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Michel Leiris



Les veilleurs de londres - Poéme


Poéme / Poémes d'Michel Leiris





Au nord de la terre il y a la mer

au nord de la mer il y a la terre encore

Londres te cloue de ses mille feux

ô brume des douleurs aiguës comme le chlore

Patience écrit le mot
Silence au front de tous les édifices

Mille bêtes très douces ont rampé dans la rue

Les hommes haussent leur col et passent indifférents

devant les autobus fleuris de réclames et nourris du pain cramoisi des

moiteurs

Le vent se souvenait d'une haleine lointaine
La
Tamise égrenait lentement ses colliers
Au bout des rails trônaient les gares souveraines chères aux déserteurs et aux désespérés



Les gens marchent et nul ne s'arrête devant les marelles déguisées en paysages où jouent à cloche-pied les couleurs fard de craie pour les trottoirs lymphatiques lavés par la pluie qui noie tout

les caniches à fraise de papier

découpé les mendiants à médailles ternies les enfants en travesti déteint leurs vieux chapeaux à plumes brisées et leurs visages poudrés de suie quand la nuit montre son sein mordu où filtre le venin des pianos mécaniques

Cent habits noirs

cent jupes à traîne

L'éventail musculeux d'un dos nu

disperse le goût des peaux fines

blondes et brunes

dans le chuchotement de la rue

Les cariatides des banques n'ont rien à craindre de
Samson
Pas de sitôt qu'il les fera crouler!
Filles mères des misérables elles sourient aux averses portant à bout de bras le faix de leurs cheveux dénoués

Mais un homme danse agrandi par le cadre de sa propre douleur



Le poing crispé

un chapeau mou enfoncé sur les yeux

il se profile

- défroque -

sur le ciel idyllique insensible à sa propre douleur 11 erre
II court à travers un labyrinthe de plantes

de serre de chambres de palace et de bagages

luxueux
Les cigarettes irisent de leur cendre les ramages des

tapis
Ses pieds brisent des feuilles sèches nervures de sa propre douleur

Il danse

Sous l'orage grandissant des vies humaines lancées

vers les icebergs à paquebot ouvert il viole le labyrinthe des voix et devant les bleu-ciel rose mauve vert-pomme des banlieues en haillons il danse guidé par le fil d'Ariane de sa propre tendresse vers l'ombilic de sa propre douleur lien qui le tient

- mannequin -

éternellement pendu même lorsqu'il piétine

caoutchouc-corde créant son arc-en-ciel les feuilles sèches traversées de crissements à l'aube de sa propre angoisse élargie par le cadre de sa propre douleur



La servante du public-house

a des bandeaux bien plats et les bras

nus
Boirai-je à son aisselle mousseuse la bière acre de ma mort
Trouverai-je entre ses cuisses osseuses la gemme que ses yeux m'ont promise?

Quelqu'un s'exalte

sur le trottoir peuplé de saltimbanques sans chevaux

sans ours apprivoisés et sans sorcière au front têtu à travers qui l'avenir

transparaît ainsi que transparait sa chair à travers

ses guenilles
Quelqu'un s'exalte rêvant peut-être au soleil des
Tropiques plus lourd

qu'un marron d'Inde aux fleuves gonflés de bouches et d'yeux nus

Et passent les ambassadeurs en tenue de soirée les femmes longues comme des épées lames soyeuses que jamais je ne dégainerai

Mille robes de givre

mille langues et mille dents acérées

Gueule ouverte sur la chaussée

dans la grotte d'un théâtre

un monstre flamboyant s'éveille

Stalagmites de la rampe

des ongles ont miroité



Les filles étaient fraîches et jolies
Sur une plage à l'avenant adorer leurs genoux polis
Statues de proue

Lèvres fardées par le vent

Mais l'homme veille et danse ô brume des douleurs ta danse aiguë comme le chlore
Londres te cloue de ses mille feux
Au nord de cette terre il y a la mer au nord de cette mer il y a le pôle au nord du pôle il y a la mort

