wikipoemes
paul-verlaine

Paul Verlaine

alain-bosquet

Alain Bosquet

jules-laforgue

Jules Laforgue

jacques-prevert

Jacques Prévert

pierre-reverdy

Pierre Reverdy

max-jacob

Max Jacob

clement-marot

Clément Marot

aime-cesaire

Aimé Césaire

henri-michaux

Henri Michaux

victor-hugo

Victor Hugo

robert-desnos

Robert Desnos

blaise-cendrars

Blaise Cendrars

rene-char

René Char

charles-baudelaire

Charles Baudelaire

georges-mogin

Georges Mogin

andree-chedid

Andrée Chedid

guillaume-apollinaire

Guillaume Apollinaire

Louis Aragon

arthur-rimbaud

Arthur Rimbaud

francis-jammes

Francis Jammes


Devenir membre
 
 
auteurs essais
 

Paul Verlaine



élégies - Élégie


Élégie / Poémes d'Paul Verlaine





I



A mon âge, je sais, il faut rester tranquille.
Dételer, cultiver l'art, peut-être imbécile.
D'être un bourgeois, poète honnête et chaste époux,
A moins que de plonger, sevré de tout dégoût.
Dans la crapule des célibats innommables.

Je sais bien, et pourtant je trouve plus aimables

Les femmes et leurs yeux et tout d'elles, depuis

Les pieds fins jusqu'aux noirs cheveux, nuit de mes nuits,

Car les femmes c'est toi désormais pour la vie.

Pour moi, pour mon esprit et pour ma chair ravie :

Ma chair, elle se tend vers toi, pleine d'émoi

Sacré, d'un bel émoi, le feu, la fleur de moi ;

Mon âme, elle fond sur ton âme et s'y fond toute,

Et mon esprit veut ton esprit.

Chérie ', écoute-Moi bien :
Or je suis vieux ou presque, et
Dieu voulut
Te faire de dix ans plus jeune, dans le but Évident d'être, toi, la plausible compagne
De ma misère emmi mes châteaux en
Espagne.

-
Ne me regarde pas de tes petits yeux bruns.
Naguère, moi compris, les bourreaux de d'aucuns. -
Châtelaine de qui je ne suis, las ! le page.
Mais le vieil écuyer fidèle et pas trop sage
Grâces à ta bonté qui pleut dans le désert
Parfois, mais le chanteur familier et disert
Rentrant et ressortant par une porte basse.
Le berger de tes gras pâturages qui passe
Pour sorcier, qui sur toi dresse ses yeux matois
Et t'évoque et t'envoûte en son rauque patois.
Le moine confesseur, saint homme par sa robe
Austère, blanche et noire et qui, dit-on, dérobe
Des masses de malice et plus d'un joli tour.

L'archer, enfin, qui veille au créneau de la tour.
Châtelaine de mes domaines de
Bohême. Écoute bien, chérie, écoute bien : je t'aime !

-
Et dis à tes cheveux de me luire moins noir.

Tes cheveux, pourpre en deuil sur le rouge du soir. -

Les gens crieront ce qu'ils voudront : «
C'est ridicule.
Idiot !
Un barbon !
Où la chair nous accule,
Pourtant ! »
Passe encor de bâtir « et estera ! »
Va, toi ! le monde en vain de moi caquettera,
Je t'aime, moi, barbon, toi, plus une ingénue,
D'une amour, comme de printemps, tard survenue
Et d'un élan, aussi, médité, concerté
Mariant mon déclin à ta maturité.

Ô ta maturité plus belle et plus jolie

Que telle adolescence à la taille qui plie

Et que tels vingt-cinq ans certes très savoureux

Mais trop fringants pour faire assez mes sens heureux !

Toi, simple et, par la loi des choses, reposée

Moyennant toutefois parfois une fusée

De franche passion et de goût aux ébats.

Tu sais porter le poids divin de tes appas

Comme un soldat instruit porte à l'aise ses armes.

Et manier avec autorité tes charmes.

Et puis, ô ton bon sens, et puis, ô ta gaîté,

Ta raisonnable et fine et sans rien d'apprêté

Gaîté !
Sages conseils souvent épicés d'ire

Plaisamment simulée et finissant en rire.

Le
Bottin ne saurait nombrer tes agréments.

Ta conversation éclate en mots charmants

Plus naïfs que roués, bien que roués quand même,

Et pour tout dire enfin, excitants à l'extrême

Grâce à ton visage enfantin et grâce à la

Lèvre supérieure en avant que voilà.

Qui boude drôlement sous quel nez qui se moque,

Nez en l'air, nez léger, petit nez qu'un rien choque

Et fronce amusamment, sottise ou maie odeur,

Ou parfum excessif, ou propos em...nuyeur.

Quelque méchanceté, dame ! il faut qu'on l'avoue,

Te hérisse à son tour - et certes je t'en loue.

Mais j'en souffre - et sur moi, non pas étourdiment.

Mais de propos délibéré, va promenant

Sa herse, tel un laboureur brisant des mottes.

- ô que tes longues mains, n'étant plus des menottes.
Bercent, ne griffent plus mon amour agité ! -

Mais au fond, bien au fond, cette méchanceté
Même m'est salutaire et bonne, tant je t'aime !

