Michel Leiris |
Le soleil qui se lève chaque matin à l'est et plonge tous les soirs à l'ouest sous le drap bien tiré de l'horizon poursuit son destin circulaire cadre doré enchâssant le miroir où tremblent les reflets d'hommes et de femmes jetés sur une ombre de terre par l'ombre d'une main qui singe la puissance O fusées il y a trop longtemps que nous enchante l'araignée solaire pendue au fil à plomb de l'heure Echelon par échelon la mort remonte de son puits et la roue immobile révèle son squelette de rayons Que toutes les pierres se fendent et que les frondaisons se penchent pour saluer cette Vérité dépouillée jusqu'aux os une figure se dresse au-dessus de la margelle ronde qui auréole la profondeur D'occident en orient un voyageur marchait serrant de très près l'équateur et remontant en sens inverse la trajectoire solaire Ses regards agrippés aux forêts peignaient leurs sombres chevelures et ses mains balancées selon le mouvement de ses pieds caressaient les lueurs à rebrousse-poil comme s'il avait entrepris de forcer le cours de son destin d'heure en heure et de jour en jour en le prenant à contre-sens De lieu en lieu la nuit oisive le suivait Au bruit de ses pensées il la faisait danser ainsi que font les montreurs d'ours et quand la bête lasse se couchait hissée sur la boule du monde c'était l'aurore qui se montrait nudité fine étincelante et blanche De l'Atlantique à la mer Rouge fuyant l'Europe le voyageur allait sans femme autre que les idoles pour qui des cierges flambaient dans sa tête et les sirènes imaginaires nageant dans l'eau obscure de ses yeux Il y avait beau temps qu'était enterrée la douceur du clair de lune qui s'enroule autour de longs cheveux et que l'amour ne lui était que paillasse à terreur qu'on y dorme tout seul ou qu'on y couche à deux Le couperet des jours signait les aubes glauques d'un coup d'ongle fatal aux espoirs trop touchants et de leurs cous marqués jaillissait ta voix rauque guillotine du ciel qui tends tes bras méchants La foudre aventurait son sexe jusqu'en terre Les blés couchés lui répondaient en soupirant poils d'or et les sillons amoureux du tonnerre déchirés de sanglots s'ouvraient à tous les vents C'était la peste et la misère Ombres et feux se poursuivant dans la cave du jour où pourrit la lumière lèpre si pâle au cou de l'univers mendiant O tempête Tes plis profonds ont pu rider ma bouche amère et lacérer ce cour qui pend entre mes côtes tel un quartier de viande à l'étal d'un boucher de trop de passions mon corps fut mauvais hôte pour qu'aujourd'hui je marche autrement qu'yeux baissés Éternel humilié dont le désir ulule piètre amant j'ai toujours été l'ours mal léché et je porte pourtant ivrogne émerveillé au creux de ma poitrine une rose qui brûle Telle devant la niche où dort un saint de pierre fotus rêvant de tout son crâne déplumé et muet dans l'utérus comme un mort dans sa terre coule une cire que l'ardeur de sa flamme fait suer Telle face au miroir qui quadruple la paire de bergers s'embrassant entre les chandeliers une veilleuse presque éteinte change en suaire les draps du couple parental dont craque le sommier Et l'enfant réveillé sent vivre le silence troublé par ce seul bruit émané du fumier des membres confondus grâce à la morne science de l'amour qui ahane un jugement dernier Il songe en écoutant son cour battre trop fort à l'horreur d'être adulte bien qu'il sente se faufiler en lui ainsi qu'un filon d'or cette flamme légère et toujours laminée montant pour l'ex-voto ou le dessus de cheminée Jeu des sexes bandés qui perpétue l'engeance en flux et en reflux de pieuvres rejetées j'ai toujours redouté l'abjecte effervescence des corps secoués de soubresauts et des chairs hérissées L'alcool a beau rouler dans mes veines hilares délire torrentiel sans arche de Noé ni drogue ni plaisir n'apaisent mes dieux lares âpres au gain comme un soldat au sang versé Je marche sous les cieux dont le désert est l'ombre et compose avec eux un triste sablier double cône où le temps est un bateau qui sombre au Maelstrom engloutissant les passagers Car il faut que la nuit succède au jour qui ente ses rameaux éclatants sur un sol torréfié il faut qu'après l'amour les corps suivent la pente mauvaise à toute chose en mal d'éternité Si les bolides choient