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La littérature allégorique du latin au français


Poésie / Poémes d'Marie de France





Poèmes et prosimètres latins du XII siècle



Ces modèles fournis par l'Antiquité tardive exerceront toute leur influence au XIIe siècle. Cette époque d'extrême activité intellectuelle et de redécouverte de la philosophie voit fleurir dans le domaine de la latinité plusieurs ouvrages dont les ambitions spéculatives s'expriment à travers un argument concret fondé sur la mise en scène d'abstractions personnifiées. Vers 1150, le De Universitate Mundi ou Cosmographia de Bernard Silvestre, déjà mentionné, prétend rendre compte de la création du monde et de l'homme sur le modèle de la cosmogonie platonicienne du limée et de ses commentaires. Cette création est l'ouvre de Noys (la pensée divinE) et de Natura, qui, après le « macroeosme », veut créer le « microcosme » (l'hommE) en suivant les conseils de Bien et avec l'aide de Physique.

Entre 1160 et 1180, Alain de Lille écrit le De planctu Naturae et l'Anticlaudianus. Dans le premier ouvrage, Nature se plaint que l'homme, fait à l'image du macroeosme, lui soit rebelle, en particulier dans le domaine de l'amour. Le second doit son titre au fait qu'il entend faire le portrait de l'homme idéal en réponse à celui de l'homme diabolique présenté par Claudien dans son Contra Rufinum. Il montre Nature désireuse de créer, avec l'assistance des Vertus, un homme parfait. Prudentia va demander l'aide de Dieu, sur un char construit par les sept Arts libéraux et tiré par les cinq Sens dirigés par Raison. Contemplant Dieu dans le miroir que lui tend Foi, elle obtient de lui qu'il fasse l'âme humaine sur le modèle de sa Noys et qu'il la lui confie. Nature fabrique le corps, Concorde l'unit à l'âme, et les Vices qui veulent détruire l'homme nouveau sont vaincus par les Vertus.

Dans un registre beaucoup moins ambitieux et moins grave, l'Architrenius de Jean de Hanville (1184) relate le voyage du héros pour aller trouver Nature à travers des lieux allégoriques (palais de Vénus, montagne de l'Ambition, etc.), mais aussi réels, comme les écoles et les tavernes de Paris.



Les débuts de la littérature allégorique en français



A la fin du XIIe siècle, l'allégorie fait son apparition dans les textes français. Ces textes, à vrai dire, ne poursuivent pas d'emblée la réflexion sur l'homme et la nature qui nourrit leurs prédécesseurs en latin - - ce sera l'originalité de Jean de Meun d'y revenir dans la seconde partie du Roman de la Rose. Les premiers sont des exercices exégétiques fondés sur la paraphrase de l'Ecriture : traductions glosées des Psaumes ou du Cantique des Cantiques, sermons au peuple commentant les lectures du jour, comme ceux de Maurice de Sully. S'y adjoindront bientôt des traductions de paraboles de saint Bernard (le Fils du roi, les Trois filles du roT), de courts traités spirituels ou édifiants dont certains sont composés directement en français, soit en prose soit en vers. On y voit les degrés de la perfection ou de la contemplation représentés par les barreaux d'une échelle, par les ailes et les plumes d'un ange (De sex alis cherubim d'Alain de Lille, traduit au XIIIe sièclE), par les branches et les rameaux d'un arbre (Livre du palmieR). Guiot de Provins décrit Y Armure du chevalier, dont les pièces, selon une représentation inspirée de saint Paul (Ephés. 6,11-17), sont les vertus qui défendent le chrétien du péché. Robert Grosseteste (1168-1253), chancelier de l'Université d'Oxford puis évêque de Lincoln, ne dédaigne pas de délaisser un moment ses importants travaux théologiques et scientifiques pour écrire en français le Château de l'Ame et le Mariage des neuf filles du diable, dont chacune est un vice et épouse l'un des états du monde (clercs, chevaliers, etc.).