Étrangers nous avons acheté de sanglantes cravates

Touristes nous nous sommes promenés

Dans un bar de
Limekouse plus d'un verre s'est vidé
Ni les remous du fleuve ni les pierres de la
Tour ne nous ont regardés

Mais l'homme rôde et danse

Coups de browning auprès d'un réverbère

coups de grisou au fond d'une mine

coups de mer au pied d'un phare

Fendant l'air de son étrave

trouvera-t-il la fille au ventre bleu de froid

et coloré comme une aurore?



A coups de fouet nous sommes tous

menés mal protégés par nos vestons de pauvres ou de riches Émigrants la vie nous aguiche avec des métiers mensongers et les gardiens de la chiourme marchent au pas cadencé

Un homme s'exalte
L'autre danse

L'un grille une pipe
L'autre mâche un cigare

Un troisième voudrait fumer des yeux

braisillante langueur

Et tous trois veillent

perdus au labyrinthe du corps qu'ils aiment

sans autre fil d'Ariane que le dédale même de leur

corps écrasant la feuille sèche des cinq sens qui ouvre sur

le monde l'étoile aux cinq doigts de malheur

Dans la cage d'un musée j'ai vu bouger des figures ivres mais pas une sirène n'a chanté
Alors je me suis en allé

Les veilleurs veillent

Au-dessus d'eux les nuages

tendent des pièges aux animaux charmés

Bouchons de liège des astres vagabondent

La cloche sonne
Le drame est terminé



Plus d'un navire a franchi
V
Atlantique plus d'une vague s'est énamourée
Au nord des mers il y a le pôle au nord du pôle il y a la mort

Tous trois veillaient et sur un ton lyrique

déclamaient des paroles très simples

en même temps qu'insensées

qui s'élevaient jusqu'aux coupoles embrasées

Ils réclamaient les joies sans lendemain de la vigueur le calme des trois-mâts aux bords des lacs gelés le coït en plein ciel illuminé d'ardeur quand les mains sont des nids pleins de coques brisées

Ils ne pouvaient hanter que d'étranges coulisses où les baisers vendus par des lèvres sans tain permettent d'entrevoir triste feu d'artifice les miroirs éclatés au fond des spasmes feints

Or nous étions dimanche

Les plaisirs vrais ou faux dormaient dans les boutiques

et tous les cours étaient fermés

«
Qu'il marche vers le pôle ou vers un sort magique

dirent-ils

l'homme danse

guidé par l'aiguille bleue de sa propre douleur

Puritains nous n'avons que faire de vos cantiques
Tous les désirs sont hérétiques »



O pierres d'ennui

arcades moelleuses comme un sein qui s'offre ou se

dérobe la rue serpente et mon pas s'alourdit car moi aussi je monte au pôle traînant un bagage de brouillard de feuilles sèches et de nuées

couveuses d'éclairs

délicates matrices arcades césariennes aux jambes grandes ouvertes et

déchirées par l'enfantement de ma propre douleur parmi les flammes bleues du gaz l'arôme pur des femmes la face figée des bâtiments et les épaules des hommes-sandwiches qui m'ont donné

à déchiffrer leurs graffiti faits de boutons de nacre

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Michel Leiris
(1901 - 1990)
 
  Michel Leiris - Portrait  
 
Portrait de Michel Leiris

La vie et l\'Ouvre de michel leiris

Né à Paris en 1901, Michel Leiris commence à écrire vers l'âge de vingt ans, bientôt soutenu par son aîné, le peintre André Masson, qui lui découvre tout un univers. Dès 1924, l'année où André Breton publie le Manifeste du surréalisme, il participe à ce mouvement, dont il se séparera en 1929, sans renoncer aux buts de total affranchissement psychologique et social que les surréalistes s'étaient as

Biographie / bibliographie

20 avril 1901 Naissance à Paris

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