Paul Verlaine |
La petite marquise Osine est toute belle. Elle pourrait aller grossir la ribambelle Des folles de Watteau sous leur chapeau de fleurs Et de soleil, mais, comme on dit, elle aime ailleurs. Parisienne en tout, spirituelle et bonne Et mauvaise à ne rien redouter de personne, Avec cet air mi-faux qui fait que l'on vous croit, C'est un ange fait pour le monde qu'elle voit, Un ange blond, et même on dit qu'il a des ailes. Vingt soupirants, brûlés du feu des meilleurs zèles. Avaient en vain quêté leur main à ses seize ans. Quand le pauvre marquis, quittant ses paysans Comme il avait quitté son escadron, vint faire Escale au Jockey ' ; vous connaissez son affaire Avec la grosse Emma de qui - l'eussions-nous cru " ? - Le bon garçon étaitb absolument féru ; Son désespoir après le départ de la grue. Le duel avec Gontran, c'est vieux comme la rue ; Bref, il vit la petite un jour dans c un salon. S'en éprit tout d'un coup comme un fou ; même l'on Dit qu'il en oublia si bien son infidèle Qu'on le voyait le jour d'ensuite avec Adèle. Temps et mours ! La petite (on sait tout aux Oiseaux d) Connaissait le roman du cher, et jusques aux Moindres chapitres : elle en conçut de l'estime. Aussi quand le marquis offrit sa légitime Et sa main contre sa menotte, elle dit : oui, Avec un franc parler d'allégresse inouï. Les parents, voyant sans horreur ce mariage (Le marquis était riche et pouvait passer sage), Signèrent un contrat avec laisser-aller. Elle qui voyait là quelqu'un à consoler Ouït la messe dans une ferveur profonde. Elle le consola deux ans. Deux ans du monde ! Mais tout passe ! Si bien qu'un jour qu'elle attendait Un autre et que cet autre atrocement tardait, De dépit la voilà soudain qui s'agenouille Devant l'image d'une Vierge à la quenouille Qui se trouvait là, dans cette chambre en garni. Demandait à Marie, en un trouble infini. Pardon de son péché si grand, si cher encore, Bien qu'elle croie au fond du cour qu'elle l'abhorre. Comme elle relevait son front d'entre ses mains. Elle vit Jésus-Christ avec les traits humains Et les habits qu'il a dans les tableaux d'église. Sévère, il regardait tristement la marquise. La vision flottait blanche dans un jour bleu Dont les ondes, voilant l'apparence du lieu, Semblaient envelopper d'une atmosphère élue Osine qui tremblait d'extase irrésolue Et qui balbutiait des exclamations. Des accords assoupis de harpes de Sions Célestes descendaient et montaient par la chambre, Et des parfums d'encens, de cinnamome et d'ambre Fluaient, et le parquet retentissait des pas Mystérieux de pieds que l'on ne voyait pas. Tandis qu'autour c'était, en cadences soyeuses. Un grand frémissement d'ailes mystérieuses. La marquise restait à genoux, attendant. Toute admiration peureuse, cependant. Et le Sauveur parla : « Ma fille, le temps passe, Et ce n'est pas toujours le moment de la grâce : Profitez de cette heure, ou c'en est fait de vous. » La vision cessa. Oui certes, il est doux. Le roman d'un premier amant. L'âme s'essaie, C'est un jeune coureur à la première haie. C'est si mignard qu'on croit à peine que c'est mal. Quelque chose d'étonnamment matutinal. On sort du mariage habitueux. C'est commee Qui dirait la lueur aurorale de l'homme Et les baisers parmi cette fraîche clarté Sonnent comme des cris d'alouette en été. Ô le premier amant ! Souvenez-vous, mesdames ! Vagissant et timide élancement des âmes Vers le fruit défendu qu'un soupir révéla... Mais le second amant d'une femme, voilà ! On a tout su. La faute est bien délibérée Et c'est bien un nouvel état que l'on se crée, Un autre mariage à soi-même avoué. Plus de retour possible au foyer bafoué. Le