Marie de France |
Le Roman de la Rose connaîtra un succès prodigieux. Nous en connaissons plus de deux cent cinquante manuscrits, alors que l'immense majorité des ouvres médiévales en langue vulgaire est conservée dans moins de dix manuscrits, et pour beaucoup d'entre elles dans un ou deux seulement. L'esprit polémique et les positions provocantes de Jean de Meun, ses incitations à la liberté amoureuse et son antiféminisme apparent, après avoir inspiré toute une littérature satirique des Lamentations et des Méditations de Gilles le Muisit au long Miroir de Mariage d'Eustache Deschamps, susciteront, au tournant du XIV et du XV siècle, une « querelle du Roman de la Rose », dans laquelle interviendront Jean Gerson, Christine de Pizan, Jean de Montreuil, Gontier et Pierre Col, les deux premiers pour l'attaquer, les trois autres pour le défendre. Gerson reproche à Jean de Meun d'inciter à la luxure, d'habiller son immoralité de métaphores et d'un vocabulaire religieux, de prétendre la justifier par la voix de Raison, fille de Dieu, de promettre par celle de Genius le paradis aux fornicatcurs, de calomnier les femmes, accusation sur laquelle Christine de Pizan s'attarde particulièrement. Les défenseurs du Roman font valoir qu'on ne peut faire grief à Jean de Meun des opinions soutenues par ses différents personnages, car rien ne dit qu'il les prend à son compte. Surtout, ils invitent à pénétrer les « mystères » de l'ouvre, mot par lequel l'exégèse désigne le sens spirituel dissimulé derrière la lettre. Autrement dit, ils traitent le Roman de la Rose comme les ouvres de l'Antiquité dont on estimait que sous le voile du paganisme elles contenaient une vérité sur le monde et sur Dieu. Ironiquement, le poème qui avait consacré un usage profane de l'allégorie est défendu à la fin du Moyen Age au nom des principes de l'exégèse et se voit appliquer par ses admirateurs - de façon abusive, d'ailleurs, puisque c'est une ouvre de l'ère chrétienne - une lecture analogue à celle que Bernard faisait de l'Enéide. Bien plus, l'élaboration du système allégorique constitutif de l'ouvre (l'allégorèse dans le vocabulaire de Hans Robert JausS) se trouve ainsi, d'une certaine façon, dévaluée au profit de la lecture allégorique à qui est seule confiée la mise à jour du sens. Mais bien avant cette querelle et en dehors de l'intérêt explicite et intellectuel pour les questions débattues par Jean de Meun, l'allégorie s'impose désormais, et pour une grande part à l'imitation du Roman de la Rose, comme mode de pensée et d'expression poétique. Le songe allégorique, en particulier, devient une convention habituelle de la poésie, personnelle ou didactique. Le jeu qu'il suppose entre le caractère particulier de ce qui se prétend une confidence autobiographique et la généralité de l'itinéraire amoureux nourrira la poésie du XIVe siècle. Les personnages de Guillaume de Lorris, surtout ceux où s'incarnent les dispositions diverses de la jeune fille (Bel-Accueil. Danger, Refus, Honte, PeuR), les personnifications telles que Nature ou Raison mêlées aux figures mythologiques comme Vénus deviennent le bien commun des poètes dont traitera le prochain chapitre. Pour ne citer que quelques exemples, tous ces traits, ou certains d'entre eux, se trouvent à la fin du XIIIe siècle dans le Dit de la Panthère d'Amour de Nicole de Margival et au début du XIV siècle dans la Messe des Oiseaux de Jean de Condé, deux ouvres qui, dans des registres différents, s'inspirent directement du Roman de la Rose. Ils se trouvent d'une façon générale dans une bonne partie de l'ouvre de Jean de Condé et dans toute celle de Watriquet de Couvin. Vers 1330, l'influence du Roman de la Rose est à la source de l'ouvre entière du moine de Chaalis Guillaume de Digulleville : son Pèlerinage de l'Ame et son Pèlerinage de Jésus-Christ dérivent de son Pèlerinage de Vie humaine ; or ce poème lui-même se présente dans ses premiers vers comme une vision du poète endormi après avoir lu et médité le Roman de la Rose dont il est une sorte de critique édifiante. A la fin du siècle, les Echecs d'Amour, tout en s'inscrivant dans la tradition ovidienne, sont à beaucoup d'égards très proches du Roman de la Rose, dont ils constituent « comme