Mohammed Dib |
I L'enfant vit cela Qui envoûtait le jardin. La guerre allait parler. Il referma la porte. II Puis le silence. On vit ce qui était plus vrai. Les arbres forçaient la note. Mais c'était la guerre. Point. Encore du mal fait au paysage. Et un certain soleil apparut. III La guerre creusait. Ce qu'elle creusa : Une galerie noire. Dunes noires. Sables noirs. Lune noire. Ce qu'il en resta. Une pensée noire. Et cela vint. Une guerre noire. Et ce qui repartit. Une vague noire. IV Il se tenait là. Derrière les vitres. Immobile, sans bruit. Il demeurait là. Dehors. Quelqu'un. Derrière la fenêtre. Quelqu'un regardait. La lumière éclairait La guerre immobile. V Serait-elle venue Sans autre ambition Que de se prosterner Devant lui, la guerre ? Et faire quoi encore ? Aurait-elle chanté et, Sans un regard en arrière Serait-elle partie ? Il aurait eu peut-être Le temps de l'écouter. VI Indésirables, ils vinrent. Ils cherchèrent le silence. Et tous les coins d'ombre. Et ni eux ne bougèrent. Ni les cyprès ne bougèrent. Ni le silence ne bougea. Seule une odeur pauvre, La leur, circula. Amère, L'unique odeur. Oui. VII Cela s'en prit aux oiseaux Et ils furent cloués au ciel. Les arbres n'eurent plus Pour refuge que l'immobilité. Restèrent les collines qui Vite se couvrirent de nuit. On ne reconnut plus rien. L'enfant les montra du doigt. La guerre passait là-bas Avec ses nouveaux oiseaux. VIII Tout y était. Et le regard aussi. Route jusqu'au silence Des plaines ensoleillées. IX Tant de fenêtres. Tant de portes et quoi Fenêtres de malheur, Portes de malheur ? La première si elle Venait à s'ouvrir. Seulement s'ouvrir. S'ouvrir, et quoi ? Peut-être, noir Un regard en jaillirait. Ou une voix noire. Une chose aussi noire. Et qui par les rues Irait vous poursuivre. Et continuerait ainsi Jusqu'à la campagne. Toujours fermées. Fenêtres, portes. Toujours le silence. Et le temps passait. X C'étaient ces heures Quand il y avait la mer Et rien pour les combler. C'étaient ces portes Toujours trop accueillantes Mais à ne pas ouvrir. Toucher sans doute Ce qu'on disait poursuivre. Tendre sans doute la main. Lorsqu'un battant s'ouvrit. Et tout un gouffre s'ouvrit. Tout un gouffre sans plus. XI Immense, immonde Le monde autour d'eux. Ils attendaient quoi Plantés là ? Ils avaient fait halte. Et l'oil muet Ils restaient à l'affût. XII Les guerriers temporisaient. Laissaient la nuit, la neige Les couvrir. Puis la neige Leur accorda une lumière Qui provoqua leur réveil. XIII Son regard alla De la table au bahut. C'était la dernière fois. L'enfant se détourna. Un miroir ouvrait son eau. C'était de l'autre côté. Un paysage inconnu. Il ne s'en émut pas. Il ne se retourna pas. C'était avant la guerre Quand, la dernière fois Son visage s'y fut montré. XIV Et il fit un rêve d'arbre. Il était debout sous le ciel. Les bourgeons éclataient. Une lumière l'éclaira, Qui l'accompagna jusqu'au soir. Et son rêve l'abandonna. La nuit compta les balles. Le jour compta les morts. On attendait la saison d'après. XV On les laissait avoir peur. On les laissait avoir froid. On les laissait blanchir. On ne peut pas, dit l'enfant, Alors qu'il fait si froid, Alors qu'il fait si noir. Mais dehors ils restaient. On ne peut pas, disait-il. Et rien, aucune réponse. XVI La guerre n'avait là rien Écrit ce matin sur la neige. Si heureusement blanche. Les arbres faisaient Debout, noirs, le guet. Pas d'autres signes. Et le silence. Autant Il y en avait pour l'oil Qu'il n'y avait rien à ouïr. XVII C'était cette campagne Qu'une guerre poursuivait De sa haine, de sa colère. L'enfant y allait. Il tendait la main. Une balle y tomba. Il leva la tête. Il ouvrit la bouche. Des balles y tombèrent. Il les avala. Resta bouche ouverte. La guerre passa. XVIII Trop tard. Les choses, Les arbres au jardin