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Paul Verlaine



La bonne chanson - Chanson


Chanson / Poémes d'Paul Verlaine





I



Le soleil du matin doucement chauffe et dore
Les seigles et les blés tout humides encore.
Et l'azur a gardé sa fraîcheur de la nuit.
L'on ' sort sans autre but que de sortir ; on suit.
Le long de la rivière aux vagues herbes jaunes.
Un chemin de gazon que bordent de vieux aunes.
L'air est vif.
Par moments un oiseau " vole avec
Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec,
Et son reflet dans l'eau survit à son passage.
C'est tout.

Mais le songeur aime ce paysage
Dont la claire douceur a soudain caressé
Son rêve de bonheur adorable, et bercé
Le souvenir charmant de cette jeune fille,
Blanche apparition qui chante et qui scintille,
Dont rêve le poète et que l'homme chérit. Évoquant en ses voux dont peut-être on sourit
La
Compagne qu'enfin il a trouvée, et l'âme
Que son âme depuis toujours pleure et réclame.



II



Toute grâce et toutes nuances,
Dans l'éclat doux de ses seize ans,
Elle a la candeur des enfances
Et les manèges innocents.

Ses yeux, qui sont les yeux d'un ange,
Savent pourtant, sans y penser ', Éveiller le désir étrange
D'un immatériel baiser .

Et sa main, à ce point petite
Qu'un oiseau-mouche n'y tiendrait.
Captive, sans espoir de fuite.
Le cour pris par elle en secret.

L'intelligence vient chez elle
En aide à l'âme noble ; elle est
Pure autant que spirituelle :
Ce qu'elle a dit, il le fallait !

Et si la sottise l'amuse
Et la fait rire sans pitié.
Elle serait, étant la muse ,
Clémente jusqu'à l'amitié.

Jusqu'à l'amour - qui sait ? peut-être,
A l'égard d'un poète épris
Qui mendierait sous sa fenêtre,
L'audacieux ! un digne prix

De sa chanson bonne ou mauvaise !

Mais témoignant sincèrement.

Sans fausse note et sans fadaise.

Du doux mal qu'on souffre en aimant.



III



En robe grise et verte avec des ruches,
Un jour de juin que j'étais soucieux,
Elle apparut souriante à mes yeux
Qui l'admiraient sans redouter d'embûches ;

Elle alla, vint, revint, s'assit, parla.
Légère et grave, ironique, attendrie :
Et je sentais en mon âme assombrie
Comme un joyeux reflet de tout cela ;

Sa voix, étant de la musique fine,
Accompagnait délicieusement
L'esprit sans fiel de son babil charmant
Où la gaîté d'un cour bon se devine.

Aussi soudain fus-je, après le semblant
D'une révolte aussitôt étouffée.
Au plein pouvoir de la petite
Fée
Que depuis lors je supplie en tremblant.



IV



Puisque l'aube grandit, puisque voici l'aurore,
Puisque, après m'avoir fui longtemps, l'espoir veut bien
Revoler devers moi qui l'appelle et l'implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,

C'en est fait à présent des funestes pensées,
C'en est fait des mauvais rêves, ah ! c'en est fait
Surtout de l'ironie et des lèvres pincées
Et des mots où l'esprit sans l'âme triomphait.

Arrière aussi les poings crispés et la colère
A propos des méchants et des sots rencontrés ;
Arrière la rancune abominable ! arrière
L'oubli qu'on cherche en des breuvages exécrés !

Car je veux, maintenant qu'un Être de lumière
A dans ma nuit profonde émis cette clarté
D'une amour à la fois immortelle et première,
De par la grâce, le sourire et la bonté,

Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ;

Oui, je veux marcher droit et calme dans la
Vie,
Vers le but où le sort dirigera mes pas,
Sans violence, sans remords et sans envie :
Ce sera le devoir heureux aux gais combats.

Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,
Je chanterai des airs ingénus, je me dis
Qu'elle m'écoutera sans déplaisir sans doute ;
Et vraiment je ne veux pas d'autre
Paradis.