Elle fouette mon sang qui coule plutôt blême

A cause de la maladie et des ennuis,

Elle avertit le casse-cou fou que je suis.

Et, par l'effet de la pure logique, amène

Mon regret, ou plutôt mon remords, à l'amène

Façon que j'ai, des jours, de penser et d'agir

Et j'entends ma méchanceté propre rugir

Et rendre malheureux tel ou tel ou telle autre

En dépit de mes airs tout ronds de bon apôtre.

Aussi, malgré les pleurs dont tu rougis mes yeux,

Je proclame à jamais tes torts délicieux.

Puis, ces défauts, car tu n'en manques point peut-être
Assez, - quelque charmants qu'Us daignent me paraître.
Ne sont rien.
Tu me plais.
Que dis-je, tu m'es
Dieu
Non pas
Déesse, tant tu me brûles d'un feu
Jovial, et tu m'es maître et non plus maîtresse.
Tant ta volonté tonne à travers toute ivresse.
Tes défauts ne sont rien que le miroir des miens.
Capricieuse avec des retours, ô si tiens !
Colère, point jalouse (est-ce taquinerie ?),
Très maussade entre temps, car il faut bien qu'on rie,
Gaie à l'excès, car il faut bien qu'on pleure aussi,
Et le reste...
Mais quoi, tu m'es tout, - et merci !



II



Je me demande encor - cette tête que j'ai ! -

Où, comme débuta - bien sûr quelque soir gai -

Cette liaison qui m'a fait ton esclave ivre.

Tu ne t'en souviens plus non plus.
Rayons du livre

De
Mémoire ce jour des jours, ou plutôt non,

Il ne sera pas dit, ou j'y perdrai mon nom.

Que je n'aurai pas fait au moins le nécessaire

Pour retrouver un peu de cet anniversaire.

Oui, c'était par un soir joyeux de cabaret ',

Un de ces soirs plutôt trop chauds où l'on dirait

Que le gaz du plafond conspire à notre perte

Avec le vin du zinc, saveur naïve et verte.

On s'amusait beaucoup dans la boutique et on

Entendait des soupirs voisins d'accordéon

Que ponctuaient des pieds frappant presque en cadence,

Quand la porte s'ouvrit de la salle de danse

Vomissant tout un flot dont toi, vers où j'étais,

Et de ta voix qui fait que soudain je me tais.

S'il te plaît me donner un ordre péremptoire.

Tu t'écrias : «
Dieu, qu'il fait chaud !
Patron, à boire ! »

Je regardai de ton côté.
Tu m'apparus

Toute rose, enflammée, et je comme accourus

A toi, tant ton visage et toute ta personne,

Gaîté, santé, beauté du corps que l'on soupçonne

Sous le jersey bien plein et la jupe aux courts plis

Bien pleins, et les contours des manches mieux remplis

Encore, ô plaisir ! car vivent des bras de femme !

M'avaient pris d'un seul coup, tel un fauve réclame

Et mord sa proie, et comme j'avais discerné

Dans tes quelques mots dits d'un ton, croyais-je, inné,

Avec l'accent qu'on a dans le
Nord de la
France

Et que je connais bien, ayant, par occurrence.

Vécu par là, je liai conversation,

T'offrant, selon ton vou, la consommation

Que tu voudrais, « au nom du pays ».
Et nous bûmes

Et nous causâmes, lors, à remplir cent volumes.

De ceci, de cela, le tout fort arrosé

De ce vin-là, naïf et vert et très rusé.

Ce qui s'ensuivit, par exemple, je l'oublie

Tout en m'en doutant peu ou prou.
Mais toi, pâlie

Le lendemain et lasse assez (moi las, très las),

Peux-tu te rappeler pourquoi, sans trop d'bélas !

Connaissances d'hier à peine, tendres âmes,

Au chocolat matinal nous nous tutoyâmes ?

Pour des commencements banals certes, c'en sont

A ces amours, ô vrai ! mes dernières, qui font

Comme un signe de croix sur mon vieux cour en peine

Entre le bien, le mal, la tendresse et la haine,

Enfin au port, un port orageux, mais un port

Pour ce qui me reste de vie et pour la mort !

Avons-nous voyagé, dis, ma puissante reine.

Etoile de ma mer, ô toi toujours sereine

A travers ce pullulement d'affreux dangers,

Ecueils, naufrages, calmes plats tant partagés ?

Avons-nous traversé des rages, des misères.

Heurts de cours violents et chocs de caractères.

Disputes, pis encor, trahisons, pis encor.

Finalement la paix, n'est-ce pas ? paix en or.

Paix pour de bon, paix définitive et sans trêve ?

Ah ! ce serait le but et ce serait le rêve

Mieux encore que conjugal, presque chrétien...

Ô l'humble bouchon d'où m'afflua tout ce bien !



