complètement conquis », ou bien « J'offre aux moralistes une occasion facile de triompher de moi.» D'ordinaire, Hadrien s'adresse à Marc lorsqu'il désire prévenir un risque de mésinterprétation. Si les Mémoires instaurent un dialogue, il n'est sans doute pas illégitime de soutenir que ce dernier est en vérité placé, pour ce qui concerne sa dimension proprement confidentielle, sous le signe d'une relation à l'absence. Message jeté à la mer, en quête d'un improbable et secret destinataire. 3. Du discours d'adresse au monologue autotélique Hormis les moments où le souvenir du jeune Grec hante l'esprit d'Hadrien, il en est où l'absence d'allusion à Marc Aurèle ne laisse pas de surprendre. Tandis que certaines mentions de l'interlocuteur explicite sont anecdotiques, purement conatives1, on peut s'étonner, parfois, qu'Hadrien ne songe pas à évoquer son correspondant. Comment expliquer, dans le cadre d'une confidence épistolaire, des tours impersonnels tels que : « Il faut faire ici un aveu que je n'ai fait à personne...»? De même, qui mieux que Marc Aurèle sait qu'Ar-rien de Nicomédie a passé deux ans de sa vie « dans la petite chambre froide où agonisait Épictète » afin de recueillir la pensée du vieux philosophe? L'absence de toute connivence étonne à l'instant où il est justement question de philosophie stoïcienne. Enfin, même si un ultime tu affleure brièvement dans Patientia, le récit, approchant de son terme, plus que jamais semble se boucler sur lui-même. L'Autre se virtualise, et le discours, dans un suprême mouvement d'involution, se replie sur ce qui n'a jamais cessé d'être son centre véritable, h je du narrateur. C'est pour lui, et lui seul en effet, qu'Hadrien écrit ces dernières lignes des Mémoires: «Petite âme, âme tendre et flottante, compagne de mon corps, qui fut ton hôte [...] Tâchons d'entrer dans la mort les yeux ouverts...»; réflexivité d'autant plus marquée que ces mots sont, pour l'essentiel, ceux d'un poème de sa main. Ainsi l'exhortation finale incline à penser que le tu ne fut bel et bien, tout au long des Mémoires, qu'un prétexte au déploiement du je. |
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