V



Avant que tu ne t'en ailles,
Pâle étoile du matin,

-
Mille cailles

Chantent, chantent dans le thym. -

Tourne devers le poète ,

Dont les yeux sont pleins d'amour,

-
L'alouette

Monte au ciel avec le jour. -Tourne ton regard que noie
L'aurore dans son azur;

-
Quelle joie

Parmi les champs de blé mûr ! -

Puis fais luire ma pensée

Là-bas, - bien loin, oh ! bien loin !

-
La rosée

Gaîment brille sur le foin. -

Dans le doux rêve où s'agite
Ma mie endormie encor...

-
Vite, vite.

Car voici le soleil d'or. -



VI



La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...

Ô bien-aimée.

L'étang reflète ,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...

Rêvons, c'est l'heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...

C'est l'heure exquise.



VII



Le paysage dans le cadre des portières '
Court furieusement, et des plaines entières
Avec de l'eau, des blés, des arbres et du ciel
Vont s'engourTrant parmi le tourbillon cruel
Où tombent les poteaux minces du télégraphe
Dont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe

Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout.
Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout
Desquelles hurleraient mille géants qu'on fouette ;
Et tout à coup des cris prolongés de chouette.

-
Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux
La blanche vision qui fait mon cour joyeux.
Puisque la douce voix pour moi murmure encore,
Puisque le
Nom si beau, si noble et si sonore
Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,
Au rythme du wagon brutal, suavement.



VIII



Une
Sainte en son auréole,
Une
Châtelaine en sa tour,
Tout ce que contient la parole
Humaine de grâce et d'amour ;

La note d'or que fait entendre
Un cor dans le lointain des bois.
Mariée à la fierté tendre
Des nobles
Dames d'autrefois ;

Avec cela le charme insigne
D'un frais sourire triomphant Éclos dans des candeurs de cygne
Et des rougeurs de femme-enfant ;

Des aspects nacrés, blancs et roses.
Un doux accord patricien.
Je vois, j'entends toutes ces choses
Dans son nom
Carlovingien .



IX



Son bras droit, dans un geste aimable de douceur.
Repose autour du cou de la petite sour,
Et son bras gauche suit le rythme de la jupe.
A coup sûr une idée agréable l'occupe.
Car ses yeux si francs, car sa bouche qui sourit
Témoignent d'une joie intime avec esprit.
Oh ! sa pensée exquise et fine, quelle est-elle ?
Toute mignonne, tout aimable, et toute belle,
Pour ce portrait, son goût infaillible a choisi
La pose la plus simple et la meilleure aussi :
Debout, le regard droit, en cheveux ; et sa robe
Est longue juste assez pour qu'elle ne dérobe
Qu'à moitié sous ses plis jaloux le bout charmant
D'un pied malicieux imperceptiblement.



X



Quinze longs jours encore ' et plus de six semaines
Déjà !
Certes, parmi les angoisses humaines,
La plus dolente angoisse est celle d'être loin.

On s'écrit, on se dit que l'on s'aime ; on a soin
D'évoquer chaque jour la voix, les yeux, le geste
De l'être en qui l'on met son bonheur, et l'on reste
Des heures à causer tout seul avec l'absent.
Mais tout ce que l'on pense et tout ce que l'on sent
Et tout ce dont on parle avec l'absent, persiste
A demeurer blafard et fidèlement triste.

Oh ! l'absence ! le moins clément de tous les maux !
Se consoler avec des phrases et des mots.
Puiser dans l'infini morose des pensées
De quoi vous rafraîchir, espérances lassées.
Et n'en rien remonter que de fade et d'amer !
Puis voici, pénétrant et froid comme le fer.
Plus rapide que les oiseaux et que les balles
Et que le vent du sud en mer et ses rafales
Et portant sur sa pointe aiguë un fin poison.
Voici venir, pareil aux flèches, le soupçon
Décoché par le
Doute impur et lamentable.