L'allégorie religieuse sous-tend toute description du monde et des créatures. Elle est systématiquement présente, aussi bien que dans le De bestiis d'Hugues de Saint-Victor, dans les bestiaires français inspirés de l'antique Physiologus, qui trouvent en elle leur justification : le vieux bestiaire de Philippe de Thaon (vers 1130), celui de Guillaume le Clerc de Normandie (vers 1210), vers la même date celui de Gervaise et celui, en prose, de Pierre de Bcauvais, jusqu'au Bestiaire d'Amour de Richard de Fournival (né en 1201, mort en 1260 au plus tarD), qui la remplace malicieusement par l'allégorie amoureuse. Elle s'introduit même dans le roman arthurien avec la Quête du Graal où l'aventure chevaleresque et ses combats deviennent l'image de l'affrontement du bien et du mal, comme le révèlent aux protagonistes les signes du ciel et les commentaires des hommes de Dieu qu'ils trouvent sur leur chemin.



Dans le courant du XIII siècle, quelques poèmes exploitent de façon anecdotique la vieille personnification des arts libéraux à la faveur des circonstances nouvelles de la vie universitaire. Ainsi dans la Bataille des sept Arts (1240 au plus tarD) où Henri d'Andeli illustre à travers le combat de Grammaire contre Dialectique la rivalité des écoles d'Orléans et de Paris. Ainsi dans le Mariage des sept Arts de Jean le Teinturier d'Arras et dans la réfection anonyme de ce poème sous la plume d'un auteur qui manifeste ainsi son intérêt pour les allégories du savoir mais dont les erreurs trahissent qu'il n'y entend pas grand-chose.



Mais les plus anciens, les plus nombreux et les plus importants des poèmes allégoriques français restent fidèles à la tonalité religieuse et moralisatrice. Vers 1215, le bref (678 verS) Songe d'Enfer de Raoul de Houdcnc (ca 1170 - ca 1230) est le premier poème à présenter l'argument allégorique comme un songe du narrateur, convention appelée à un immense succès. C'est un moyen de compenser la généralité de l'allégorie par un enracinement dans l'expérience particulière du poète. I.a présence, à côté des personnifications allégoriques, de personnages bien réels, contemporains de l'auteur, va dans le même sens. Le sujet même traité par Raoul connaîtra une grande vogue : Voies d'Enfer et Voies de Paradis sont nombreuses pendant tout le XIIIe siècle et au-delà. Rutebeuf et plus tard Baudoin de Condé écriront chacun une Voie de Paradis. Autour de la thématique de Yhomo viator, illustrée entre-temps par la Divine Comédie de Dante, Guillaume de Digulle-ville composera au XIVe siècle trois longs et importants poèmes, le Pèlerinage de Vie humaine, le Pèlerinage de l'Ame et le Pèlerinage de Jésus-Christ, où l'influence du Roman de la Rose est, on le verra, explicite.



Raoul de Houdenc, à qui l'on doit aussi un roman arthurien, Meraugis de Portlesguez, a composé un autre poème allégorique, le Roman des Ailes, sur la nature et les devoirs de la chevalerie courtoise, dont chaque vertu est une aile, composée elle-même de différentes plumes. L'allégorie de l'aile est fréquente à l'époque, mais il semble que Raoul se soit particulièrement inspiré du De sex alis cherubim d'Alain de Lille, qui devait lui-même être traduit en français, on l'a dit, dans le courant du XIII siècle. Malgré l'abondance des personnifications, le Roman de Carité et le Roman de Miserere du Reclus de Molliens (vers 1220-1230) n'offrent pas une mise en ouvre de l'allégorie aussi élaborée.