les animaux s'endorment Vues à distance les montagnes se déforment et son ventre chargé de futurs ossements fait de la femme pleine un sépulcre mouvant Tout décroît La pluie est l'agonie du nuage Le disque de la lune s'amenuise en croissant Le ciel se meurt en vent quand les eaux le ravagent et ses rides se muent en longs sifflets stridents Le vent meurt en haleine quand trop de bouches le tettent L'haleine expire en buée sur la vitre ternie quand l'espace la suce impalpable squelette qui pour seule règle de mesure a ses tibias blanchis Ainsi la soif s'étanche Ainsi la fleur se fane Du zénith au nadir des passions assouvies vaincu le sexe tombe en astre tournoyant et l'unique immortelle est la rose-des-vents Il disait et sa voix se mêlait au bêlement des chèvres au cri des coqs au rire des filles dans les villages traversés Derrière lui les pays se refermaient comme des lèvres ouvertes un instant pour la morsure ou le baiser L'Afrique se dénudait rejetant les bijoux qui tintaient entre ses seins proéminents et des chants la secouaient toute entière comme un vent de tornade tandis que le sang lourd des sacrifices coulait entre ses jambes suantes menstrues éternelles et violentes Épiant les augures d'oiseaux fidèle à sa boussole à la pointe bleu nuit l'homme passait et dédaignait les femmes qui lui offraient leurs statures musculeuses leurs chairs gaufrées d'effigies ancestrales et parfumées d'un relent aigre malgré les fards dont leur peau était ointe pareille à leur mémoire fardée d'un sédiment de mythes Plus seul qu'un plomb de sonde il courait l'univers et partout son ombre le suivait double de lui-même écrasé par la honte de cette errance sans espoir dans une vie sans cour Loin vers le nord dans un port de la Méditerranée au fond d'une taverne borgne un homme aux vêtements fatigués chantait la rose et le cristal Sa voix rampait jusqu'à sa bouche hors de son cour qui lui tirait les chairs Tel le poids d'une balle dans le ventre l'amour le casse en deux quand il le touche D'un geste bref s'il vide un verre de vin je bois l'eau pure de ma mort D'un coup de main si avant de chanter il replace sa ceinture la crasse de son veston lustré est son unique lest sur terre L'ombre pend au soleil comme une bannière à sa hampe comme un nouveau-né à la mamelle nourricière comme une amoureuse aux deux bras noueux qui prolongent un torse L'homme pend ù son ombre comme une corde à la potence comme une charogne au noud coulant comme un hibou au chambranle d'une porte Ainsi l'homme pend au soleil comme un trophée à la muraille comme un été à son printemps comme une tête à ses cheveux et quand le soleil de midi scalpe l'ombre l'ombre renaît au cour de l'homme et quand le soleil descendu étouffe l'homme l'ombre renaît corps de la nuit dont toutes les cuisses ouvertes pour l'amour sont les colonnes Murs moisis j'aime les longues traces d'étoiles que laissent les affiches déchirées les plâtras la suie des cheminées et les papiers criblés de fleurs dentelles aux dessous mal soignés d'une femme Dans sa mémoire où les villes montaient toutes clignotantes de lumières et de frissons des marchés étalaient leurs denrées sur les places et la foule ondoyait ainsi qu'une moisson A pleins paniers les trafiquants offraient à tous les richesses du monde claie d'osier où nos vies sont groupées en rosaces écailles froissées mimant l'asphyxie des poissons Dans les hôtels meublés champignonnaient les râles des amants accouplés ô huître en qui mûrit la perle du plaisir sous la nacre du mâle quand les flots radoteurs battent leurs vieux tapis La ruelle s'éveillait pour les querelles de ménage cris et coups pleuvant dru après la pâmoison L'enfant battu pleurait de ses yeux gros de nuages ocreux qui survolaient la fétide prison Dans des chambres perdues de grises accoucheuses prenaient le bain de sang qu'il faut chaque matin à leurs mains délabrées - froides ensorceleuses qui fourgonnent les chairs plus âprement que des putains Aux vitres se posaient les maigres faces blêmes d'orphelins nourris d'os et vêtus de sarraux couleur de l'insoluble et mobile dilemme qu'imprimait sous leur front le givre des carreaux De grands oiseaux fuyant la terre bâtissaient des cercles que jugeait encore trop étroits le regard de l'enfant s'il