Est-ce bien vrai ?
Tandis qu'accoudé sur ma table
Je lis sa lettre avec des larmes dans les yeux.
Sa lettre, où s'étale un aveu délicieux.
N'est-elle pas alors distraite en d'autres choses ?
Qui sait ?
Pendant qu'ici pour moi lents et moroses
Coulent les jours, ainsi qu'un fleuve au bord flétri,
Peut-être que sa lèvre innocente a souri ?
Peut-être qu'elle est très joyeuse et qu'elle oublie ?

Et je relis sa lettre avec mélancolie.



XI



La dure épreuve va finir :
Mon cceur, souris à l'avenir.

Ils sont passés les jours d'alarmes
Où j'étais triste jusqu'aux larmes.

Ne suppute plus les instants,

Mon âme, encore un peu de temps.

J'ai lu les paroles amères

Et banni les sombres chimères.

Mes yeux exilés de la voir
De par un douloureux devoir.

Mon oreille avide d'entendre

Les notes d'or de sa voix tendre,

Tout mon être et tout mon amour
Acclament le bienheureux jour

Où, seul rêve et seule pensée,
Me reviendra la fiancée !



XII



Va, chanson, à tire-d'aile
Au-devant d'elle, et dis-lui
Bien que dans mon cour fidèle
Un rayon joyeux a lui,

Dissipant, lumière sainte,
Ces ténèbres de l'amour :
Méfiance, doute, crainte,
Et que voici le grand jour !

Longtemps craintive et muette,
Entendez-vous ? la gaîté,
Comme une vive alouette,
Dans le ciel clair a chanté.

Va donc, chanson ingénue ,
Et que, sans nul regret vain,
Elle soit la bienvenue
Celle qui revient enfin.



XIII



Hier, on parlait de choses et d'autres,

Et mes yeux allaient recherchant les vôtres ;

Et votre regard recherchait le mien
Tandis que courait toujours l'entretien.

Sous le sens banal des phrases pesées
Mon amour errait après vos pensées ;

Et quand vous parliez, à dessein distrait.
Je prêtais l'oreille à votre secret :

Car la voix, ainsi que les yeux de
Celle
Qui vous fait joyeux et triste, décèle,

Malgré tout effort morose et rieur",
Et met au plein jour l'être intérieur.

Or, hier je suis parti plein d'ivresse :
Est-ce un espoir vain que mon cour caresse.

Un vain espoir, faux et doux compagnon ?
Oh ! non ! n'est-ce pas ? n'est-ce pas que non ?



XIV



Le foyer, la lueur étroite de la lampe ;
La rêverie avec le doigt contre la tempe
Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés ;
L'heure du thé fumant et des livres fermés ;
La douceur de sentir la fin de la soirée ;
La fatigue charmante et l'attente adorée
De l'ombre nuptiale et de la douce nuit,
Oh ! tout cela, mon rêve attendri le poursuit
Sans relâche, à travers toutes remises vaines,
Impatient des mois, furieux des semaines !



XV



J'ai presque peur, en vérité,
Tant je sens ma vie enlacée
A la radieuse pensée
Qui m'a pris l'âme l'autre été ',

Tant votre image, à jamais chère,
Habite en ce cour tout à vous,
Mon cour uniquement jaloux
De vous aimer et de vous plaire ;

Et je tremble, pardonnez-moi
D'aussi franchement vous le dire,
A penser qu'un mot, un sourire
De vous est désormais ma loi,

Et qu'il vous suffirait d'un geste,
D'une parole ou d'un clin d'oeil.
Pour mettre tout mon être en deuil
De son illusion céleste.

Mais plutôt je ne veux vous voir,
L'avenir dût-il m'être sombre
Et fécond en peines sans nombre,
Qu'à travers un immense espoir.

Plongé dans ce bonheur suprême
De me dire encore et toujours.
En dépit des mornes retours,
Que je vous aime, que je t'aime !



XVI



Le bruit des cabarets, la fange des trottoirs ',

Les platanes déchus s'effeuillant dans l'air noir,

L'omnibus, ouragan de ferraille et de boues.

Qui grince, mal assis entre ses quatre roues,

Et roule ses yeux verts et rouges lentement.

Les ouvriers allant au club, tout en fumant

Leur brûle-gueule au nez des agents de police.