En revanche, le Tournoiement Antéchrist d'Huon de Méry, sans doute un peu postérieur à la première partie du Roman de la Rose (1236?), présente pour l'histoire de la poésie allégorique un intérêt considérable. C'est le récit d'une psychomachie opposant les légions de l'Antéchrist, constituées par les vices, aux saintes cohortes. Le poème présente plusieurs originalités : un hommage initial appuyé rendu à Chrétien de Troyes et à Raoul de Houdenc ; une entrée en matière arthurienne (le narrateur provoque la venue du « chambellan de l'Antéchrist » en renversant de l'eau sur la margelle de la fontaine de Barenton, comme chez VVace et chez ChrétieN) ; une réflexion, déjà présente chez Alain de Lille, sur le bon et le mauvais amour ; un débat de casuistique amoureuse ; un mélange de personnages allégoriques, bibliques, mythologiques et littéraires, tous traités sur le même pied ; enfin, une coloration autobiographique appuyée. Le narrateur déclare s'être rendu à la fontaine de Barenton en pèlerinage littéraire, alors qu'il accompagnait l'armée royale dans une expédition contre le comte de Bretagne. A l'intérieur même de la narration allégorique, il ne se contente pas d'assister au combat des Vertus contre les Vices ; il y est blessé par une flèche que Vénus décochait à l'intention de Chasteté et, conséquence de cette blessure, il finira ses jours en religion.

Tous ces poèmes se présentent comme une expérience, une vision ou un songe du narrateur. Ils se situent donc tout à fait dans la perspective de la mise en scène du moi qui, on l'a vu dans le chapitre précédent, définit, avec le dit, l'orientation nouvelle de la poésie du XIIIe siècle. Ils sont prêts à transformer la peinture générale des mouvements de l'âme qu'est la psychomachie en aveu particulier d'une expérience individuelle unique. Cette tendance sera celle de la poésie allégorique jusqu'à la fin du Moyen Age. Mais, en ce XIIIe siècle, une ouvre hors du commun, le Roman de la Rose, marque de façon profonde et définitive toute la littérature allégorique, en même temps qu'elle transpose complètement pour la première fois le modèle de l'allégorie chrétienne dans le domaine profane, amoureux et courtois.



Le « Roman de la Rose »



Le Roman de la Rose est un poème de plus de vingt-deux mille octosyllabes, commencé vers 1230 par Guillaume de Lorris, qui s'interrompt au bout de quatre mille vers, et poursuivi par Jean de Meun vers 1270. Il raconte, sous la forme d'un songe allégorique, la conquête par le narrateur de la rose qui représente la jeune fille aimée.



Le narrateur commence en affirmant que, contrairement à l'opinion commune, il ne croit pas que les songes soient mensonges, car il voit aujourd'hui se réaliser un rêve qu'il a fait il y a cinq ans et dont il offre le récit à la dame de ses pensées en espérant qu'elle le prendra en gré. Dans ce rêve, il se levait par un matin de mai et, suivant le cours d'une rivière, parvenait jusqu'au mur d'un jardin où étaient peints d'affreux personnages, Haine, Convoitise, Tristesse, etc. Une belle jeune fille, Oiseuse, l'introduit dans le verger de Déduit (PlaisiR), sur lequel règne Amour entouré des vertus dont la pratique lui est favorable. Dans la fontaine où jadis se noya Narcisse, il voit le reflet d'un buisson de roses, s'en approche, a le regard attiré par un bouton de rose particulièrement charmant. A ce moment, Amour lui décoche une flèche qui, entrant par l'oil, l'atteint au cour. Quatre autres flèches suivent la première. Voilà le narrateur amoureux de la rose et prisonnier d'Amour dont il promet de suivre les commandements. Raison, une belle dame d'aspect un peu austère, l'exhorte à renoncer à l'amour. Mais il ne l'écoute pas et entreprend, en suivant les conseils d'Ami (un ami ainsi nommé qu'il s'est choisi pour confident comme le lui a recommandé AmouR), de faire la conquête de la rose, avec l'aide de Bel-Accueil, dont il fait la connaissance, et en dépit de Danger, Jalousie, Malc-Bouchc, Peur, Honte, etc. Il obtient un baiser, mais Jalousie, alertée, construit un château où Bel-Accueil est enfermé.