heurtait la paroi du ciel grandi par la souffrance de son oil comme un étang blessé par le jet d'une pierre Enfant toujours perdu es-tu fils de ton ombre accrochée à tes pieds poulpe d'encre ou boulet du forçat qui mesure son destin au nombre des chaînons liés à lui schéma de ce qu'il est Es-tu né du soleil qui troue les robes claires dore le ventre et donne sa chaleur au lait ou bien ta mère est-elle une punaise de calvaire qui te mange le cour et te sèvre à jamais Enfant tournant en rond au préau de misère en noir sur blanc ainsi qu'une cible apparaît as-tu fini de déchiffrer le syllabaire du trou de la serrure antre gras de secrets? A chaque étage des maisons la soupe fume le mur suinte l'assiette mal blanchie s'écorche le couvre-chef paternel pend à la patère Dans les squares tout proches les nymphes de brume se pétrifient et la lune les change en torches Au delà c'est la banlieue et ses chaînes d'usine Au delà c'est la campagne eau verte entourant les atolls charbonneux et les baignant d'une écume de corolles Au delà c'est la rosée de la terre entière Fers ouvragés Chrysalides sombres Becs de gaz au soir votre tête dérive et des flammes l'embrasent brûlots lancés contre les galions des rues par des corsaires en scaphandre de phosphore Armures transparentes une langue de feu pointe au centre de votre heaume clair De torrent en torrent de broussaille en broussaille il malmenait son cour le traînant après lui comme un chien qui rechigne loin de toute possibilité d'aventure confortable ou d'os propre au jeu par quoi l'on oublie la vie maligne Les villes qu'il avait connues (peu de villes et peu de femmes) fondaient en une même flamme son ouïe son goût son tact son odorat sa vue Bruxelles au rire épais d'entrailles Rotterdam à l'odeur de goudron Amsterdam sec comme la pierre Londres breuvage amer dans un silence ouaté Le Havre paupière ouverte sur la mer et Paris où je suis né Berne où les ours fameux se promènent de long en large et me ressemblent Mayence où sans regarder le Rhin j'ai appris à désaimer Marseille où pour la première fois je me suis embarqué par un vent fou Missolonghi où rage dans un jardin la statue de Byron près d'une mer couverte d'une croûte d'immondices qui m'a donné la fièvre Milan que j'ai traversée en proie au délire souffrant du ventre et de la malaria Barcelone dont le quartier chaud s'appelle barrio chino bien qu'il n'ait rien de chinois Foule lumières et fleurs font longuement la roue devant les façades des maisons dont beaucoup portent des traces de balles en larges coups de dents brûlures ou éraflures Le Caire où ma chambre encerclée de milans était comme une tour Tandis que j'y habitais un assassin Dario Jacoël revêtit la chemise rouge spéciale aux condamnés à mort Je me demande si le supplice qu'il devait subir n'était pas le garrot Dans une nécropole poudreuse califes et mamelouks reposent au delà d'une montagne de détritus Gondar huttes de paille et de pierres dans des ruines s'écroulant en morceaux Des jours durant j'y fus amoureux d'une Abyssine claire comme la paille froide comme la pierre Sa voix si pure me tordait bras et jambes A sa vue ma tête se lézardait et mon cour s'écroulait lui aussi comme une ruine Djibouti magma solaire que la mer Rouge ronge comme un acide Les femmes y ont l'odeur du lait de chèvre et la saveur du sel Vorace chienne mon ombre infatigable m'y conduit aujourd'hui Quand je mourrai à l'hôpital en paquebot chez moi ou bien au cours d'une boucherie militaire ce ne sera pas ma tête mais mon corps gui sera la fourmilière Noud gordien de mes entrailles la douleur te tranchera et la rouille des ferrailles amour te recouvrira Plus de chemises de soie ni de cravates anglaises Vieille crainte de l'enfance l'obscurité me mangera Qu'on ne m'affuble pas d'un habit noir ni d'un complet pure laine ou pas Plus de chichis Plus d'histoires de tics ni de falbalas je m'habillerai de terre et ma barbe poussera Ce que j'aimerais le mieux c'est mourir en bateau pour que simplement on me donne à manger aux poissons Le bateau mettra en panne et des mouettes voleront écrivant au ciel gui me damne Mort pour la mort mots qui me suffiront Car au centre de la mer Rouge couche une femme au ventre avide aux yeux perdus signaux qui bougent pendus à sa face livide