III



D'après ce que j'ai vu, d'après ce que je sais,
D après ce que je crois, nuls n'ont plus de succès,

Ou n'en eurent, ou n'en auront, si c'est ma veine.
Auprès de toi, sinon ceux simples et sans gêne :
Tel un moi qui serait plus jeune, au moins de corps.
Quoique je ne me mette pas au rang des morts
Encore ou bien déjà, n'en déplaise aux quarante
Et trop d'ans qui sont, las : ma seule sûre rente.
Oui, j'ai cru remarquer, ru m'as insinué,
Je fus le témoin, mal, ô mal habitué,
Qu'en effet ton regard qui compte ce mérite
Entre tant, d'être franc au point que s'en irrite
L'espèce de jaloux que parfois je serais
Si je ne me faisais aveugle et sourd exprès,
Que ton regard, disais-je, allait de préférence
Aux hommes de carrée et de ronde apparence.
Plutôt qu'aux freluquets à l'air godiche ou sec.
N'ayant pour eux que gros cigares, chers, au bec.
Et qu'insipides fleurs, hors de prix, en façade
Au revers de leur bel habit terne et maussade ;
Gent laide et dont, si j'étais femme, l'aspect pur
Et simple dresserait entre elle et moi quel mur !
Ton choix s'ébat, du moins s'ébattrait, si toi libre,
S'ébat ou s'ébattrait, sans beaucoup d'équilibre.
Du soldat bon enfant au joyeux ouvrier,
Sinon, et comme au lieu de grives, sans trier,
On prend des merles, d'un poète bien candide,
Amusamment vêtu sans faux-col qui le bride.
Et rieur, à l'artiste ébouriffé qui va.
Baguenaudant gaiment sous l'azur qu'il creva.

Certes, tu m'en fis part et je le croirais presque.

Dans ta prime jeunesse il t'eût paru grotesque

De n'avoir pas d'amants très bien (et tu les eus !)

Ce qu'ils ont dû souffrir avec toi, doux
Jésus !

Aussi ce n'était pas ta botte, ces fantoches.

Et d'abord, comme tu me le fais, sans reproches,

A moi qui ne suis guère, après tout, qu'un pur gueux,

Tu trompais ces bons gentlemen à coups fougueux,

Faisant bien en ce cas. mais que non pas dans l'autre,

En ce pauvre petit ménage qu'est le nôtre !

Bref, pour y revenir, tes goûts sont pour le sain.

Fût-il mal habillé, pour l'homme au large sein

Où le cour bat à l'aise, encor que sous la bure.

Eh bien ! j'ai tes dadas et croirais faire injure

A ton charme, si j'y rêvais des oripeaux ;

Tu sais d'ailleurs si j'aime à te voir des chapeaux.

Des robes, des « atours », comme à mes autres femmes

Dans le temps, parce que ça plaisait à ces dames

Et que cela te plaît, le nombre des chiffons.

Mais je t'aime bien mieux telle que nous t'avons.

Mes sens et moi, sans trop d'apprêt qui te déguise
Comme un
Dieu disparaît dans le trop d'une église.
En matinée, en jupe, en peignoir prêts à choir,
A l'heure ralentie où s'achève le soir,
Forte et saine, parisienne et paysanne,
Plus encor paysanne et mieux ainsi,
Suzanne
Quasiment à l'instant d'être dispose au bain.
La femme, et juste assez, c'est le vin et le pain.



IV



Notre union plutôt véhémente et brutale

Recèle une douceur que nulle autre n'étale ;

Nos caractères détestables à l'envi

Sont un champ de bataille où tout choc est suivi

D'une trêve d'autant meilleure que plus brève.

Le lourd songe oppressif s'y dissout en un rêve

Élastique et rafraîchissant à l'infini.

Je croirais pour ma part qu'un ange m'a béni

Que des
Cieux indulgents chargeraient de ma joie,

En ces moments de calme où ses ailes de soie

Abritent la caresse enfin que je te dois.

Et toi, n'est-ce pas, tu sens de même ; ta voix

Me le dit et ton oil me le montre, ou si j'erre

Plaisamment ?
Et la vie alors m'est si légère

Que j'en oublie, avec les choses de tantôt,

Tout l'ancien passé, son naufrage et son flot

Battant la grève encore et la couvrant d'épaves.

Et toi, n'est-ce pas, tu sens de même ces graves

Moments de nonchaloirs voluptueux, ou c'est

Qu'un mensonge plus vrai que du vrai me berçait?

Comme un air de pardon flotte comme un arôme

Sur le cour affranchi du poids de tel fantôme,

Et, ô l'incube et le succube du présent,

C'est toi, c'est moi dans le bon spasme renaissant

Après les froids contacts de deux âmes froissées.

Vite, vite, accourez, nos plus tendres pensées,

Nos maux les plus naïfs, nos mieux luisants regards.

Plus de manières ni de tics, plus d'airs hagards.

Que d'armistice en armistice, une paix franche

Eternise ce nid d'oiseaux bleus sur la branche.



V



Incorrigible, toi.
Mais c'est la destinée.

Voilà pourquoi mon cour triste t'a pardonnée.

Mon cour tendre, indolent et fol, et puis cruel.

Incorrigible, toi, selon l'ordre du
Ciel,

Pour te punir toi-même et châtier mes fautes.

(Et tu t'acquittes bien de ces fonctions hautes.)

Incorrigible, toi, c'est la faute au passé,

A ton passé brutal, misérable, insensé.

Comme le mien d'hier, car jadis je fus brave.

Je croyais fermement que tout m'était esclave

Et j'allais, insolent, turbulent, hasardeux,

Avec l'air, comme dit l'autre, d'en avoir deux.

