Paul Verlaine |
I Mon fils est mort. J'adore, ô mon Dieu, votre loi. Je vous offre les pleurs d'un cour presque parjure ; Vous châtiez bien fort et parferez la foi Qu'alanguissait l'amour pour une créature. Vous châtiez bien fort. Mon fils est mort, hélas ! Vous me l'aviez donné, voici que votre droite Me le reprend à l'heure où mes pauvres pieds las Réclamaient ce cher guide en cette route étroite. Vous me l'aviez donné, vous me le reprenez : Gloire à vous ! J'oubliais beaucoup trop votre gloire Dans la langueur d'aimer mieux les trésors donnés Que le Munificent de toute cette histoire. Vous me l'aviez donné ; je vous le rends très pur. Tout pétri de vertu, d'amour et de simplesse. C'est pourquoi, pardonnez. Terrible, à celui sur 'Le cour de qui. Dieu fort, sévit cette faiblesse. Et laissez-moi pleurer et faites-moi bénir L'élu dont vous voudrez certes que la prière Rapproche un peu l'instant si bon de revenir A lui dans Vous, Jésus, après ma mort dernière. Il Car vraiment j'ai souffert beaucoup ! Débusqué, traqué comme un loup Qui n'en peut plus d'errer en chasse Du bon repos, du sûr abri. Et qui fait des bonds de cabri Sous les coups de toute une race. La Haine et l'Envie et l'Argent, Bons limiers au flair diligent, M'entourent, me serrent. Ça dure Depuis des jours, depuis des mois, Depuis des ans ! Dîner d'émois, Souper d'effrois, pitance dure ! Mais, dans l'horreur du bois natal. Voici le Lévrier fatal, Ma Mort. - Ah ! la bête " et la brute ! - Plus qu'à moitié mort, moi, la Mort Pose sur moi sa patte et mord Ce cour, sans achever la lutte ! Et je reste sanglant, tirant Mes pas saignants vers le torrent Qui hurle à travers mon bois chaste - Laissez-moi mourir au moins, vous, Mes frères pour de bon, les Loups ! - Que ma sour, la Femme, dévaste. III Ô la Femme ! Prudent, sage, calme ennemi, N'exagérant jamais ta victoire à demi. Tuant tous les blessés, pillant tout le butin, Et répandant le fer et la flamme au lointain. Ou bon ami, peu sûr mais tout de même bon, Et doux, trop doux souvent, tel un feu de charbon Qui berce le loisir, vous l'amuse et l'endort. Et parfois induit le dormeur en telle mort Délicieuse par quoi l'âme meurt aussi ! Femme ' à jamais quittée, ô oui ! reçois ici. Non sans l'expression d'un injuste regret. L'insulte d'un qu'un seul remords ramènerait ". Mais comme tu n'as pas de remords plus qu'un if N'a d'ombre vive, c'est l'adieu définitif. Arbre fatal sous qui gît * mal l'Humanité, Depuis Éden jusques à Ce Jour Irrité '". IV Ma cousine Élisa, presque une sour aînée. Mieux qu'une sour, ô toi, voici donc ramenée La saison de malheur où tu me quittas pour Ce toujours, - ce jamais ! Le voici de retour Le jour affreux qui m'a sevré de l'aile douce Où m'abriter contre tel chagrin de Tom Pouce, Tel bobo. Certes oui, pauvre maman était Bien, trop ! bonne, et mon cour à la voir palpitait, Tressautait, et riait, et pleurait de l'entendre. Mais toi, je t'aimais autrement, non pas plus tendre, Plus familier, voilà. Car la Mère est toujours Au fond redoutée un petit et respectée Absolument, tandis qu'à jamais regrettée. Tu m'apparais, chère ombre, ainsi qu'en ton vivant. Blonde et rose au profil pourtant grave et rêvant. Avec de beaux yeux bleus où s'instruisait mon âme De tout petit garçon, et plus tard, où la flamme De ma forte amitié chaste d'adolescent. Puis d'homme, mettait un reflet incandescent. Et tu me fus d'abord guide, puis camarade, Puis ami, non amie (une nuance fade). Et tu dors maintenant après m'avoir béni. Mais je sens bien qu'en moi quelque chose est fini. V J'ai la fureur d'aimer. Mon cour si faible est fou '. N'importe quand, n'importe quel et" n'importe où. Qu'un éclair de beauté, de vertu, de vaillance Luise, il s'y précipite, il y vole, il s'y lance. Et, le temps d'une étreinte, il embrasse cent fois L'être ou l'objet qu'il a poursuivi de son choix ; Puis, quand l'illusion a replié son aile, Il revient triste et seul bien souvent, mais fidèle. Et laissant aux ingrats quelque chose de lui. Sang ou chair. Mais, sans plus mourir dans son ennui, Il embarque aussitôt pour l'île des Chimères Et n'en apporte rien que des larmes