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Marie de France



Le rossignol - Poéme


Poéme / Poémes d'Marie de France





Je vais vous raconter une aventure dont les
Bretons firent un lai.
On le nomme
Laostic, il me semble ; c'est ainsi qu'ils l'intitulent dans leur pays.
Cela veut dire rossignol en français et nightingale éh"bon anglais.

Dans la région de
Saint-Malo, il y avait une ville réputée.
Deux chevaliers y habitaient et y possédaient chacun une maison forte.
La valeur des deux barons avait fait la réputation de la ville.
L'un avait épousé une femme "Inleïïïgente, courtoise et avenante.
Elle se faisait merveilleusement apprécier pour

sa conduite qui respectait l'usage et les bonnes manières.
L'autre était un jeune célibataire
Bîèn connu entre ses pairs pour son courage et sa grande valeur.
Il menait une vie fastueuse, participait à de nombreux tournois et dépensait

généreusement.

Il donnait volontiers ce qu'il possédait.
Il tomba amoureux de la femme de son voisin. À force de requêtes et de prières mais aussi à cause de ses grandes qualités, il finit par obtenir l'amour passionné de la dame, d'abord pour le bien qu'elle entendit dire de lui mais aussi parce qu'il habitait tout près d'elle.
Ils s'aimèrent en toute sagesse.
Ils prirent soin de se cacher et d'éviter d'être découverts, dérangés ou soupçonnés.
Cela ne leur était pas difficile car leurs demeures étaient toutes proches.
Leurs maisons étaient voisines ' ainsi que les grandes salles de leurs donjons.
Il n'y avait pas d'autre obstacle ni d'autre séparation qu'un grand mur de pierre grise.
De la chambre où elle couchait, en se mettant à sa fenêtre, la dame pouvait parler à son ami de l'autre côté et lui pouvait faire de même.
Ils pouvaient échanger des cadeaux en se les jetant et en se les lançant.
Ils n'ont aucun motif de déplaisir et tous deux sont très heureux, excepté qu'ils ne peuvent être ensemble à loisir car la dame était étroitement surveillée quand son ami se trouvait dans le pays.
Ils avaient néanmoins une consolation, car de nuit ou de jour ils avaient la possibilité de se parler.
Personne ne pouvait les empêcher

d'aller à la fenêtre

et d'avoir des entrevues.

Pendant longtemps, ils se sont aimés de la sorte

jusqu'à l'arrivée d'un printemps '

oùlés bosquets et les prés ont reverdi

et où les jardins ont refleuri.

Les petits oiseaux avec une grande douceur

chantaient leur joie au sommet des arbres en

fleur.
Il n'est pas étonnant alors que celui qui a la liberté d'aimer s'abandonne à

l'amour. À propos du chevalier, je vous dirai la vérité : il s'y adonne autant qu'il peut, tout comme la dame de l'autre côté, en paroles et en regards.
La nuit, quand la lune luisait

et que son mari était couché, souvent elle le quittait pour se lever et pour passer un manteau.
Elle allait se mettre à la fenêtre pour son ami dont elle savait qu'il en faisait tout autant

et passait la plus grande partie de la nuit à veiller.
Ils avaient du plaisir à se voir, à défaut d'autre chose.
Tous ces levers et tous ces séjours près de la

fenêtre finirent par susciter la^çqlère du mari qui demanda maintes fois à sa femme pourquoi elle se levait et où elle allait. «
Seigneur, lui répondit la dame, il ignore ce qu'est la joie en ce monde celui qui n'entend pas le rossignol chanter.

C'est pour cela que je vais me placer près de la

fenêtre.
J'y écoute son chant si doux la nuit que j'en ressens une grande joie.
J'y prends un tel plaisir et j'en ai un tel désir que je ne puis fermer l'oil de la nuit. »
Quand le mari entend ses paroles, il ricane de colère et de fureur.
Il médite un plan : il prendra le rossignol au piège.
Tous les domestiques de sa maison se mettent à fabriquer pièges, filets et lacets qu'ils disposent ensuite dans le jardin.
Il n'y a ni coudrier ni châtaignier où ils ne mettent des lacets ou de la glu si bien qu'ils capturent et gardent le rossignol.
Quand ils l'eurent pris, ils le remirent vivant à leur seigneur.
Celui-ci, tout heureux de le tenir, se rendit dans la chambre de la dame. «
Dame, dit-il, où êtes-vous ?
Approchez donc !
Venez me parler !
J'ai pris au piège le rossignol qui vous a tant fait veiller.
Désormais, vous pourrez dormir en paix, il ne vous réveillera plus. »
Quand la dame l'entendit parler ainsi, elle fut triste et affligée.
Elle demanda le rossignol à son mari qui le tua par pure méchanceté.
De ses deux mains, il lui brise le cou - ce fut un geste totalement ignoble - il jeta ensuite le corps sur la dame de sorte qu'il fit une petite tache de sang

sur le devant de sa robe, juste à l'endroit du cour.

Après quoi, il quitta la chambre.

La dame prend le petit oiseau,

pleure à chaudes larmes et maudit

tous ceux qui ont trahi le rossignol

et qui ont fabriqué pièges et lacets

car ils l'ont privée d'une grande joie.

«
Hélas, dit-elle, quel malheur pour moi !

Je ne pourrai plus me lever la nuit

ni me tenir à la fenêtre

et continuer à voir mon ami.

Je ne sais qu'une chose de sûre,

c'est qu'il va croire que je le délaisse.

Il faut que je trouve une solution,

Je lui enverrai le rossignol

et lui ferai savoir ce qui est arrivé. »

Dans une pièce de brocart

où toute leur histoire était brodée ' en fil d'or,

elle enveloppe le petit oiseau.

Elle fait venir un de ses domestiques,

lui confie le message

et l'envoie à son ami.

Le domestique arriva chez le chevalier,

il lui transmit les salutations de sa dame,

lui fit part de son message

et lui remit le rossignol.

Quand il lui eut tout dit et raconté,

le chevalier qui l'avait bien écouté,

éprouva de la peine pour ce qui était arrivé.

Mais il ne tarda pas à réagir fort courtoisement.

Il fit forger un petit coffre,

non pas en fer ni en acier,

mais en or pur serti de pierres précieuses

d'une très grande valeur,

avec un couvercle bien fixé.
Il place le rossignol à l'intérieur puis il fait sceller la châsse ' qu'il emporte toujours avec lui.

On raconta cette aventure qui ne put rester longtemps cachée.
Les
Bretons en firent un lai que l'on intitule
Le
Rossignol.

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Marie de France
(1160 - 1199)
 
  Marie de France - Portrait  
 
Portrait de Marie de France

Biographie / chronologie

Marie de France est une poétesse médiévale célèbre pour ses lais - sortes de poèmes - rédigés en
ancien français1. Elle a vécu pendant la seconde moitié du XIIème siècle, en France puis en Angleterre,
où on la suppose abbesse d'un monastère, probablement2 celui de Reading.

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