J'en avais deux, je t'en réponds, tu peux toi-même

Témoigner que j'en ai deux encor : l'un, suprême.

Trop généreux, visant au mieux plutôt qu'au bien ;

L'autre bas, quasiment qu'un pitre ou d'un vaurien.

Puis le malheur m'a fait pareil aux autres hommes.

Sinon moindre, et voici qu'ayant croqué les pommes.

Il ne me reste que les pépins et la peau.

Bah ! puisque je t'ai là, mon sort est le plus beau,

Ma part est la meilleure en ce monde d'une heure

Où l'amour seul nous éternise et seul demeure.

Mais toi, ma pauvre enfant, d'après tes francs aveux

Ou ta noble confession, comme tu veux,

Tu jouissais encor plus que moi de la vie :

Les hommes à genoux comblaient ta moindre envie,

Tu nageais dans l'argent et tu roulais sur l'or,

Et, pour te faire heureuse et belle mieux encor.

Une passion vraie et forte t'avait prise,

Qui t'exalta longtemps comme un bon vin qui grise.

Tu fus sublime tous ces ans.
Tout ton effort

Te bandait vers cet homme, et lorsqu'un désaccord

Inévitable vint sur vous,
Sapho naïve.

Tu fis le saut de...
Seine et, depuis, morte-vive.

Tu gardes le vertige et le goût du néant.

Je le vois bien à ton regard souvent béant.

Qui néanmoins s'allume et se fixe, moins sombre

Sur pauvre moi transi, palpitant dans ton ombre

Et que cette éclaircie a soudain réjoui.

Et nous voici, moi donc, l'amour épanoui,

Tendre, orageux, soumis, et toi, la sympathie.

N'est-ce pas ? laisse-moi le croire, ressentie

Pour tant d'affection offerte de ma part,

Mal peut-être, à travers des nerfs, d'un cour hagard,

Mais tant !
El nous voici, victimes reposées,

Tous deux seuls, mais tous deux, aux rancunes brisées.

Las d'aventures, fous d'aimer et d'en souffrir.

Mais indulgents à nos ingrats, prêts à mourir

Main dans la main, ainsi que tels vaincus, bons frères.

Opposant cordialement aux sorts contraires

La résignation de l'ultime amitié.

Tu vois, pour te complaire, ô meilleure moitié

De mon être, je bride et romps l'élan farouche

Vers tes sens de mes sens, et j'impose à ma bouche

Le silence des mots brûleurs el des baisers.

Et je voudrais, pour voir les lourds deuils apaisés,

T'être un des frères dont je parlais tout à l'heure

Et que tu fusses une sour pour qui je meure

Ou je vive plutôt, faisant tout pour la paix

De la tristesse inexpugnable où tu te plais.

Quoi qu'en dise et qu'en fasse, en son pieux manège,

La gaieté que tu feins, sachant qu'elle m'allège

Le fardeau lourd aussi de ma tristesse aussi,

Ô femme ! ô sour ! ô tout mon précieux souci !

Incorrigibles, nous ! d'être mélancoliques,

Seulement, toi, grand cour fidèle sans obliques

Détours, mais aux soudains et foudroyants retours,

Tu saignes en ton dam d'antan saignant toujours.

Tu fais bien puisque ta vocation est telle.

Pourtant mon propre ennui, ma blessure immortelle.

Je les mets sous tes pieds...
Fais-je bien, à mon tour?

Mais, tout en le domptant, je garde mon amour

Pour, du moins, être l'escabeau riche et funèbre

De ton amour à toi flottant dans la ténèbre

Et le rêve d'un abandon définitif.

Crois-m'en.
Tout autre plan d'agir serait fautif.

Donc sans plus oublier l'ingrat que je n'oublie

L'ingrate, aime-moi, va, tout mon cour t'en supplie ;

Aime mon sacrifice en moi, fais-moi ce don.

Et si tu ne le peux sans peine, ô toi, pardon !



VI



J'ai dit ailleurs l'orgueil de la possession

Et le joyeux émoi d'occuper la
Sion

Pas céleste, mais presque, à force d'être bonne

A garder après siège fait, de ta personne

Physique, et le butin inépuisable.
Mais,
Tout en continuant de piller dru, je vais

Exalter maintenant ta gloire intérieure.
Tes vertus, en un mot, qui ne sont point un leurre (Ni tes vices non plus), tes efforts surhumains.
Tes préjugés vaincus ? que non pas !

-
Tes mains !
Longues et blanches et négligeant d'être belles.
Leurs poignets s'accommoderaient bien de dentelles.
Point trop fins qu'ils sont. (Mais les bras ! que modelés,

Que...)
Pourtant, avouons, les doigts vont, fuselés.

Agiles, et non sans une grâce perverse

Serait trop dire, ils vont, les doigts, qu'un rythme berce.

Sur le moi clavier de mes contemplations,

Tant et si bien que je craindrais que nous fissions

Des bêtises, puisqu'on nomme ça des bêtises.

En ce jourd'hui que je veux tout en teintes grises.

Bondé de convenance et soûl de chasteté.

Or ces simples mains-là qui n'ont jamais ganté

Que fourrures l'hiver et que mitaines vagues

L'été, s'abstiennent de l'éclat bourgeois des bagues,

De même que ton cou dédaigne les colliers

Et que ton pied, faisant fi des jolis souliers

Qu'une catin maigre use en courses libertines.