amères Qu'il savoure, et d'affreux désespoirs d'un instant, Puis rembarque. - II est brusque et volontaire tant Qu'en ses courses dans les infinis il arrive. Navigateur têtu, qu'il va droit à la rive. Sans plus s'inquiéter que s'il n'existait pas De l'écueil proche qui met son esquif à bas. Mais lui fait de l'écueil un tremplin et dirige Sa nage vers le bord. L'y voilà. Le prodige Serait qu'il n'eût pas fait avidement le tour Du matin jusqu'au soir et du soir jusqu'au jour, Et le tour et le tour encor du promontoire. Et rien ! Pas d'arbres ni d'herbes, pas d'eau pour boire. La faim, la soif, et les yeux brûlés de soleil *, Et nul vestige humain, et pas un cour pareil ! Non pas à lui, - jamais il n'aura son semblable, - Mais un cour d'homme, un cour vivant, un cour palpable, Fût-il faux, fût-il lâche, un cour ! quoi, pas un cour ! Il attendra, sans rien perdre de sa vigueur Que la fièvre soutient et l'amour encourage. Qu'un bateau montre un bout de mât dans ce parage. Et fera des signaux qui seront aperçus : Tel il raisonne. Et puis fiez-vous là-dessus ! - Un jour, il restera non vu, l'étrange apôtre. Mais que lui fait la mort, sinon celle d'un autre ? Ah, ses morts ! Ah, ses morts, mais il est plus mort qu'eux ! Quelque fibre toujours de son esprit fougueux Vit dans leur fosse, y puise une tristesse douce ; Il les aime comme un oiseau son nid de mousse ; Leur mémoire est son cher oreiller, il y dort. Il rêve d'eux, les voit, cause avec et n'en sort, Plein d'eux, que pour encor quelque effrayante affaire. J'ai la fureur d'aimer. Qu'y faire ? Ah, laisser faire ! VI Ô ses lettres d'alors ' ! les miennes elles-mêmes ! Je ne crois pas qu'il soit des choses plus suprêmes. J'étais, je ne puis dire mieux, vraiment très bien. Ou plutôt, je puis dire tout, vraiment chrétien. J'éclatais de sagesse et de sollicitude, Je mettais tout mon soin pieux, toute" l'étude Dont tout mon être était capable, à confirmer Cette âme dans l'effort de prier et d'aimer. Oui, j'étais devant Dieu qui m'écoute, si j'ose Le dire, quel que soit l'orgueil fou que suppose Un tel serment juré sur sa tête qui dort. Pur comme un saint et mûr pour cette bonne mort Qu'aujourd'hui j'entrevois à travers bien des doutes. Mais lui ! ses lettres ! l'ange ignorant de nos routes, Le pur esprit vêtu d'une innocente chair ! Ô souvenir, de tous peut-être mon plus cher ! Mots frais, la phrase enfant, style naïf et chaste Où marche la vertu dans la sorte de faste. Déroulement d*encens, cymbales de cristal. Qui sied à la candeur de cet âge natal. Vingt ans ! Trois ans après il naissait dans la gloire Éternelle, emplissant à jamais ma mémoire. VII Mon fils est brave : il va sur son cheval de guerre ', Sans reproche et sans peur par la route du bien, Un dur chemin d'embûche et de piège où naguère Encore il fut blessé, mais vainquit en chrétien. Mon fils est fier : en vain sa jeunesse et sa force L'invitent au plaisir par les langueurs du soir, Mon enfant se remet, rit de la vile amorce, Et, les yeux en avant, aspire au seul devoir. Mon fils est bon : un jour que du bout de son aile Le soupçon d'une faute effleurait mes cheveux, Mon enfant, pressentant l'angoisse paternelle, S'en vint me consoler en de nobles aveux. Mon fils est fort : son cour était méchant, maussade, Irrité, dépité " mon enfant dit : « Tout beau, Ceci ne sera pas. Au médecin, malade ! » Vint au prêtre, et partit avec un cour nouveau *. Mais surtout que mon fils est beau ! Dieu l'environne De lumière et d'amour, parce qu'il fut pieux Et doux et digne encor de la Sainte Couronne Réservée aux soldats du combat pour les deux. Chère tête un instant courbée, humiliée Sous le Verbe éternel du Règne triomphant, Sois bénie à présent que réconciliée. - Et je baise le front royal de mon enfant ! VIII O l'odieuse obscurité ' Du jour le plus gai de l'année Dans la monstrueuse cité Où se fit notre destinée ! Au lieu du bonheur attendu, Quel deuil profond, quelles ténèbres ! J'en étais comme un mort, et tu Flottais en des pensers funèbres. La nuit croissait avec le jour Sur notre vitre et sur notre âme. Tel un pur, un sublime amour Qu'eût étreint la luxure