Le poème de Guillaume de Lorris s'interrompt à ce moment, au milieu des lamentations de l'amant et Jean de Meun prend le relais. Il introduit quelques péripéties nouvelles, comme l'intervention de l'hypocrite Faux-Semblant, en froc de dominicain, et d'Abstinence Contrainte, qui tuent Danger et corrompent la vieille duègne qui garde Bel-Accueil, mais surtout il multiplie les « discours » des divers personnages : nouveau discours de Raison, nouveau discours d'Ami, au milieu duquel est reproduit le discours d'un mari jaloux, discours de la Vieille, discours d'Amour, discours de Nature, discours de Genius. Jean de Meun multiplie aussi les digressions, les développements polémiques, les réflexions touchant les plus grandes questions philosophiques et scientifiques ou ce qu'on appellerait aujourd'hui les « questions de société », toujours abordées par un biais inattendu et dans un style allègre. A la fin du roman, il ne faudra rien de moins que l'intervention de Nature elle-même, secondée par son chapelain Genius - - personnage emprunté, on le sait, à Alain de Lille --, pour que le château soit pris par l'armée d'Amour et que le narrateur puisse enfin - et avec une précision indécente - déflorer la rose avant de s'éveiller.

L'ouvre pose tout d'abord un certain nombre de questions liées à la présence des deux auteurs. Nous ne connaissons le premier qu'à travers le second. Rien dans la première partie elle-même ne permet d'en identifier l'auteur ou d'en préciser la date. Mais dans la seconde partie Jean de Meun fait dire à Amour, qui invite ses hommes à attaquer le château de Jalousie, qu'il est juste d'aider Guillaume de Lorris dans sa quête amoureuse. Il nomme ainsi son prédécesseur en même temps qu'il en fait le personnage du poème poursuivi par ses soins - loin de le supplanter dans ce rôle (v. 10496-10500). Amour poursuit sous la forme d'une prophétie - puisque, dans l'argument du roman, il est un personnage dans le rêve du narrateur, identifié à Guillaume de Lorris en annonçant que ce dernier consacrera un roman à son aventure. Il cite alors les vers 4023-4028, en spécifiant que ce sont les derniers composés par Guillaume, dont il laisse entendre qu'il est mort depuis. Et il ajoute :



Puis vendra Johans Chopinel, Puis viendra Jean Chopincl, au cuer jolif, au cors inel, au cour joyeux, au corps agile, qui nestra sur Laire a Meun. qui naîtra à Meung-sur-Loire.



Ce Jean Chopinel, ce Jean de Meun, qui se présente ainsi lui-même par la voix d'Amour, prendra, nous dit-il, la suite du roman plus de quarante ans après Guillaume. Il ne nous est au demeurant pas inconnu. Probablement installé à Paris dès 1255, c'est un clerc qui a fait ses études à l'Université. A la lin des années 1260, il paraît succéder à Rutebcuf comme polémiste attitré des maîtres séculiers de l'Université contre les Ordres mendiants. Après avoir achevé le Roman de la Rose, il traduira en prose plusieurs ouvrages latins : l'Abrégé de l'art militaire de Végècc en 1284, puis les Lettres d'Abélard et d'Héloïse, la Consolation de la Philosophie de Bocce, les Merveilles d'Irlande de Giraud de Barri et l'Amitié spirituelle d'Aelred de Ricvaux, ces deux dernières traductions étant aujourd'hui perdues. Ces traductions ont été faites pour de grands personnages, auprès desquels il paraît avoir été bien introduit et parmi lesquels figure le roi Philippe le Bel. Il est également l'auteur d'un eourt traité édifiant et satirique, le Testament, tandis que le Codicille, une petite poésie pieuse, lui a sans doute été attribué à tort. Le personnage fascinera la fin du Moyen Age. Certains manuscrits donnant au vers 10535 « Clopi-nel » au lieu de « Chopinel », on fera de lui un boiteux. Les vers du Roman de la Rose qui portent sur l'astronomie et sur l'alchimie lui vaudront la réputation d'avoir été astronome, astrologue, alchimiste. Enfin, selon une légende dont on trouve la trace dès le début du XIVr siècle - légende évidemment échafaudée à partir de l'hostilité du poète aux Ordres mendiants -, Jean de Meun aurait légué aux Jacobins un coffre très lourd à condition d'être enterré dans leur église. Mais en ouvrant le coffre, les Dominicains n'y auraient trouvé que des ardoises et, furieux, auraient déterré le corps.