mari, débonnaire ou non, fait bonne garde Et dissimule mal. Déjà rit et bavarde Le monde hostile et qui sévirait au besoin. Ah ! que l'aise de l'autre intrigue se fait loin ! Mais aussi, cette fois, comme on vit, comme on aime ! Tout le cour est éclos en une fleur suprême. Ah ! c'est bon ! Et l'on jette à ce feu tout remords. On ne vit que pour lui, tous autres soins sont morts. On est à lui, on n'est qu'à lui, c'est pour la vie, Ce sera pour après la vie, et l'on défie Les lois humaines et divines, car on est Folle de corps et d'âme, et l'on ne reconnaît Plus rien, et l'on ne sait plus rien, sinon qu'on l'aime ! Or, cet amant était justement le deuxième De la marquise, ce qui fait qu'un jour après - Ô sans malice et presque avec quelques regrets - Elle-' le revoyait pour le revoir encore. Quant au miracle, comme une odeur s'évapore. Elle n'y pensa plus bientôt que vaguement. Un matin, elle était dans son jardin charmant. Un matin de printemps, un jardin de plaisance. Les fleurs vraiment semblaient saluer sa présence Et frémissaient au vent léger, et s'inclinaient. Et les feuillages, verts tendrement, lui donnaient L'aubade d'un timide et délicat ramage, Et les petits oiseaux, volant à son passage. Pépiaient à plaisir dans l'air tout embaumé Des feuilles, des bourgeons et des gommes de mai. Elle pensait à lui, sa vue errait, distraite, A travers l'ombre jeune et la pompe discrète D'un grand rosier bercé d'un mouvement câlin, Quand elle vit Jésus en vêtement de lin* Qui marchait, écartant les branches de l'arbuste, Et la couvait d'un long regard triste. Et le Juste Pleurait. Et tout en un instant s'évanouit. Elle se recueillait... Soudain, un petit bruit Se fit. On lui portait en secret une lettre, Une lettre de lui, qui lui marquait peut-être Un rendez-vous. Elle ne put Ja déchirer. Marquis, pauvre marquis, qu'avez-vous à pleurer Au chevet de ce lit de blanche mousseline ? Elle est malade, bien malade. « Sour Aline, « A-t-elIe un peu dormi ? » - « Mal, monsieur le marquis. » Et le marquis pleurait. - « Elle est ainsi depuis « Deux heures, somnolente et calme. Mais que dire « De la nuit ? Ah ! Monsieur le marquis, quel délire ! « Elle vous appelait, vous demandait pardon « Sans cesse, encore, toujours, et tirait le cordon * « De sa sonnette. » Et le marquis frappait sa tête De ses deux poings et, fou de sa douleur muette, Marchait à grands pas sourds sur les tapis épais. (Dès qu'elle fut malade elle n'eut pas de pabc Qu'elle n'eût avoué ses fautes au pauvre homme Qui pardonna). La sour reprit, pâle : « Elle eut comme « Un rêve, un rêve affreux. Elle voyait Jésus, « Terrible sur la nue et qui marchait dessus, « Un glaive dans la main droite, et de la main gauche, « Qui ramait lentement, comme une faulx qui fauche, « Ecartant sa prière, et passait furieux. » Un prêtre, saluant les assistants des yeux, Entre. Elle dort. ses paupières violettes ' ! Ô ses petites mains qui tremblent, maigrelettes ! Ô tout son corps perdu dans les draps étouffants ! Regardez, elle meurt de la mort des enfants. Et le prêtre anxieux se penche à son oreille À Elle s'agite un peu, la voilà qui s'éveille. Elle voudrait parler, la voilà qui s'endort Plus pâle. Et le marquis : « Est-ce déjà la mort ? » Et le docteur lui prend les deux mains, et sort vite. On l'enterrait hier matin. Pauvre petite ! |
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Paul Verlaine (1844 - 1896) |
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Portrait de Paul Verlaine | |||||||||
OuvresAprès une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b ChronologieBiographie |
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