Ses cheveux sont une fumée sa bouche suceuse est exsangue son cou est à jamais coupé mais ses deux bras sont une cangue Juste image de l'enjôleuse dont j'ai rêvé presque au berceau j'irai vers ses lèvres neigeuses elle bâtira mon tombeau cratère de ma peine immense comme le Vésuve ou l'Etna et de mon âme aussi creuse que le gouffre de Padirac où coule parmi les alvéoles rocheuses une rivière si lente Vagabond pourchassé fuyant sans rien comprendre tête lourde il allait mordu à chaque pas par l'angoisse couvant comme un feu sous la cendre et son ombre tenace à qui la nuit tendait les bras Au fin fond de la mer veillait les dents lucides et sa gorge fanée goudronnée de sanglots guettant les suppliciés la vieille néréide qu'on appelle l'Amante-aux-reflets-de-couteau mais que je nomme moi maudissant mes mains vides femelle de mon ombre et foudroyant pavot puisque je dormirai en elle jusqu'aux ides du mois vague où la terre ouvre grands ses caveaux De mer en mer j'ai traversé le continent palpant ses lombes riches de fêtes et tendues plus que la peau du tambour mat qui accompagne vers sa tombe le conquérant croulant d'ennui et de drapeaux Les vents ont décoché pour moi l'ardente flèche de l'avenir gavé d'espérance et de mots mais je suis prisonnier de cette ombre que lèche la gorgone qui n'a que les os sous la peau Je l'appelle Ma mort Menottes d'or luisantes Cave d'alcool trop fort Mère pas assez tendre Lichen poussant sur les décombres qui me hantent Reflet profond des yeux dont des pleurs vont descendre Et je brûle Et je vais sous le soleil que hausse le tourment perpétuel qui enfle mes poumons jusqu'au jour où les cieux et moi nous craquerons plus secs qu'un ongle ou qu'une dent qui se déchausse Il marcha vers la mer fouetté à tour de bras par le soleil qui déchirait dans tous ses pores la loque de son ombre soudée à ses pas comme un corps de cheval au torse d'un centaure En bas se lamentait et tournait dans sa geôle l'écume hoquetante au bout de ses souliers En haut filait le jour qu'étayent les deux pôles parmi les nuées qui bâtissaient des marches d'escalier Des filles affligées de pian ou d'écrouelles le coudoyèrent en riant aux éclats puis leur regard s'embua sous leurs tresses rebelles aux épingles d'argent qui frémissaient comme des mâts Les vagues palabraient en rejetant leurs plis de toges par-dessus les dauphins onduleuses épaules et comme un doigt pointé se figeait la boussole qu'il avait voulu prendre pour unique horloge Pistes acérées comme des ongles Sentiers Artères Ponts Rails Sillage des avenues Chemins qui défoncez l'espace à coups de pied désorbitez le temps Et donnez-nous le sang du ciel bleui par des veinures inconnues à nos yeux fatigués de son lent tournoiement Il se jeta à l'eau mais le flux le rejeta car l'eau n'en voulait pas Peut-être n'était-il pas assez gras mer Rouge ô bien nommée puisqu'une mer n'est que le pouli du monde Seule son ombre se noya mais une autre repoussa tandis qu'il repartait quêter les météores plus cassé qu'un souverain dont le blason s'éraille et dont le sceptre se dédore Cheminées pointées droit vers le ciel un navire passa Ce n'est pas ainsi que vous pointez mais parallèlement à l'horizon revolvers aux tempes des suicidés Longtemps la sirène siffla et la vapeur monta plus longtemps encore Fumée que recrachent les ports l'ombre et la femme sous-marine avaient mêlé leurs bras Paquebots Remorqueurs le vent secoue vos crinières noires quand vous faites l'amour Est-ce ainsi que s'exhale ton venin écumeuse de la mer Rouge Est-ce ainsi que renaît votre haleine embrasée ombres des désespérés? |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Michel Leiris (1901 - 1990) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Michel Leiris | |||||||||
La vie et l\'Ouvre de michel leirisNé à Paris en 1901, Michel Leiris commence à écrire vers l'âge de vingt ans, bientôt soutenu par son aîné, le peintre André Masson, qui lui découvre tout un univers. Dès 1924, l'année où André Breton publie le Manifeste du surréalisme, il participe à ce mouvement, dont il se séparera en 1929, sans renoncer aux buts de total affranchissement psychologique et social que les surréalistes s'étaient as Biographie / bibliographie20 avril 1901 Naissance à Paris |
|||||||||