Paul Verlaine |
Ce troisième livre, qui paraît en 1870, un an après les Fêtes galantes, relève de la poésie de circonstance. Les vingt et un poèmes de La Bonne Chanson ont tous été écrits pour Matliilde Mauté, à qui Verlaine les envoyait au fur et à mesure de leur rédaction. La première rencontre entre la jeune fille et le poète a lieu à la fin du mois de juin 1869, chez Charles de Sivry. Demi-frère de Mathilde et grand ami de Verlaine, Charles de Sivry habitait à Montmartre dans la rue Nicolet. D'emblée, Verlaine est séduit : « L'amie, oui ; car quel nom donner à qui venait de m'inspirer tout à coup, tel un coup de... joie calme, ce rafraîchissement tout fleurant d'innocence et de simplicité ' ?» Le 11 juillet, Verlaine gagne Fampoux pour passer plusieurs semaines chez son oncle : parties de pêche et de chasse, promenades, dîners ; dégoûté de lui-même après une soirée de débauche à Arras, Verlaine réagit et écrit à Charles de Sivry pour lui demander la main de sa demi-sour. La réponse encourageante lui permet d'espérer : « C'est de ce moment que je conçus le plan, si le mot ne vous semble pas trop ambitieux pour un si mince ouvrage, de cette Bonne Chanson 2. » Sivry vient rejoindre Verlaine à Fampoux à la fin de juillet ; il lui annonce l'accueil favorable des parents de Mathilde ; toutefois ceux-ci veulent éprouver les sentiments des deux jeunes gens en imposant un certain délai. La famille Mauté part passer deux mois au château de Bouelle en Normandie, ce qui empêche Verlaine de revoir Mathilde. Le premier poème de La Bonne Chanson date de ce séjour de Charles de Sivry, qui quitte Fampoux au début du mois d'août. Verlaine reste dans le Nord jusqu'au 23 août, puis rentre à Paris où il reprend son travail de bureau. Durant ces deux mois de séparation, il écrit les poèmes I à XII : I à VI ont été composés à Fampoux ou à Lécluse, VII évoque son retour à Paris en chemin de fer, VH1 à XII sont rédigés à Paris durant le mois de septembre. Verlaine envoie ces poèmes à Charles de Sivry, qui les transmet à Mathilde et lui renvoie les lettres de celle-ci. Mathilde revient à Paris au début du mois d'octobre ; désormais, les deux jeunes gens peuvent se voir et Verlaine vient quotidiennement rendre visite à sa fiancée. Les poèmes XIII à XVIII datent de cette période. Les poèmes XIX à XXI sont écrits en avril et mai, moment où se décide la date du mariage. Verlaine réunit alors ses poèmes en vue de la publication. L'achevé d'imprimer est du 12 juin 1870 ; le volume parait mais à cause des événements la mise en vente n'aura lieu qu'en 1872. La Bonne Chanson se présente comme un itinéraire sentimental qui retrace l'aventure des fiançailles. Le livre comprend deux parties bien nettes. Les douze premiers poèmes écrits durant la période de séparation évoquent la jeune fille : Verlaine rêve et ne s'adresse jamais directement à elle, il ne parle d'elle qu'à la troisième personne. Ce premier ensemble se subdivise en deux volets : dans les poèmes I à VI composés à la campagne apparaissent des paysages naturels ; dans les poèmes VIII à XII, écrits à Paris, la campagne disparaît complètement. La seconde partie - les neuf derniers poèmes - correspond au moment où les deux fiancés se rencontrent souvent : Verlaine s'y adresse directement à Mathilde en employant le vous et le tu ; et il parle alors de « mariage » et de « couple ». On perçoit une progression très nette dans la manière dont Verlaine parle de Madiilde. Il la nomme d'abord d'un terme encore vague, « la Compagne » (I), puis « la muse » (II) pour marquer qu'elle lui inspire ses vers ; un progrès apparaît avec « la petite Fée » (III) qui indique son pouvoir magique et « Être de lumière » (IV) qui souligne tout ce que le poète attend d'elle pour transformer sa vie. « Ma mie » (V) donne une impression de familiarité ; les sentiments deviennent plus nets avec « bien-aimée » (VI) et