Toits qui dégouttent, murs suintants, pavé qui glisse ,

Bitume défoncé, ruisseaux comblant l'égout.

Voilà ma route - avec le paradis au bout.



XVII



N'est-ce pas ? en dépit des sots et des méchants
Qui ne manqueront pas d'envier notre joie.
Nous serons fiers parfois et toujours indulgents.

N'est-ce pas ? nous irons, gais et lents, dans la voie
Modeste que nous montre en souriant l'Espoir,
Peu soucieux qu'on nous ignore ou qu'on nous voie.

Isolés dans l'amour ainsi qu'en un bois noir,
Nos deux cours, exhalant leur tendresse paisible.
Seront deux rossignols qui chantent dans le soir.

Quant au
Monde, qu'il soit envers nous irascible
Ou doux, que nous feront ses gestes ?
II peut bien.
S'il veut, nous caresser ou nous prendre pour cible.

Unis par le plus fort et le plus cher lien.

Et d'ailleurs, possédant l'armure adamantine ',

Nous sourirons à tous et n'aurons peur de rien.

Sans nous préoccuper de ce que nous destine
Le
Sort, nous marcherons pourtant du même pas,
Et la main dans la main, avec l'âme enfantine

De ceux qui s'aiment sans mélange, n'est-ce pas ?



XVIII



Nous sommes en des temps infimes

Où le mariage des âmes

Doit sceller l'union des cours ;

A cette heure d'affreux orages

Ce n'est pas trop de deux courages

Pour vivre sous de tels vainqueurs.

En face de ce que l'on ose
Il nous siérait, sur toute chose,
De nous dresser, couple ravi
Dans l'extase austère du juste ',
Et proclamant d'un geste auguste
Notre amour fier, comme un défi .

Mais quel besoin de te le dire ?
Toi la bonté, toi le sourire,
N'es-tu pas le conseil aussi.
Le bon conseil loyal et brave,
Enfant rieuse au penser grave,
A qui tout mon cour dit : merci ' !



XIX



Donc, ce sera par un clair jour d'été ' :
Le grand soleil, complice de ma joie,
Fera, parmi le satin et la soie,
Plus belle encor votre chère beauté ;

Le ciel tout bleu, comme une haute tente.
Frissonnera somptueux à longs plis
Sur nos deux fronts heureux qu'auront pâlis
L'émotion du bonheur et l'attente ;

Et quand le soir viendra, l'air sera doux
Qui se jouera, caressant, dans vos voiles,
Et les regards paisibles des étoiles
Bienveillamment souriront aux époux.



XX



J'allais par des chemins perfides,

Douloureusement incertain.

Vos chères mains furent mes guides .

Si pâle â l'horizon lointain
Luisait un faible espoir d'aurore ;
Votre regard fut le matin.

Nul bruit, sinon son pas sonore.

N'encourageait le voyageur.

Votre voix me dit : «
Marche encore ! »

Mon cour craintif, mon sombre cour
Pleurait, seul, sur la triste voie ;
L'amour, délicieux vainqueur.

Nous a réunis dans la joie.



XXI



L'hiver a cessé : la lumière est tiède
Et danse, du sol au firmament clair.
Il faut que le cour le plus triste cède
A l'immense joie éparse dans l'air.

Même ce
Paris maussade et malade '
Semble faire accueil aux jeunes soleils,
Et comme pour une immense accolade
Tend les mille bras de ses toits vermeils.

J'ai depuis un an le printemps dans l'âme
Et le vert retour du doux floréal,
Ainsi qu'une flamme entoure une flamme,
Met de l'idéal sur mon idéal.

Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne
L'immuable azur où rit mon amour.
La saison est belle et ma part est bonne
Et tous mes espoirs ont enfin leur tour.

Que vienne l'été ! que viennent encore
L'automne et l'hiver !
Et chaque saison
Me sera charmante, ô
Toi que décore
Cette fantaisie et cette raison !

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Paul Verlaine
(1844 - 1896)
 
  Paul Verlaine - Portrait  
 
Portrait de Paul Verlaine

Ouvres

Après une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b

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