Paul Verlaine |
Mes femmes, toutes ! et ce n'est pas effrayant : A peu près, en trente ans ! neuf, ainsi que les Muses, Je vous évoque et vous invoque, chour riant. Au seuil de ce recueil où, mon fiel, tu t'amuses. Neuf environ ! Sans m'occuper du casuel. Des amours de raccroc, des baisers de rencontre. Neuf que j'aimais et qui m'aimaient, - si c'est réel. Ou que non pas, qu'importe à ce Fiel qui se montre ? - Je vous évoque, corps si choyés, chères chairs, Seins adorés, regards où les miens vinrent vivre Et mourir, et tous les trésors encor plus chers. Je vous invoque au seuil, mesdames, de mon livre : Toi qui fus blondinette et mignarde aux yeux bleus ; Vous mes deux brunes, l'une grasse et grande, et l'autre Imperceptible avec, toutes deux, de doux yeux De velours sombre, d'où coulait cette âme vôtre ; Et ô rouquine en fleur qui mis ton rose et blanc Incendie es mon cour, plutôt noir, qui s'embrase A ton étreinte, bras très frais, souple et dur flanc, Et l'or mystérieux du vase pour l'extase. Et vous autres, Parisiennes à l'excès, Toutes de musc abandonné sur ma prière (Car je déteste les parfums et je ne sais Rien de meilleur à respirer que l'odeur fière Et saine de la femme seule que l'on eut Pour le moment sur le moment), et vous, le reste Qu'on, sinon très gentil, très moralement, eut D'un geste franc, bon, et leste, sinon céleste. Je vous atteste, sours aimables de mon corps. Qu'on fut injuste à mon endroit, et que je souffre A cause de cette faiblesse, fleur du corps, Perte de l'âme, qui, paraît-il, mène au gouffre, Au gouffre où les malins, les matois, les « peinards » Comme autant de démons d'enfer, un enfer bête Et d'autant plus méchant dans ses ennuis traînards, Accueillent d'escroquerie âpre le poète... Ô mes chères, soyez mes muses, en ce nid Encore bienséant d'un pamphlet qui s'essore. Soyez à ce pauvret que la haine bénit Le rire du soleil et les pleurs de l'aurore. Donnez force et virilité, par le bonheur Que vous donniez jadis à ma longue jeunesse. Pour que je parle bien, et comme à votre honneur Et comme en votre honneur, et pour que je renaisse En quelque sorte à la Vigueur, non celle-là Que nous déployions en des ères plus propices, Mais à celle qu'il faut, au temps où nous voilà. Contre les scélérats, les sots et les complices. Ô mes femmes, soyez mes muses, voulez-vous ? Soyez même un petit comme un lot d'Érinnyes Pour rendre plus méchants mes vers encor trop doux A l'adresse de ce vil tas d'ignominies : Telle contemporaine et tel contemporain Dont j'ai trop éprouvé la haine et la rancune, Martial et non Juvénal, et non d'airain, Mais de poivre et de sel, la mienne de rancune. Mes vers seront méchants, du moins de m'en prévaux. Comme la gale et comme un hallier de vermine. Et comme tout... Et sus aux griefs vrais ou faux Qui m'agacent !... Muses, or, sus à la vermine ! |
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Paul Verlaine (1844 - 1896) |
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Portrait de Paul Verlaine | |||||||||
OuvresAprès une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b ChronologieBiographie |
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