Paul Verlaine |
I Dis, sérieusement, lorsque je serai mort, Plein de toi, sens, esprit, âme et dans la prunelle Ton image à jamais pour la nuit éternelle ; Au cour tout ce passé tendre et farouche, sort Divin, l'incomparable entre les jouissances Immenses de ma " vie excessive, ô toi, dis, Pense parfois à moi qui ne pensais jadis Qu'à t'aimer, t'adorer de toutes les puissances D'un être fait exprès pour toi seule t'aimer. Toi seule te servir et vivre pour toi seule Et mourir en toi seule. Et puis quand* belle aïeule Tu penseras à moi, garde-toi d'exhumer Mes jours de jalousie et mes nuits d'humeur noire : Plutôt évoque l'abandon entre tes mains De tout moi, tout au bon présent, aux chers demains, Et qu'une bénédiction de la mémoire M'absolve et soit mon guide en les sombres chemins. II J'ai magnifié de vertus. Chère veuve, tes qualités. Ces hommages leur étaient dus Et je n'ai dit que vérités. Ta patience de parole Et d'action à mon égard Mériterait une auréole. Toi belle et moi presque un vieillard. Presque un vieillard, presque hystérique. Aux goûts sombres et ruineux. Évocation chimérique Des grands types libidineux, Tibère et tous, - et ta clémence Vis-à-vis de ces désirs fous, Ou sots plutôt dans leur immense Ambition de quatre sous. Et ta gentillesse divine Devant mes soupçons odieux. Quelle que fût leur origine. Toi si belle et moi presque vieux. Et ton cour, dans nos zizanies Éteintes enfin sur le tard. Plein des faiblesses infinies D'une maman pour son moutard. Mais aussi ton esprit sagace Tenant tête à l'entêtement D'un moi triste ensemble et cocasse... Il est vrai que je t'aimais tant ! III Lorsque je t'écrivais des vers Que des sots dits spirituels Trouvaient un peu bien sensuels Et d'autres simplement pervers. J'eus soin de mettre en tête d'eux Ces cris si vrais de mon amour, Quelques mots graves pour qu'un jour Se tût le mensonge hideux. Oui, certes, le sang et la chair Furent mes complices joyeux Dans le délice radieux D'avoir trouvé le maître cher. Le beau guide en ce monde laid, Le conseil franc et l'âme forte Et cette verve qui m'emporte Chez la femme qu'il me fallait ! Ah ! conduis-moi, lors triomphant Puisque pour appui j'ai ton bras, A travers tous les embarras. Comme un vieillard, comme un enfant. Puis, dis, lorsque j'aurai quitté La terre et ta présence, hélas ! Mêle un peu ta prière au glas M'annonçant dans l'éternité. IV Te rappelleras-tu mes colères injustes ? Non, mais plutôt l'élan vers tes vertus augustes De toute ma pensée à l'entier dévouement Qui n'avait de bonheur qu'en l'agenouillement Devant ta volonté pour moi douce et terrible Et toujours pour un bien, à la passer au crible. De l'accomplissement joyeux d'un ordre dur. Et toujours pour un bien et d'après un plan sûr. Emané de ton âme et sorti de ta bouche. M'auras-tu pardonné mon front parfois farouche Et ma face effarée et mon geste perdu. Pensant combien frappé, de quels malheurs battu. Abreuvé de quel fiel, par une providence Pleine d'oubli clément et d'exquise prudence, Je tombais dans tes bras divins qui m'ont sauvé ! Mais plutôt tu ressentiras ton cour couvé Par le mien et tu reverras plutôt ma vie Dépendant de la tienne avec point d'autre envie Que ne pas te déplaire ou te désobéir En quoi que ce pût être, et ne jamais faillir A la devise confiée à ton pur zèle. Vivante dans ton sang. Tout pour Elle et par Elle ! Et peut-être qu'alors quelques pleurs précieux. Glorieux témoignage, obscurciront tes yeux. V Et voici l'instant où tu meurs. Nuit suprême en ma nuit extrême, Deuil de deuils, malheur de malheurs, Il me semble mourir encor moi-même. Eh quoi ! l'expansion immense De cette immense intensité, Cette santé, cette gaîté, Tout ce triomphe enseveli, démence ! Mais ! le néant c'est bon pour moi. Pour cet être absurde et fragile, C'est ce qu'il faut, mais quant à toi... Nous ne sommes pas de la même argile. Moi je suis la destruction Dans le silence et les ténèbres. Toi, monte avec l'assomption Des femmes que l'amour rendit célèbres. Car dans l'ombre où l'on s'en ira, Ta figure entre toutes celles Des belles que l'on adora Passe les amantes et les pucelles. Et, dernier don à ton féal, Ma tombe sera renommée De ce chef divin et royal, La gloire de t'avoir surtout aimée. |
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Paul Verlaine (1844 - 1896) |
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Portrait de Paul Verlaine | |||||||||
OuvresAprès une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b ChronologieBiographie |
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