Paul Verlaine |
Don Juan, qui fut grand Seigneur en ce monde, Est aux enlers ainsi qu'un pauvre immonde, Pauvre, sans" la barbe faite, et pouilleux, Et si n'étaient la lueur de ses yeux Et la beauté de sa maigre figure. En le voyant ainsi quiconque jure Qu'il est un gueux et non ce héros fier. Aux dames comme aux poètes si cher Et dont l'auteur de ces humbles chroniques Vous va parler sur des faits authentiques *. Il a son front dans ses mains et paraît Penser beaucoup à quelque grand secret. Il marche à pas douloureux sur la neige Car c'est son châtiment que rien n'allège U habiter seul et vêtu de léger Loin de tous lieux où fleurit l'oranger ', Et de mener ses tristes promenades Sous un ciel veuf de toutes sérénades Et qu'une lune morte éclaire assez Pour expier tous ses soleils passés. Il songe. Dieu c peut gagner, car le Diable S'est vu réduire à l'état pitoyable De tourmenteur et de geôlier gagé Pour être las trop tôt, et trop âgé. Du Révolté de jadis il ne reste Plus qu'un bourreau qu'on paie et qu'on moleste Si bien qu'enfin la cause de l'Enfer S'en va tombant, comme un fleuve à la mer, Au sein de l'alliance primitive. Il ne faut pas que cette honte arrive. Mais lui, Don Juan, n'est pas mort, etd se sent Le cour vif comme un cour d'adolescent. Et dans sa tête une jeune pensée Couve et nourrit une force amassée ; S'il est damné, c'est qu'il le voulut bien, Il avait tout pour être bon chrétien, La foi, l'ardeur au ciel, et le baptême. Et ce désir de volupté lui-même ; Mais, s'étant* découvert meilleur que Dieu, Il résolut de se mettre en son lieu. A cet effet, pour asservir les âmes. Il rendit siens d'abord les cours des femmes. Toutes pour lui laissèrent là Jésus, Et son orgueil jaloux monta dessus-^ Comme un vainqueur foule un champ de bataille. Seule la mort pouvait être à sa taille. Il l'insulta, la défit. C'est alors Qu'il vint à Dieu sans peur et sans remords. Il vint à Dieu, lui parla face à face. Sans qu'un instant hésitât son audace, Le défiant. Lui, son Fils et ses saints ! L'affreux combat ! Très calme et les reins ceints D'impiété cynique et de blasphème. Ayant volé son verbe à Jésus même. Il voyagea, funeste pèlerin, Prêchant en chaire et chantant au lutrin. Et le torrent amer de sa doctrine, Parallèle à la parole divine. Troublait la paix des simples et noyait Toute croyance, et, grossi, s'enfuyait*. Il enseignait : « Juste, prends patience. « Ton heure est proche. Et mets ta confiance « En ton bon cour. Sois vigilant pourtant. « Et ton salut en sera sûr d'autant. « Femmes, aimez vos maris et les vôtres « Sans cependant abandonner les autres « L'amour est un dans tous et tout dans un « Afin qu'alors que tombe le soir brun « L'ange des nuits n'abrite sous son aile « Que cours rai-clos dans la paix fraternelle. » Au mendiant errant dans la forêt Il ne donnait un sol que s'il jurait. Il ajoutait : « De ce que l'on invoque « Le nom de Dieu, celui-ci ne s'en choque, « Bien au contraire, et tout est pour le mieux. « Tiens, prends, et bois à ma santé, bon vieux. » Puis il disait : « Celui-là prévarique « Qui de sa chair faisant une bourrique « La subordonne au soin de son salut « Et lui désigne un trop servile but. « La chair est sainte ! Il faut qu'on la vénère. « C'est notre fille, enfants, et notre mère, « Et c'est la fleur du jardin d'ici-bas ! « Malheur à ceux qui ne l'adorent pas ! « Car, non contents de renier leur être, « Ils s'en vont reniant le divin'' maître, « Jésus fait chair qui mourut sur la croix, « Jésus fait chair qui de sa douce voix « Ouvrait le cour de la Samaritaine, « Jésus fait chair qu'aima la Madeleine ! » A ce blasphème effroyable, voilà Que le ciel de ténèbres se voila, Et que la mer entre-choqua les îles. On vit errer des formes dans les villes, Les mains des morts sortirent des cercueils. Ce ne fut plus que terreurs et que deuils, Et Dieu, voulant venger l'injure affreuse. Prit sa foudre en sa droite furieuse Et, maudissant Don Juan, lui jeta bas Son corps mortel, mais son âme, non pas ! Non pas son âme, on fallait voir ! Et pâle De maie joie et d'audace infernale. Le grand damné, royal sous ses haillons. Promène autour son oil plein de rayons. Et crie : « A moi l'Enfer ! ô vous qui fûtes « Par moi guidés en vos sublimes chutes, « Disciples de Don Juan, reconnaissez « Ici la voix qui vous a redressés. « Satan est mort, Dieu mourra dans la fête ! « Aux armes pour la suprême conquête ! « Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nés, « C'est le grand jour pour le tour des damnés. » Il dit. L'écho frémit et va répandre L'appel altier, et Don Juan croit entendre Un grand frémissement de tous côtés. Ses ordres sont à coup sûr écoutés : Le bruit s'accroît des clameurs de victoire. Disant son nom et racontant sa gloire. « A nous deux, Dieu stupide, maintenant ! » Et Don Juan a foulé d'un pied tonnant Le sol qui tremble et la neige glacée Qui semble fondre au feu de sa pensée... Mais le voilà qui devient glace aussi, Et dans son cour horriblement transi Le sang s'arrête, et son geste se fige. Il est statue, il est glace. Ô prodige Vengeur du Commandeur assassiné ! Tout bruit s'éteint et l'Enfer ' refréné Rentre à jamais dans ses mornes cellules. « Ô les rodomontades ridicules », Dit du dehors Quelqu 'un qui ricanait, « Contes prévus ! farces que l'on connaît ! « Morgue espagnole et fougue italienne ! « Don Juan, faut-il, afin qu'il t'en souvienne, « Que ce vieux Diable, encor que radoteur, « Ainsi te prenne en délit de candeur? « Il est écrit de ne tenter... personne. « L'Enfer ni ne se prend ni ne se donne. « Mais avant tout, ami, retiens ce point : « On est le Diable, on ne le devient point. » |
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Paul Verlaine (1844 - 1896) |
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Portrait de Paul Verlaine | |||||||||
OuvresAprès une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b ChronologieBiographie |
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