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Michel Leiris



écumes de la havane - Poéme


Poéme / Poémes d'Michel Leiris





I



Noire géométrie

sur l'ombre incohérente,

une montagne qui n'est qu'une aile

volant immobile vers
La
Havane

et tout en haut

- ou tout au bout -

un feu.

Dans peu d'instants, allumée par un autre feu, l'aurore pointera en bas derrière le gel du hublot.



II



J'aimerais dire que la pluie nous ligotait de ses cordes, qu'elle dressait autour de nous les murs de son château d'eau.



Mais je, ce n'est pas tu, ce n'est pas il, ce n'est pas vous, ce n'est pas nous.

Moi seul je songe

à ces torrents subis dans la clarté d'un même instant

et crée

- sur le papier -

le lieu où nous serait chez lui.



III



Comme si la perle n'existait que dans la saumure de son buitre, le lion dans sa brousse, l'agneau dans sa bergerie, amarres rompues, la fièvre tombe, le ciel s'éteint, la dorure s'écaille.

Bientôt

quand je foulerai le sol d'hiver

tout me criera que je trahis.



IV



Pour rêver,

le jour pas encore délesté

de ses aubes et de ses couchants trop tendres

- sorbets

ou punchs à flamme safranée -

est moins avare que ne sera la nuit.



V



Quel singe aux babines bleues

planterait en terre des images,

faux grains,

faux poids,

mais peut-être faux mensonges

si ces reflets fructifient?

Plus tard,

chez
Natte-Révoltée et sa fille
Alina,

j'irai voir si le sol du jardin

ne s'est pas rebellé

contre les doux arbustes neufs

et leur discours sans paroles.



Vi



Montrées avec des vivants sous les feux d'un même théâtre,

petites et dures

les marionnettes sont éclipsées

par les figures humaines embobelinées dans la lumière

tissant ce spectre, leur beauté.

Brume sans opacité,

douce cosse brillante dont l'infinie minceur

les offre plus fraîches,

bien que plus pâles et plus distantes,

retranchées derrière le rien qui les enserre

et les colle au regard.



VII



Perdue cette allure déliée,

poursuivre dans l'ennui

ce qui fut entamé dans la joie,

m'engluer pour me renflouer,

étayer ma ferveur

en m'asseyant à une table de bureaucrate,

n'est-ce pas l'erreur après quoi

je n'aurais qu'à tirer l'échelle?



VIII



En tuyaux d'orgue

mes dents si hautes,

si longues,

pareilles à celles de l'ogre qui me mange

et qui à jamais m'empêchera, coureur trop vite essoufflé, de rattraper cette révolution pour,
Fortune, la saisir aux cheveux.



IX



Tant qu'à la froide neutralité de la feuille blanche

en divaguant

je n'aurai pas infusé sa brûlure,

le poison qui me tourmente

ne cessera de ronger mes entrailles.



X



De ces réalités

qui m'ont rendu à la vie

restera-t-il autre chose qu'un parfum

au creux le moins accessible de ma tête

quand j'aurai basculé

du côté de nos méridiens?



XI



Pour ranimer

je dois parler.

Mais comment parlerais-je

dès lors que la coupure me laisse inanimé?



XII



Grande chasse aux nuages, saute-mouton,

jeu de bagues.

J'ai tout loisir

d'observer et d'imaginer,

assez de loisir pour que le temps vide

s'ouvre à perte de vue

et, doigt posé sur les lèvres,

m'attire vers son point de fuite.



XIII



Évanouis les palmiers

résorbés dans l'éclaboussement de leurs palmes,

trouverai-je un regain

là où la plaine se déplie comme un lit

si bien bordé

qu'il ne peut inciter qu'au sommeil?

Découvrir l'agriculture interne

qui permettrait de faire pousser en soi

les folles essences faute de quoi

il n'y a pas de nourriture qui tienne.



XIV



Mirage passé,

non futur comme l'achèvement de la révolution,

c'est cela que,

mises en place par mon retour à ma place,

sont devenues ces heures

durant lesquelles il me semblait

que d'innombrables mains me portaient

plus haut que je ne porte le front.



Mirage ancien,

de regret plutôt que de soif.

Mais si vers un avenir pour nous présent l'étoile plus que millénaire a projeté son rayonnement, mon courage se fera diamant.



XV



Le chemin grand ouvert

avec le soleil au bout

s'embrouille

dès que le jour met bas les armes.

On tâte, on se fourvoie,

la faute n'en est à personne.

Pour gagner le terrain hors cadastre il n'y a pas de voie royale.



XVI



À
Sagua la
Grande

on habite des maisons de dentelle :

le bois festonne de stalactites les vérandas,

le stuc propose ses décors de bûche de
Noël,

le fer, en se contournant,

copie les ondins et les elfes.

A
Sagua la
Grande

on rencontre des camarades

-
Casimiro,

Tranquillino -

mais les diables qui eux aussi

devraient être nos camarades

ne viennent plus que par ouï-dire

et ne circulent que de bouche à oreille.



XVII



Être l'une des cervelles fêlées que l'on soigne, à
Cuba, en leur faisant élever des poules et cultiver des rosiers
I

En moi remous et visées,

flamme et glace,

sang et idée

se sont malignement soudés.

Rouges ou noirs,

les dieux d'aucune sainterie

ne sauraient dissoudre ce bloc viscéral

que j'essaye en vain de changer en cristal.



XVIII



Drogue sonore

filtrée par la rousseur des cloisons,

le lancinement précipité d'un paso-doble

escorte

la marche sans rythme de l'ascenseur.

Celle qui debout

régit le voyage vertical

est-elle la fille épaisse

mais non sans grâce

dont le visage débonnaire a l'air un peu chinois?

Dans ma poitrine,

je le sais,

défile une entière cuadrilla.



XIX



Opération contre-arc-en-ciel :

pas d'oil mi-clos vers les nuées,

pas de recours éperdu à un prisme

distillant ses mille couleurs,

pas de contorsion incurvant à l'extrême

une échine de bête prise au piège,

pas de plongée dans l'absence

d'un alcool trop tôt évaporé,

arête de silex,

le désir de devenir ici

l'homme sans tavelures ni eaux-mortes

que sous le vent décapeur

je me voulais là-bas.

Guanabacoa

ancré en moi

avec son cortège de petites rues

et son musée où une vieille auto

dort dans une forêt de reliques et de documents,

basque ou indien,

au souffle de quel astre

ce nom est-il allié

pour maintenant se glisser entre deux eaux

et me hanter,

quand

sur l'autre versant de la mer

je ne l'apprenais jamais

que pour le laisser fuir...

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Michel Leiris
(1901 - 1990)
 
  Michel Leiris - Portrait  
 
Portrait de Michel Leiris

La vie et l\'Ouvre de michel leiris

Né à Paris en 1901, Michel Leiris commence à écrire vers l'âge de vingt ans, bientôt soutenu par son aîné, le peintre André Masson, qui lui découvre tout un univers. Dès 1924, l'année où André Breton publie le Manifeste du surréalisme, il participe à ce mouvement, dont il se séparera en 1929, sans renoncer aux buts de total affranchissement psychologique et social que les surréalistes s'étaient as

Biographie / bibliographie

20 avril 1901 Naissance à Paris

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