Brave, se cambre au cuir martial des bottines,

Et que le jersey pur et souple rampe au corps

Que j'adore, et non plus tels falbalas discords.

Mais quoi ! j'ai dit : « négligeant d'être belles » d'elles.

J'ai menti.
Je parlais, je crois, de citadelles

Conquises tout à l'heure et de combats livrés.

J'allusionnai lors, et cela de très près,

A la défense par ces mains de tel corsage,

De telle jupe ayant trop voulu rester sage

Et je leur en voulais et j'ai menti.
Du moins

Je me suis à dessein mal exprimé :
Témoins

Sont tes yeux que tes mains sont belles et très belles.

Et les miens donc !
Et je les baise comme telles

Cent et cent fois le jour et presque autant la nuit,

Mais trop belles, non pas, car en tout l'excès nuit.

Je voulais simplement dire qu'elles sont belles

Juste au point et que je les baise comme telles

Et non pas comme des châsses ou des bons dieux

En bois ou de métal plus ou moins précieux.

Mais bien comme les mains chères d'une maîtresse

Tant aimée et donnant la suprême caresse

Sur mon front essuyé, sur mes mains qu'elles font

Littéralement leurs, d'un fluide profond

Et calmant, d'une fièvre ainsi communiquée

Qu'elle va jusqu'à l'âme on dirait fatiguée.

Et l'endormant dans un rêve d'aise et d'ébat.

Quant aux poignets, que j'insultai d'un propos plat,

Toujours à cause des susdites résistances,

D convient, mon amour, qu'âprement tu me tances

D'une erreur volontaire et je confesse ici

Qu'ils sont parfaits, mignons et gras, roses ainsi

Qu'une rose-thé rose plus que de coutume,

A preuve que tantôt encor, dans l'amertume

D'un remords pour des mots trop vifs que j'avais dits.

Et les ayant baisés pour voir le paradis,
Le pardon, refleurir sur ta bouche si bonne.
Parmi le bleu lacis des veines, où, gai, sonne
Ton pouls tumultueux d'un courroux passager, (Espérais-je !) j'en ai gardé, pour y songer
Longtemps, le souvenir de satin et de soie.

Ô les mains, les dispensatrices de ma joie !



VII



Enfin c'est toi !
Laisse-moi rester dans tes bras ;
Puis tu m'objurgueras tant que tu le voudras.
Mais laisse-moi pleurer dans ton giron, que sais-je ?
Sur tes pieds, vers tes yeux où mon remords s'allège,
Mon remords véritable, ou ma honte plutôt.
Ma honte véridique à n'en point perdre un mot,
Et voici, non pas mon excuse... superflue !
Voici les faits, et juge :

Or, un jour de berlue,
J'avais, toi là, lorgné quelque minois passant.
Tu m'en fis l'observation en te gaussant.
C'est vrai, mais non sans quelque amertume latente.
Du moins pensais-je ainsi, moi toujours dans l'attente
De tous tes sentiments, qu'ils soient bons ou mauvais,
Pour m'en désespérer ou m'en réjouir, mais
Passons.
Et me piquant au jeu, je jouai double,
D'abord plein de scrupule, ô conscience trouble !
Puis délibérément, sans pudeur, à ton nez (Adorable pourtant), et mes voux étonnés
Qui dès longtemps n'avaient que toi pour but au monde
S'égaillèrent bientôt de la brune à la blonde.
Enfin vint le départ, la fuite, l'abandon
De toi par moi, mes rencontres d'une
Goton
Par nuit, vingt nuits avec des femmes différentes.
Et je m'habituais à ça comme à des rentes
Sans même me douter que c'était odieux.
Tant mes sens m'étaient devenus comme des dieux.
De ta saine présence exilés volontaires,
Et je les enivrai de ces vingt adultères
Ainsi qu'un vil païen prodiguant son encens
A des idoles, et son cour avec ou sans.
Le cour, quelle catin alors qu'il se dérange !

Dans ces femmes d'ailleurs je n'ai pas trouvé l'ange
Qu'il eût fallu pour remplacer ce diable, toi !
L'une, fille du
Nord, native d'un
Croioy, Était rousse, mal grasse et de prestance molle :

Elle ne m'adressa guère qu'une parole
Et c'était d'un petit cadeau qu'il s'agissait.
L'autre, pruneau d'Agen, sans cesse croassait ;
En revanche, dans son accent d'ail et de poivre.
Une troisième, récemment chanteuse au
Havre,
Affectait le dandinement des matelots
Et m'... engueulait comme un gabier tançant les flots.
Mais portait beau vraiment ; sacrédié, quel dommage !
La quatrième était sage comme une image,
Châtain clair, peu de gorge et priait
Dieu parfois :

Le diantre soit de ses sacrés signes de croix !

Les seize autres, autant du moins que ma mémoire

Surnage en ce vortex, contaient toutes l'histoire

Connue, un amant chic, puis des vieux, puis « l'ilôt '

Tantôt bien, tantôt moins, le clair café falot,

Les terrasses l'été, l'hiver les brasseries,

Et par degrés l'humble trottoir en théories

En attendant les bons messieurs compatissants.

Capables d'un louis et pas trop repoussants,

Quorum ego parva pars erim , me disais-je.