Certaines allusions à l'actualité dans son Roman de la Rose permettent de le dater des alentours de 1270. S'il a écrit « plus de quarante ans » après Guillaume, cela placerait le premier Roman de la Rose dans les années 1225-1230. Mais faut-il prendre cette indication à la lettre ? « Quarante ans » est une durée à valeur symbolique qui peut représenter n'importe quelle longue période de temps : les Hébreux ont passé quarante ans au désert. Nous ne sommes donc guère avancés touchant Guillaume de Lorris. On pourrait même soupçonner Jean de Meun de l'avoir inventé si quelques manuscrits ne contenaient pas la première partie du roman seule, complétée par la conclusion d'un remanieur, Gui de Mori, étrangère au poème de Jean de Meun.



Guillaume de Lorris et lui ont des perspectives, des intérêts, une tournure d'esprit, un ton tout différents, au point que Jean de Meun met certainement quelque malice à détourner l'ouvre de son prédécesseur sous le couvert de la fidélité. Guillaume de Lorris est un poète courtois. Dans sa littéralité, la trame de son roman paraît comme le développement narratif des strophes printanières de la poésie lyrique et l'explicitation de leur sens implicite. Au lieu que l'évocation de la nature printanière serve de prélude et d'occasion à l'aveu de l'amour, elle recèle en elle-même, par le jeu de l'allégorie, le tout de l'initiation amoureuse. Le service fidèle que l'amant, prisonnier d'Amour, promet à son vainqueur selon les règles chevaleresques ; les étapes de la conquête amoureuse ; les réticences et les obstacles qu'elle rencontre ; les qualités de patience, de discrétion, de soumission, de respect, d'élégance qu'elle suppose : tout est conforme à l'idéal de la courtoisie.

D'autre part, le sens allégorique, la relation du signifiant et du signifié sont élaborés de façon très cohérente et très claire. Les figures peintes sur le mur extérieur du verger sont celles des vices (parmi lesquels Pauvreté, qui n'est pourtant pas vicE) incompatibles avec l'amour ; c'est Oiseuse qui introduit le narrateur dans le verger, car il faut du loisir pour être amoureux dans les règles ; la rose représente la femme aimée ; Bel-Accueil, la part d'elle-même qui est favorable à l'amant ; Danger (la réserve ou la pudeur excessivE), Refus, Honte et Peur, ses réticences ; Jalousie et Maie-Bouche, les malveillants et les médisants, etc. De même le prologue souligne avec attention et subtilité l'articulation délicate entre la conscience du rêveur, celle du poète, ses réminiscences, ses espoirs ; entre le temps du rêve, la saison et l'heure du jour dans le rêve, le temps du souvenir, le temps de l'écriture, le temps, suggéré, de la maturation de l'amour réel : ce rêve fait quand le narrateur avait vingt ans, âge auquel Amour « prélève un droit de passage sur les jeunes gens » (v. 21-23), voilà qu'il se le rappelle cinq ans après, au moment où la découverte de l'amour réel vient éclairer le sens de l'amour rêvé. H y a enfin chez Guillaume de Lorris la volonté d'écrire un art d'aimer. 11 se souvient d'Ovide, mais il se souvient sans doute aussi de la coloration didactique habituelle à la poésie allégorique. Si on demande, dit-il, le titre du roman qu'il entreprend :



Un art d'aimer : c'est aussi de cette façon que le définit Jean de Meun par la voix d'Amour, mais en des termes différents :