le terme de « fiancée » (XI) marque une évolution décisive. Ensuite, comme il s'adresse à elle, il n'a plus besoin de la nommer, sinon « Enfant rieuse au penser grave » (XVIII). Verlaine ne décrit pas Mathilde, dont le portrait ne contient pas de détails concrets et demeure flou et incertain. Mathilde a les yeux « d'un ange » (II), les « beaux yeux aux flammes douces » sont qualifiés de « francs » (IX) ; sa lèvre est « innocente » (X), sa voix « douce » (VII) et « tendre » (XI) laisse entendre une « musique fine » et un « babil charmant » (III) ; sa main est « petite » (II) et l'on aperçoit « le bout charmant d'un pied malicieux » (LX). Dans le poème IX, écrit à partir d'une photographie, seule l'attitude se trouve décrite. Quant au portrait moral, il demeure aussi très vague : Verlaine parle de l'innocence, de la candeur, de la grâce et de la gaieté de sa fiancée. Il insiste surtout sur le pouvoir qu'elle exerce sur lui. Un mot, un geste, un regard d'elle provoquent joie ou tristesse. Avant de l'avoir rencontrée, Verlaine se sentait inquiet et angoissé. Il avait l'« âme assombrie » (III) et recherchait dans l'alcool et les plaisirs sensuels une délivrance. L'apparition de Mathilde lui apporte l'espoir d'une vie tranquille et normale, qui satisferait son rêve de bonheur calme. Mathilde a surgi dans sa vie comme une : Blanche apparition qui chante et qui scintille El une série d'antithèses oppose le passé au présent, l'enfer au paradis, la nuit à la lumière : [.-.] maintenant qu'un Être de lumière A dans ma nuit profonde émis cette clarté (IV) Verlaine savoure la douceur de l'amour naissant ; il goûte le bonheur de contempler une photographie, de lire et de relire une lettre, ou bien, à Paris, de passer la soirée à converser en prenant le thé. D abandonne ses « funestes pensées », ses « mauvais rêves » (IV), son ironie et ses colères. Il prend de sages résolutions et décide de lutter contre son penchant à la boisson. Désormais, il entend « marcher droit et calme » (IV) et chanter avec ingénuité. Parfois, il tremble, il a peur que ce bonheur ne soit qu'un rêve, qu'un vain espoir (XIII). Mais l'amour triomphe et il attend avec confiance les joies promises aux futurs époux. La Bonne Chanson a donc une composition qui suit la chronologie. Mais Verlaine a soin d'introduire de la variété dans son livre. Les poèmes, qui tous chantent l'amour, peuvent en effet se répartir en quatre groupes. Certains présentent un portrait de Mathilde ; aucun événement n'intervient, le poète évoque la figure de celle qu'il aime : ainsi les poèmes II, VIII et LX. D'autres au contraire ont leur source dans l'anecdote et décrivent un instant précis : la première rencontre (ILT), l'arrivée d'une lettre (X), l'envoi d'un poème (XII), une conversation (XIII), le jour du mariage (XIX). Le groupe le plus important réunit les poèmes où Verlaine analyse ses sentiments et ses états d'âme : IV, XI, XIV, XV, XVII, XVIII, XX et XXI. Enfin, plusieurs poèmes peignent des paysages : ils possèdent tous la même structure ; Verlaine dessine un paysage, puis note les impressions et les émotions qui naissent en s'harmonisant à ce qu'il voit : campagne au soleil du matin (I), fraîcheur de la nature au jour naissant (V), nocturne (VI), paysage vu du train (VII), rues de Paris (XVI). Si beaucoup de poèmes ont une composition linéaire qui suit les diverses phases de la narration ou de la méditation, certains offrent en revanche une architecture plus subtile. Ainsi, dans le poème III, alternent régulièrement l'évocation de Mathilde et les sentiments du poète ; dans la strophe 1, aux vers 1 et 3 répondent les vers 2 et 4 ; la strophe 2 se trouve partagée entre Mathilde (vers 1 et 2) et le poète (vers 3 et 4) tandis qu'à la strophe 3 entièrement consacrée à Madiilde fait écho la strophe 4 où le poète parle de lui-même. Dans le poème VIII, Verlaine entrelace les