Michel Leiris |
Les rampes à gaz qui brûlent au fronton des bâtiments industriels éclairent parfois des eaux froides et vertes comme la menthe minces filets coulant avec un maigre bruit le long des trottoirs pour enjoliver de leur ruban liquide les contours souvent sans grâce de la pierre Un reflet éclate dans le ruisseau et c'est ce choc signe de l'étreinte ensorcelée de la lumière et de sa réplique rampante en marche le long de toutes les rues vers la mer sombre de l'égout qui met au monde ces créatures miraculeuses celles dont la chair est une Rome avant le temps de l'esclavage une gare sans trains de marchandises une échelle dont les barreaux sont remplacés par des fils de dentelle une église vide de tout tabernacle Les cages se balancent aux fenêtres qui se balancent accrochées aux maisons qui sont aussi dos cages accrochées et balancées elles-mêmes à la grande bâtisse d'air vieille ménagerie terrestre encagée dans le temps et l'espace avec le parfum de ses louves Les bouches se dessèchent devant les verres vides dont le cristal est fait de bouches aussi plus vides et plus séchées que toutes les cavernes humaines parce que la langue des radiations cellulaires y est éternellement dardée Ce ne sont pas seulement ces bouches et ces cages qui par leur tremblement troublent la nuit mais toutes les machines qui sont a la fois des cages et des bouches bouches dévorantes cages lieuses ou bien cage qui nous mange bouche qui nous lie comme ces pythonisses nées du coït du gaz et du ruisseau et dont les corps chargés de toutes les transmutations passionnelles à venir sont simultanément la bouche qui nous ronge et la cage dont le grillage doré nous damne Lorsqu'elles étaient petites elles avaient des voix où no traînait aucun présage d'avenir Les couronnes s'effeuillaient comme s'effeuillent les adieux d'un marin et leurs visages avaient la pâleur de ceux des émigrants quand leurs mouchoirs tombent de leurs mains et se trouvent aussitôt ramassés par l'ironie des vagues feignant de croire qu'elles sont houris et eux sultans Elles avaient de longs cheveux pareils à un sable éclatant dans un désert illimité mais frais sous le soleil ardent à cause de la circulation profonde d'une source intarissable coulée secrète qui animait leurs joues quand leurs artères chantaient la ronde du sang Les bagues embellissaient leurs doigts d'orbes charmants C'est du mouvement de ces joyaux qu'elles apprirent à connaître le futur et la première qui laissa glisser à terre une de ses bagues prit au même moment conscience de son destin Quand elles eurent seize ans il n'y eut plus de rondes ni de joues roses les cieux se réunirent en un seul nuage au râle de mourant et sous la pluie elles se séparèrent l'une vers l'Ouest l'autre vers l'Est la troisième vers le Sud la quatrième vers le Septentrion Celle du Nord entra dans un bordel glacé dont les murs étaient sombres comme des cris d'enfant les portes épaisses comme des nourritures anthropophages à l'heure où la constellation du corps est dépecée parmi les vibrations de flèches les danses obscènes et les chants Son sexe suave éternellement béant était la grotte l'antre caché de Trophonius où pénétraient les consultants après avoir bu sur ses lèvres le mystérieux breuvage salive de l'oubli 0 palais doux et rose Celle-ci fut tuée d'un inattendu coup de poignard mais étant donnée sa ressemblance avec les grottes mourir d'un coup de stalactite était bien son destin La seconde celle du Sud s'installa sous un vaste oranger et se prostitua comme on vend des oranges Ses caresses avaient une saveur fruitée l'écorce de sa peau rafraîchissait les mains les mains de ceux que l'orgueil décourage et qui se promènent seuls comme de vieux bateaux à roue avec des grincements de cordage Sa langue était habile à faire mimer par les sexes les Degrés des Ages le beau matin d'abord quand les tiges se redressent puis la fixité de midi et le déclin crépusculaire qui suit le spasme Celle de l'Est ou pour mieux dire celle du Levant était allée ainsi que l'y prédestinait cette direction vers un pays de docks lointains où sur de longues esplanades jonchées de caisses de marchandises elle se donnait à tout venant en échange d'une chique d'opium ou d'un morceau de pain Ses gestes langoureux étaient légers comme des feuilles et la ramure profonde de son corps abritait tout un peuple d'oiseaux de nuit dont les yeux s'illuminaient parfois et sortaient de sa peau par les pores en ruisselets scintillants d'émouvante moiteur Plus d'un aima ses dents arsenal de lances blanches qui faisaient résonner les boucliers du plaisir quand les cloches des vaisseaux piquaient l'heure et quand l'aventurier qui nulle part ne laisse de trace se levait oreilles bourdonnantes à cause de son sang depuis trop longtemps immobile La bouche de cette femme alors se creusait d'une ride profonde belle chiromancie de nuages nervures de feuilles annonçant la venue de quelle végétation? La dernière était celle du Couchant et c'est celle-là que j'aime en raison de son amour pour tout ce qui descend Sa gorge est un soleil rouge qui dévore les ciels brûlants Elle n'a pas plus de domicile qu'un vrai couteau n'a de cran Tous les jours elle se jette à la mer et fait l'amour avec les coques des navires dont la quille partage ses cheveux qu'elle laisse ensuite flotter au vent Quand clic se couche c'est la nuit compète qu'elle engendre une nuit plus noire que son sang toutes les lumières cristallisent et se fondent en un bloc le monde n'est plus qu'un cheval qui par peur de l'obscur a pris le mors aux dents Occident de détresse ce sont ses cris qui hâtent toutes les déchéances les chutes de bolides quand ils laissent dans l'air le sillage de leurs croupes obliques Se vouer aux marécages n'est-ce pas se livrer pieds et poings liés aux feux follets flammes errantes que mène un destin éblouissant formes livides redoutées de ceux qui cherchent à reposer sur leurs deux oreilles craignent de s'éteindre et le reste du temps tremblent et geignent comme des arbres battus par toi ma douce hache ô ma hache fatidique |
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Michel Leiris (1901 - 1990) |
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Portrait de Michel Leiris | |||||||||
La vie et l\'Ouvre de michel leirisNé à Paris en 1901, Michel Leiris commence à écrire vers l'âge de vingt ans, bientôt soutenu par son aîné, le peintre André Masson, qui lui découvre tout un univers. Dès 1924, l'année où André Breton publie le Manifeste du surréalisme, il participe à ce mouvement, dont il se séparera en 1929, sans renoncer aux buts de total affranchissement psychologique et social que les surréalistes s'étaient as Biographie / bibliographie20 avril 1901 Naissance à Paris |
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