une relecture » (Pierre-Yves BadeL). Vers 1395, le Chevalier errant du marquis Thomas m de Saluces traite le poème de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun avec une révérence qui va jusqu'au plagiat et en 1457 le Livre du Cuer d'Amours espris du roi René d'Anjou s'en réclame explicitement. Ces livres écrits par des princes reflètent leurs goûts de lecteurs. En mêlant à l'atmosphère chevaleresque héritée des romans bretons l'univers du Roman de la Rose, ils révèlent quels domaines de la littérature exercent sur eux la plus grande fascination. Et ce ne sont là que quelques exemples. Il n'est pourtant pas certain que l'allégorie connaisse un succès croissant jusqu'à la fin du Moyen Age comme on en a souvent l'impression. Elle triomphe du XIIIe au début du XV siècle, mais une étude attentive ferait peut-être apparaître qu'elle est plus tard moins présente. Dans le domaine de l'iconographie, des historiens de l'art (Michael CamillE) ont déjà observé que certaines abstractions (les vices et les vertus, les quatre élémentS) représentées au XIIIe siècle par des personnifications sont figurées à l'extrême fin du Moyen Age par des scènes ou des tableaux concrets qui les évoquent dans leur généralité à travers une illustration et une application particulières. La même désaffection, certes très relative, apparaîtrait sans doute dans le domaine littéraire, au moins hors du domaine religieux. Mêler l'allégorie et l'aventure, comme le faisaient de façon très diverse le Roman de la Rose, la Quête du Graal, les avatars tardifs de Renart, est un procédé romanesque apprécié pendant tout le XIV siècle, mais qui au milieu du XVe siècle paraît une survivance désuète dans le Livre du Cuer d'Amour espris du roi René. De même, l'usage systématique de l'allégorie est un trait de la poésie du XIV siècle. Dans celle de Charles d'Orléans, l'allégorie est constamment esquissée, avec une brièveté fugitive, pour unir les états d'âme aux petites choses concrètes de la vie. Mais elle n'est précisément qu'esquissée. Personnifications et « réifications » ne sont guère plus que des agents abstraits chargés de tracer, avec un certain tremblé, les perspectives d'une profondeur où le poète, dans sa nonchalance, renonce à s'enfoncer. Seul le cadre de l'autobiographie amoureuse tracé, à l'imitation du Roman de la Rose, dans la Retenue d'Amour et le Songe en complainte poursuit avec cohérence la construction de l'allégorie. Encore Charles d'Orléans, après vingt-cinq ans de captivité en Angleterre, est-il au milieu du XV siècle un personnage d'une autre époque, dérouté par les modes nouvelles. Ces modes, qui vont fleurir avec les rhétoriqueurs, portent la poésie vers le jeu linguistique plus que vers l'approfondissement de la signifiante et la recherche d'un sens second. Après avoir exercé une domination de plus en plus grande sur la pensée et sur l'art littéraire, l'allégorie voit donc peut-être son succès s'estomper à la fin de la période traditionnellement définie comme le Moyen Age. Si elle était vérifiée, cette évolution ne serait pas sans signification. L'allégorie médiévale n'a pas, on l'a vu, la pauvreté redondante que nous lui prêtons. Elle a une valeur herméneutique par sa capacité à mettre en lumière les correspondances qui structurent l'univers et à exprimer des réalités psychiques trop obscures ou trop brûlantes pour pouvoir aisément être désignées ou analysées directement. Quand la pensée moderne, plus sensible aux distinctions et aux oppositions qu'aux correspondances et aux analogies, plus attentive à la causalité qu'au sens, lui refusera cette valeur herméneutique, elle se desséchera, cantonnée dans le rôle d'ornement littéraire. |
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Marie de France (1160 - 1199) |
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Portrait de Marie de France | |||||||||
Biographie / chronologieMarie de France est une poétesse médiévale célèbre pour ses lais - sortes de poèmes - rédigés en ancien français1. Elle a vécu pendant la seconde moitié du XIIème siècle, en France puis en Angleterre, où on la suppose abbesse d'un monastère, probablement2 celui de Reading. |
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