Mais toutes, comme la première du cortège,

Dès avant la bougie éteinte et le rideau

Tiré, n'oubliaient pas le « mon petit cadeau ».

Et voilà mon bilan de folles andalouses. Ça vexe-t-il par trop, dis, tes fureurs jalouses
Ou si je suis plutôt à plaindre qu'à blâmer ?
Mais voici que j'y pense - ô misère d'aimer ! -
Moi qui parle tout franc et qui plaide coupable,
Ne serais-tu pas, toi, de ton côté, capable
Non pas de ne pas pardonner (c'est si joli.
Si gentil le pardon, - quand c'est fleuri d'oubli).
Mais, te voyant ainsi méchamment esseulée,
Hein, de t'être faite une veuve consolée ?
Bonne guerre, après tout, et m'en taire siérait.

O tout de même, si qu'on se pardonnerait ?



VIII



MOI

Vrai, là, mais quel bourreau d'argent tu fais, petite !

TOI

Tiens, tiens !



IX



Tu fais tant partie intégrante de moi-même,

Ou plutôt je le fais tant de ce toi que j'aime

Si ! que j'en suis venu jusqu'à te confier

Ou, mieux, que tu perçois, sans, moi, t'y convier,

Les secrets les plus noirs de mon intelligence

Et de ma conscience, et quelle diligence

Ne mets-tu pas dans l'enquête et dans l'examen !

Parfois, ma foi, tu m'interpelles haut la main,

Avec raison souvent et toujours avec flamme.

Sur quelque point obscur qui me perplexe l'âme.

C'est ainsi qu'aujourd'hui, comme nous nous levions

Après une nuit belle, et que nous nous devions,

Depuis trois fois que nous étions forcément sages,

Tu t'avisas, dans le plus prude des langages

Mitigé d'ailleurs par ton air naïf et franc.

De me blâmer de faire noir ayant dit blanc.

Et dédier ma chair d'homme à la chair des femmes

En des rapprochements nombreux et polygames,

Cependant que mon âme, encore qu'en état

De péché très grief et d'extrême attentat,

Aspire au
Ciel conquis par quels soins nécessaires !

Et s'exhale en accents qu'on veut croire sincères

Et qui valurent même à cet infime moi

Les suffrages sans pair des gens de bonne foi...

Un baiser prolongé (Qu'arriva-t-il ensuite ?

Dame !) mit ta logique et la morale en fuite.

Mais quoi ? l'objection restait, et maintenant

Que je suis de sang-froid, et frais, et raisonnant.

Causons.

C'est vrai qu'à la suite de douleurs grandes,
De malheurs mérités, d'ennuis, toutes offrandes
A ce monde mauvais où s'incarne
Satan,
Ayant enfin courbé le front du vieil
Adam
Devant la vérité patente de l'Eglise,
J'adorai
Jésus qui l'incarne et réalise.
Et j'étendis ce culte au culte extérieur.
Nul ne pratiqua plus que moi, nul au rieur
Imbécile, qu'hélas ! est le
Français en masse,
Ne cracha le respect humain mieux sur la face.
Communiant à peu près tous les jours, d'esprit
Sinon de fait toujours, - et chaste (bien m'en prit).
Sobre (il n'était que temps), plus perfide ni brute,
Je tournais saint, je crois.
Le malheur c'est qu'en butte

Dès lors aux vrais dévots comme aux prêtres sans foi, -
A quelque exception près - je m'enquis pourquoi
Cet écart entre la
Doctrine et ceux du
Temple,
Sans penser qu'un jour je devais suivre l'exemple.
Mais non plus en prêcher, et j'appris qu'il était
Difficile, sinon impossible, de fait.
D'être un chrétien digne du nom, dans ces scandales,
A moins de qualités par trop pyramidales...

Et puis, et puis la chair est forte et l'esprit lent.

Pas plus que l'intellect le sang n'est somnolent.

Deux beaux yeux, des contours, ces seins, une démarche

Eurent trop bientôt fait chavirer ma pauvre arche,

Et le naufrage fut total et dure encor,

Et toi-même tu m'es un des flots du décor

Terrifiant (tout juste) où vint sombrer le drame

De ma vie et qui peut s'appeler :
Par la
Femme !

Mais non, tu m'es un flot de clarté, non de nuit.

Tu me sauves du désespoir, requin qui fuit.

Ta conversation est un clairon qui sonne

Ma diane ' et me fait n'avoir peur de personne

Que de toi quand tu dois ne me sourire pas.

Ton conseil est le seul, tu gagnes mes combats.

Et la gaîté de ton corps blanc et brun et rose

M'absout de tout dans telle nôtre apothéose.



X



Dans le peu de défauts dont je suis incapable.

Compte celui d'une jalousie implacable

Envers toi, mon
Mensonge aimé qui m'as dompté.

Jusqu'à m'ëtre un tel parangon de vérité

Que quand tu sors, belle, habillée, et pour des heures.

Prétexte, fourberie, astuces, feintes, leurres.

Tu me dis : «
Je fais une course », et je te crois.

La foi du charbonnier, même plus qu'en la
Croix,

Étant la mienne en toi, certes tu peux sans crainte.