Avaient pris de l'âge. Toutes les choses. Les arbres, le jardin Gravaient leur empreinte Dans l'air du soir. Se faisaient rouille. Le temps ne faisait rien À l'affaire. La guerre Ne savait où mourir. XIX Des pas sur le sable. Ils venaient vers lui. Le masque lui ressemblait Quand y explosa un cri. « C'était mon histoire Qu'il voulut raconter. » Il entendait toujours Des pas sur le sable. Leur marche pesait lourd. Et les vagues se reposèrent. XX Il emprunta un visage. Il se sentit regardé. N'était que la guerre Portait trop beau. On pouvait en mourir. Pas moi, disait-il. Il eût voulu crier. Elle avançait éclairant La rue de son visage. Pas moi, disait-il. Pas moi. Ce vide noir Qui n'en finit pas. Le noir ça me connaît. Et sa lumière à elle. Qui tombe sur la rue. Il arriva devant un mur Et cria. Il cria noir. XXI Il y eut un cri. Ils firent halte. Il y eut ce silence. La marche reprit. Mais aucune ombre Ne suivit leurs pas. Il y eut du vent. Il sema le désert. Exténué, le vent, Le silence eut un cri. Et ne s'arrêta plus. Eux, continuèrent. Eux, continuaient. Allaient à l'infini. XXII Quelqu'un s'arrêta Devant la porte ouverte. Y laissa une rose noire. Eux tous le savaient. Puis les pas s'entendirent Encore. Puis rien. Eux tous Avec cette rose à leur porte Il leur fallut du courage. XXIII Danseurs et danseuses Ils ne le furent jamais Ayant fui le marbre. Et ce qui demeura. Un abîme de clarté Creusé par la guerre. Entrés sous l'arbre, Oiseaux et oiselles En surent la férocité. XXIV Elles furent blanches. Puis elles furent bleues. Puis il y eut du soleil. Puis elles furent roses Et remplacèrent le soleil. Elles mirent des taches. Rouges d'abord Les balles furent noires. Il allait pouvoir dormir. XXV La cueillette eut lieu. On rapporta des pommes Et de la fatigue. On secoua la fatigue. On mangea les pommes. Vint l'heure du silence. Le soleil bleuit la nuit. On dormait et il éclairait. On rêvait, l'oil ouvert. XXVI Une balle ou quoi ? Elle tournaillait et lui : Elle ne sait où aller. Le garçon la regardait. Elle continuait, tournait. Se savait-elle perdue ? Manquait-il des cibles Au salon ? Elle ne savait Qui tuer et tournait. XXVII La guerre enleva son masque. De chaque oil tomba une larme. Le même doigt écrasa l'une Et le même écrasa l'autre. L'enfant regarda la guerre. Elle n'avait pas de visage. Il alla s'occuper d'autre chose. La guerre garda son secret. XXVIII Il y avait la porte. Il y avait la cage. II y avait la fenêtre. Il se tournait vers L'une et vers l'autre. Il y avait une guerre, Il y avait son odeur. Il examina ses ongles. Le sang en était blanc. La guerre à ses pieds Tomba. Elle tomba. Lui, Regarda ses chaussures. Lui, regarda la cage. L'oiseau y était. Puis Regarda par la fenêtre. Il ne vit que prairies. Il marcha vers la porte. L'enfant s'y arrêta. Là, Rien de la guerre. Aucune nouvelle. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Mohammed Dib (1920 - 2003) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Mohammed Dib | |||||||||
BiographieMohammed Dib a traversé toute l'histoire de la littérature algérienne de langue française, et il y occupe une place particulière et éminente. Il appartient d'abord au courant réaliste de la première génération d'auteurs maghrébins, qui veut témoigner contre la situation coloniale. Mais son ouvre évolue vite et donne une place plus large aux jeux de l'imaginaire, avant d'aboutir, dans les années 19 BibliographieLa Grande Maison, roman, Le Seuil, 1952 et Points Seuil. Prix Fénéon, 1953. L'Incendie, roman, Le Seuil, 1954 et Points Seuil. Au café, nouvelles, Gallimard, 1955; Sindbad, 1984. Le Métier à tisser , roman, Le Seuil, 1957 et Points Seuil. Un Été africain, roman, Le Seuil, 1959. Baba Fekrane, contes pour enfants, La Farandole, 1959. Ombre gardienne, p |
|||||||||