impressions visuelles et les impressions auditives : vers 1-2 / vers 3*4, vers 5-6 / vers 7-8, vers 9-13 / vers 15-16. Le poème V présente une structure en double registre : dans les deux premiers vers de chaque strophe on a une romance à l'étoile qui devient messagère de l'amour, dans les deux derniers vers Verlaine note des impressions venues du paysage extérieur. Le poème VI possède une composition analogue : dans les vers 1-5, 7-11, 13-17 Verlaine évoque le paysage nocturne et dans le dernier vers de chaque sizain (vers 6, 12, 18 qui se trouvent détachéS), il s'adresse à la bien-aimée. Ce souci de la variété apparaît encore dans l'usage des mètres et des strophes. Huit poèmes sont en alexandrins ; tantôt Verlaine conserve sa régularité : ainsi pour peindre le calme et l'équilibre du paysage dans les trois premiers vers du poème I, rythmés 6//6 ; tantôt, il introduit un rythme différent : au vers 4 du même poème, il suggère le départ par un déplacement de la coupe : L'on sort sans autre but / que de sortir ; // on suit Certains poèmes sont d'un seul tenant (I, IX. XIV, XVI) ou formés de groupes au nombre variable de vers (X) ; on trouve des strophes régulières dans le poème IV en quatrains, dans le poème VII où deux sizains encadrent un quatrain et dans le poème XVII qui use de la terza rima. Six poèmes sont écrits en octosyllabes, réunis en quatrains (II, VIII, XV), en sizains (XVIII), en distiques (XI) ou selon le schéma de la terza rima (XX). Quatre poèmes comportent des décasyllabes, réunis en quatrains (III, XIV, XXI) ou en distiques (XIII). Enfin, Verlaine a utilisé une fois l'heptasyl-labe (XII) et le vers de quatre syllabes (VI). Un seul poème se compose de vers variés : 7-7-3-7 (V). La fixité du mètre se trouve souvent atténuée par les nombreux enjambements, qui en brisent la régularité et enchaînent les vers pour donner une impression de continuité : Est longue juste assez pour qu'elle ne dérobe Qu'à moitié sous ses plis jaloux le bout charmant D'un pied malicieux imperceptiblement. (LX) Certains ont une allure presque acrobatique : L'air est vif. Par moments un oiseau vole avec Quelque fruit de la haie ou quelque paille au bec. (I) De fréquents rejets et contre-rejets accentuent l'irrégularité mais se justifient toujours par la suggestion qu'ils apportent pour renforcer le sens ; ainsi pour marquer l'écoulement du temps : Quinze longs jours encore et plus de six semaines Déjà ! [...] (X) ou pour mettre en valeur un mot capital : Sans nous préoccuper de ce que nous destine Le Sort. [...] (XVII) Verlaine, comme dans ses livres précédents, recherche la musicalité. Il use, dans l'alexandrin, d'harmonies consonantiques, comme dans cette alternance de /R/ et de /s/ : Dont la claire douceur a soudain caressé (I) ou dans cette fluidité qui naît de la reprise des liquides /l/ et /r/ : Cou/ent /es jours, ainsi qu'un fleuve au bord f/étri (X) Il pratique habilement la diérèse : su-avement (VII) ou lu-eur, nupti-ale. impati-ent, furi-eux (XIV). La critique n'apprécie guère La Bonne Chanson. Il est vrai que Verlaine ne suggère plus et ne donne plus guère matière à rêver. Il se contente de dire et parfois même explique ses réactions. Mais il tend à la sincérité et cherche à exprimer des sentiments simples et vrais. L'élégiaque et le lyrisme direct l'emportent. Toutefois, le rêve de bonheur laisse entendre le chant d'une âme qui aspire à changer sa vie. Et plusieurs poèmes attestent que Verlaine sait encore s'abandonner à la rêverie où la conscience se perd dans une extase qui l'unit à la nature. |
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Paul Verlaine (1844 - 1896) |
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Portrait de Paul Verlaine | |||||||||
OuvresAprès une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b ChronologieBiographie |
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