Ah ! tu le sais ! jouer de moi qui te crois sainte,

Et quand tu fais semblant d'issir ' en négligé,

Me narguant d'un : «
Je vais voir des amants que j'ai »,

Lors je ne te crois pas, sûr, certain que tu railles.

J'aimerais moins suivre mes propres funérailles.

Dans un cas de malheur (c'est si je te perdais)

Que celles de qui me traiterait de dadais.

De dupe et mettrait bien à nu tes félonies.

Et je le traînerais, cet être, aux gémonies !

Pourtant, prends garde ! il n'est pire eau que l'eau qui dort.

J'ai des menaces, hein ? et des gestes de mort

Par des fois, qui ne sont pas plus rares, en somme.

Que de droit pour tout homme assumant d'être un homme.

La canne d'un cocu va douce à manier.

Le revolver n'a rien que puisse renier

Un monsieur mal luné qu'on n'attendait que guère.

Et le couteau semble à d'aucuns de bonne guerre.

S'il s'agit de quelque surprise prise mal.

Je suis nerveux, mon pouls ne bat pas très normal,

Toi-même tu pourrais passer pour peu commode

Et la prescription s'absente de ton code :

Dame ! un malentendu bien vite éclaterait

Non pour la trahison qui se dévoilerait,

Du moins le crois-je ainsi, vu mon humeur égale

Quant aux mours, mais bien pour l'espèce de fringale

Querelleuse précisément propre à tous deux.

Donc, sans être jaloux, tort mesquin et hideux.

Je deviens ombrageux comme un cheval de race

Pour peu que l'on prête à mon vice ou qu'on l'agace.

Le coup serait alors, non pas de m'éviter,

Toi surtout, que non pas ! mais bien de me guetter

Pour me gâter à l'heure choisie opportune,

M'étourdir de baisers jusqu'à m'être importune,

Jusqu'à m'en chatouiller, m'en faire bafouiller,

Rire hystériquement comme un enfant qui joue,

Me distraire en un mot de l'ennui qui me roue,

Me tirer hors de moi, du bonhomme nouveau

Que dès lors me voici, peindre l'idée en beau,

En rose, et me lâcher, mué tel dans la vie :

Ainsi le plan.
Je me connais.
Fais et t'y fie...

D'ailleurs, tu me connais aussi, trop plus que bien

Même, et tout secret mien devient vite le tien.

C'est terrible et logique et je n'y peux qui vaille.

Mais il dépend de toi, sans effort ni trouvaille.

Absolument, étant donné moi rien qu'à toi.

Moi te croyant et l'adorant en toute foi,

Moi ta chose et ton bien qu'on pille et qu'on gaspille ;

Il dépend de toi, dis-je, étourdiment gentille

Et si drôle comme tu l'es lorsque tu veux.

Ou sombre en harmonie avec tes noirs cheveux.

Et sérieuse avec l'aide de tes yeux d'ombre.

Tes yeux où des pensers sans fin passent sans nombre.

Si lumineux et si mutins quand il te plaît ;

Or, il dépend de toi, je le répète, il est

Dans ta main, ta main preste et leste et, s'il faut, lourde.

D'assoupir, de magnétiser, de rendre sourde.

Aveugle et plus crédule encore que jamais,

Grâce au vrai bon vouloir indolent que j'y mets.

Toute velléité mienne de jalousie...

Va donc, surpasse-toi, sers-nous la mieux choisie

De tes ruses dans l'art joli de me duper.

Le mieux serait pourtant de ne pas me tromper.



XI



Bah ! (Ce n'est pas à vous que l'on parle, madame)

Après tout, laissons-nous promener par la lame.

Elle est douce, elle est forte, elle sent bon la mer,

Son haleine est salée avec un goût amer.

Elle est ronde et nerveuse, elle chante, elle gronde,

Et c'est un véhicule aimable sur le monde.

Sa transparence aussi forme un miroir vivant.

Réfléchissant le ciel et son aspect mouvant.

La brise la caresse et la bise la fouette.

Espoir, regret ou vou, l'aile de la mouette

Vole autour et, la nuit, grise, est rose le jour.

Comme la certitude ou le doute en amour...

Laissons-nous promener par elle (Rien, ma chère.

Qui vous concerne) tant qu'elle-est encor légère

Et claire et mesurée en un juste reflux.

N'attendons pas, grands dieux ! qu'il ne soit bientôt plus

Temps, que, sous l'ouragan subit, elle n'éclate

Furieuse et méchante et trouble sous
Hécate

Fatidique et moqueuse en les nuages tors :

Telle une femme ayant franchement tous les torts,

Qui se révolte et devient pire que nature.

Orage de colère et tourbillon d'injure !

Ah ! malheur à celui pris dans cet affreux pot

Au noir ' !

(Tiens, chère !
Que charmante ce tantôt !)



XII



Certes, il fut traversé-traverseras-tu.

Ce mien dernier amour, mon arrière-vertu.

Mon ultime raison, mon excuse suprême

De vivre et d'être un homme et de rester moi-même,

Traversé-traverseras-tu, dans que de sens !

Combien de fois !
Depuis les soirs presque innocents

A force de candeur dans l'entier badinage °

Où se forma cette union, notre ménage

Bizarre, intermittent, plein de lutte et de jeux,

Jusqu'à cet aujourd'hui nuageux, orageux.