infâme ; Et l'affreux brouillard refluait Jusqu'en la chambre où la bougie Semblait un reproche muet Pour quelque lendemain d'orgie. Un remords de péché mortel Serrait notre cour solitaire... Puis notre désespoir fut tel Que nous oubliâmes la terre, Et que, pensant au seul Jésus Né rien que pour nous ce jour même Notre foi prenant le dessus Nous éclaira du jour suprême. - Bonne tristesse qu'aima Dieu ! Brume dont se voilait la Grâce, Crainte que l'éclat de son feu Ne fatiguât notre âme lasse. Délicates attentions D'une Providence attendrie !... O parfois encore soyons Ainsi tristes, âme chérie ! IX Tout en suivant ton blanc convoi, je me disais Pourtant : C'est vrai. Dieu t'a repris quand" tu faisais Sa joie et dans l'éclair de ta blanche innocence *, Plus tard la Femme eût mis sans doute en sa puissance Ton cour ardent vers elle affrontée un moment Seulement et t'ayant laissé le tremblement D'elle, et du trouble en l'âme à cause d'une étreinte ; Mais tu t'en détournas bientôt par noble crainte Et revins à la simple, à la noble Vertuc. Tout entier à fleurir, lys un instant battu d Des passions, et plus viril après l'orage, Plus magnifique pour le céleste suffrage Et la gloire éternelle... Ainsi parlait ma foi. Mais quelle horreur de suivre, ô toi ! ton blanc convoi ! Il patinait merveilleusement, S'élançant, qu'impétueusement ! R'arrivant si joliment vraiment ! X Fin comme une grande jeune fille, Brillant, vif et fort, telle une aiguille, La souplesse, l'élan d'une anguille. Des jeux d'optique prestigieux °, Un tourment délicieux des yeux, Un éclair qui serait gracieux. Parfois il restait comme invisible, Vitesse en route vers une cible Si lointaine, elle-même invisible-Invisible de même aujourd'hui. Que sera-t-il advenu de lui ? Que sera-t-il advenu de lui ? XI La Belle au Bois dormait. Cendrillon sommeillait. Madame Barbe-bleue ? elle attendait ses frères ; Et le petit Poucet, loin de l'ogre si laid. Se reposait sur l'herbe" en chantant des prières. L'Oiseau couleur-de-temps planait dans l'air léger Qui caresse la feuille au sommet des bocages Très nombreux, tout petits, et rêvant d'ombrager Semaille, fenaison, et les '' autres ouvrages. Les fleurs des champs, les fleurs innombrables des champs. Plus belles qu'un jardin où l'Homme a mis ses tailles. Ses coupes et son goût à lui, - les fleurs des gens ! - Flottaient comme un tissu très fin dans l'or des pailles. Et. fleurant simple, étaient au vent sa crudité. Au vent fort, mais alors atténué, de l'heure Où l'après-midi va mourir. Et la bonté Du paysage au cour disait : Meurs ou demeure ! Les blés encore verts, les seigles déjà blonds Accueillaient l'hirondelle en leur flot pacifique. Un tas de voix d'oiseaux criait vers les sillons Si doucement qu'il ne faut pas d'autre musique... Peau- Dans les États voisins de Riquet-à-la-Houppe, Et nous joignons l'auberge, enchantés, esquintés, Le bon coin où se coupe et se trempe la soupe ! XII Je te vois encore à cheval Tandis que chantaient les trompettes. Et ton petit air martial Chantait aussi quand les trompettes ; Je te vois toujours en treillis Comme un long Pierrot de corvée Très élégant sous le treillis, D'une allure toute trouvée ; Je te vois autour des canons. Frêles doigts dompteurs de colosses, Grêle voix pleine de crés noms. Bras chétifs vainqueurs de colosses ; Et je te rêvais une mort Militaire, sûre et " splendide, Mais Dieu vint qui te fit la mort Confuse de la typhoïde-Seigneur, j'adore vos desseins. Mais comme ils sont impénétrables ! Je les adore, vos desseins. Mais comme ils sont impénétrables * ! XIII Le petit coin, le petit nid Que j'ai trouvés ', Les grands espoirs que j'ai couvés, Dieu les bénit. Les heures des fautes passées Sont effacées Au pur cadran de mes pensées. L'innocence m'entoure et toi. Simplicité, Mon cour par * Jésus visité Manque de quoi? Ma pauvreté, ma solitude, Pain dur, litc rude ! Quel soin jaloux ! l'exquise étude ! L'âme aimante au cour fait exprès d. Ce dévouement. Viennent donner un dénouement Calme et si frais A la détresse de ma vie Inassouvie D'avoir satisfait toute envie ' ! Seigneur, ô merci. N'est-ce pas La bonne