Un miroir, on l'a dit plus haut, c'est une somme, une encyclopédie. Jean de Meun est un homme de son temps : il a le goût d'un savoir totalisateur. Un homme cultivé aussi, savant, curieux, profond, ironique, à l'esprit provocant et agile. C'est un clerc enfin prompt à jeter sur les choses de l'amour un regard cynique et grivois, bien éloigné de l'idéalisme courtois. L'argument narratif et la construction allégorique qu'il hérite de son prédécesseur, et qu'il traite avec quelque désinvolture, sont pour lui l'occasion de parler de tout, en un désordre qui n'est qu'apparent. On trouve, on l'a dit, dans son poème de très longues digressions, enchâssées parfois les unes dans les autres, qui donnent la parole à un mari jaloux ou à une vieille entremetteuse donnant des conseils de séduction. On y trouve aussi des exposés scientifiques et philosophiques - par exemple sur la cosmologie, le cours des astres, la question de savoir s'ils influent sur le destin des hommes -, des perfidies polémiques - sur l'hypocrisie des Ordres mendiants -, l'exposé et l'interprétation de mythes divers (Fortune, Adonis, Pygmalion, l'âge d'OR), des exemples empruntés à l'actualité, des développements ou des réflexions sur des questions débattues à son époque ou qui le préoccupent : la querelle des universaux (portant sur la nature des idées générales et la nécessité ou l'arbitraire des mots au regard de leur significatioN) ; la nature et la valeur des femmes, avec des exemples antiques et modernes, de Lucrèce à Héloïse ; l'apparition de la propriété et des hiérarchies sociales, qui a consacré la disparition de l'âge d'Or ; et, bien entendu, la nature et les lois de l'amour.



Sur ce dernier point, ses positions - ou plutôt celles qu'il prête à ses personnages, car jamais il ne s'engage en son propre nom - ne sont nullement celles de la courtoisie : il faut obéir en tout à la nature et satisfaire l'instinct sexuel, gage de fécondité, qu'elle a placé en nous. La fidélité est un leurre : Nature n'a pas créé Robin pour la seule Marion ni Marion pour le seul Robin, mais « toutes pour tous et tous pour toutes ». Signe de cette rupture avec les valeurs qui sont celles de Guillaume de Lorris, la rose, qui chez ce dernier représente la femme aimée, ne désigne plus chez Jean de Meun que son sexe, tandis que la jeune fille tend à se confondre avec Bel-Accueil, qui, dans le système mis en place par Guillaume de Lorris, ne représente que la part d'elle-même favorable à l'amant. Amour, tout-puissant chez Guillaume, est ainsi soumis chez Jean de Meun à Nature et à Raison, dans une apologie de l'hédonisme qui prétend se fonder sur l'ordre divin, confondu avec celui de la nature.

Par l'ironie, par la subversion, Jean de Meun conduit ainsi l'ouvre de son prédécesseur là où elle ne voulait pas aller. L'apparente confusion de son poème dissimule une sorte de progression dialectique rigoureuse : après que tous les personnages - Ami, la Vieille, Faux-Semblant ont fait apparaître, directement, ou de façon détournée, ou par antiphrase, le caractère factice de l'amour courtois et son hypocrisie essentielle, Nature et Genius peuvent prêcher la vérité de l'amour selon la nature. C'est cet amour, affirmc-t-il non sans audace, que l'on trouve dans le jardin de l'amour divin, où l'on jouit d'un éternel présent sans passé ni futur et qui est supérieur au jardin du rêve, de la réminiscence et de l'espoir frustré dans lequel était entré Guillaume.

L'aisance élégante de Guillaume de Lorris, l'habileté avec laquelle il garde au signifiant toute sa valeur et toute sa séduction concrète sans brouiller pour autant le sens second ; la puissance intellectuelle, la profondeur, la verve de Jean de Meun, la densité de son style : la chance du Roman de la Rose est d'avoir eu deux auteurs à la fois aussi différents et aussi remarquables.

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Marie de France
(1160 - 1199)
 
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Portrait de Marie de France

Biographie / chronologie

Marie de France est une poétesse médiévale célèbre pour ses lais - sortes de poèmes - rédigés en
ancien français1. Elle a vécu pendant la seconde moitié du XIIème siècle, en France puis en Angleterre,
où on la suppose abbesse d'un monastère, probablement2 celui de Reading.

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