Courageux après tout, vécu comme en campagne.
Avec tel quelque air de malheur qui l'accompagne.
Pour le saler et le poivrer conformément
Aux besoins du moment en fait de condiment.
Malentendu dès les premières fois, querelles
Souvent, disputes très souvent, graves, car elles
Avaient pour sanction, las ! des brutalités
Pas toujours tiennes, nos pénates désertés *
A tour de rôle, ou d'une fuite mutuelle.
Pauvres pénates tôtc rejoints !
Apre, cruelle,
Abominable vie, adorée, entre nous !

Mais enfin il est temps, pour nous comme pour tous

D'asseoir et d'assurer sur quelque base forte.

Par dévouement ou simple habitude, n'importe !

-
L'habitude souvent confine au dévouement

Et le dévouement n'est jamais qu'un dénouement -

Cette nôtre existence, en somme indispensable

A nos tempéraments, comme aux genêts le sable,

Ce statu quo peut-être un peu trop militant,

Mais qui nous plaît, et qui nous sied, même, pourtant.

Sauvage, oui, notre vie " ?
Eh ! rendons-la moins rude,

Moi par le dévouement et toi par l'habitude.

Soyons de vieux amants étant de vieux amis.

Je me ferai de plus en plus souple et soumis

Et le sujet plutôt que l'amant de la reine.

Mais toi, tout en restant terrible, sois sereine !

Ironique un petit, et, sûre ' de ton
Paul,

S'il faute, punis-le comme on fustige un fol

De cour qu'il est coutume après tout de peu battre.

Moi, je vais me forcer, m'user, me mettre en quatre.

Pour obtenir, de mon côté, ce résultat

D'au moins t'humaniser et te mettre en état

De me montrer, du tien, quelque peu d'indulgence

Compatible avec mon degré d'intelligence,

Sauf en un cas de trahison mienne perçu

(Et ne prends ta revanche un peu qu'à mon insu),

Puisqu'après tout, à tout péché miséricorde.

Bref, des concessions réciproques j'accorde :

De vivre ton féal corvéable et chétif ;

Accorde de régner sans zèle intempestif.

Tiens, quand tu n'es pas là, pour telle ou telle cause.

Absence bien forcée et qui me fait morose

A pleurer, au début, ainsi qu'un orphelin

Voulant sa mère, (et quel cour gros, et quel oil ^ plein !)

Par degrés, cependant, d'abord presque insensibles,

J'arrive à m'engourdir en chagrins plus paisibles,

Plus plausibles aussi, puisqu'y faire ne puis.

Et peu à peu l'agitation de mes nuits.

D'abord toute à ton corps qu'un rêve réalise.

Se transfigure enfin, se comme subtilise.

Se comme virilise en ardente amitié.

Mais en pure amitié, tendre encore à moitié

Tout au plus, et l'amant devient le camarade.

Nuance exquise quand la couleur se dégrade

Du rouge de fournaise au blanc rose du jour.

Eh bien ! sans abdiquer pour cela notre amour,

-
Les dieux * nous gardent d'une telle ingratitude ! -

Si nous nous imposions résolument l'étude

D'appliquer la leçon dont je te parlais là,

La leçon que l'aime nature me souffla,

Au moyen si persuasif, encor qu'austère,

D'une façon de divorce sans adultère

Et que console un sûr désir d'un prompt retour ?

Si nous tâchions d'éviter bien ces chocs, et pour

Cela, si nous tentions d'être un peu moins en ligne

De bataille, et d'accord tacite sur l'insigne

Question, qu'on réserve en tout tact bien discret.

D'essayer de la franche amitié qu'on plierait

Parfois, quand il faudrait, aux caprices de l'heure,

Ou souvent... et, tapis dans l'heur et la demeure

Qu'un loisir diligent nous aura préparés,

Parfilons-y gaiement des jours considérés

Par les yeux aussi bien bêtes du voisinage,

Mais dont l'assentiment garantit et ménage

La tranquillité due en somme aux gens de bien.

Qu'en dis-tu ?
N'est-ce pas ?
Nous, ce double vaurien.
Ce vagabond des deux sexes, cette bohème
Que nous sommes et cette espèce de poème
Que nous vivons, non sans peut-être du talent.
Nous, transformés en un couple chaste au vou lent (Chaste et lent relativement, le vou, le couple).
Hein, ça t'agrée ?
Et te sens-tu vaillante et souple
Assez pour conspirer avec moi ce bonheur,
Assez pour conquérir avec moi cet honneur !
Hum !
Tu ne réponds pas, sinon d'une grimace
Dédaigneuse plutôt, - et que faut-il qu'on fasse?
Baste ! qu'il en retourne ainsi qu'il te plaira.
Je t'obéis en tout, advienne que pourra.
La mort est là d'ailleurs, conseillère émérite
Qui nous dit de jouir, vite et beaucoup, de suite,
Et qu'un traître jupon prime un loyal linceul...

Son avis est le tien, pas, chéri ?
C'est le seul !

Contact - Membres - Conditions d'utilisation

© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.

Paul Verlaine
(1844 - 1896)
 
  Paul Verlaine - Portrait  
 
Portrait de Paul Verlaine

Ouvres

Après une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b

Chronologie


Biographie


mobile-img