mort? Aimez mon patient effort Et nos combats. Les miens et moi, le ciel nous voie Par l'humble voie Entrer, Seigneur, dans Votre joie. XIV Notre essai de culture eut une triste fin, Mais il fit mon délice un long temps et ma joie : J'y voyais se développer ton être fin Dans ce bon travail qui bénit ceux qu'il emploie : J'y voyais ton profil fluet sur l'horizon Marcher comme à pas vifs derrière la charrue, Gourmandant les chevaux ainsi que de raison. Sans colère, et criant diah et criant hue ; Je te voyais herser, rouler, faucher parfois. Consultant les anciens, inquiet d'un nuage. L'hiver à la batteuse ou liant dans nos bois ; Je t'aidais, vite hors d'haleine et tout en nage. Le dimanche, en l'éveil des cloches, tu suivais Le chemin des jardins pour aller à la Messe ; Après midi, l'auberge une heure où tu buvais Pour dire, et puis la danse aux soirs de grand'liesse... Hélas ! tout ce bonheur que je croyais permis. Vertu, courage à deux, non mépris de la foule. Mais pitié d'elle avec très peu de bons amis. Croula dans des choses d'argent comme un mur croule Après, tu meurs ! - Un dol sans pair livre à la Faim Ma fierté, ma vigueur, et la gloire apparue... Ah ! frérot ! est-ce enfin là-haut ton spectre fin Qui m'appelle à grands bras derrière la charrue ? XV Puisque encore déjà la sottise tempête, Explique alors la chose, ô malheureux poète. Je connus cet enfant, mon arrière douceur. Dans un pieux collège où j'étais professeur '. Ses dix-sept ans mutins et maigres, sa réelle Intelligence, et la pureté vraiment belle Que disaient et ses yeux et son geste et sa voix. Captivèrent mon cour et dictèrent mon choix De lui pour fils, puisque, mon vrai fils, mes entrailles. On me le cache en manière de représailles Pour je ne sais quels torts charnels et surtout pour Un fier départ à la recherche de l'amour Loin d'une vie aux platitudes résignée ! Oui, surtout et plutôt pour ma fuite indignée En compagnie illustre et fraternelle vers Tous les points du physique et moral univers. Il paraît que des gens dirent jusqu'à Sodome, - Où mourussent les cris de Madame Prudhomme ! Je lui fis part de mon dessein. Il accepta. Il avait des parents qu'il aimait, qu'il" quitta D'esprit pour être mien, tout en restant son maître Et maître de son cour, de son âme peut-être. Mais de son esprit, plus. Ce fut bien, ce fut beau. Et c'eût été trop bon, n'eût été le tombeau. Jugez. En même temps que toutes mes idées (Les bonnes !) entraient dans son esprit, précédées De l'Amitié jonchant leur passage de fleurs, De lui, simple et blanc comme un lys calme aux couleurs D'innocence candide et d'espérance verte, L'Exemple descendait sur mon âme entr'ouverte Et sur mon cour qu'il pénétrait, plein de pitié. Par un chemin semé des fleurs de l'Amitié ; Exemple des vertus joyeuses, la franchise, La chasteté, la foi naïve dans l'Église, Exemple des vertus austères, vivre en Dieu, Le chérir en tout temps et le craindre en tout lieu, Sourire, que l'instant soit léger ou sévère, Pardonner, qui n'est pas une petite affaire ! Cela dura six ans, puis l'ange s'envola. Dès lors je vais hagard et comme ivre. Voilà. XVI Cette adoption de toi pour mon enfant Puisque l'on m'avait volé mon fils réel ', Elle n'était pas dans les conseils du ciel, Je me le suis dit, en pleurant, bien souvent ; Je me le suis dit toujours devant ta tombe Noire de fusains, blanche de marguerites ; Elle fut sans doute un de ces démérites Cause de ces maux où voici que je tombe. Ce fut, je le crains, un faux raisonnement. A bien réfléchir, je n'avais pas le droit. Pour me consoler dans mon chemin étroit. De te choisir, même ô si naïvement. Même ô pour ce plan d'humble vertu cachée : Quelques champs autour d'une maison sans faste Que connaît le pauvre, et sur un bonheur chaste La grâce de Dieu complaisamment penchée ! Fallait te laisser, pauvre et gai, dans ton nid, Ne pas te mêler à mes jeux orageux. Et souffrir l'exil en proscrit courageux, L'exil loin du fils né d'un amour bénit. Il me reviendrait, le fils des justes noces, A l'époque d'être au moment d'être un homme Quand il comprendrait, quand il sentirait comme Son père endura de sottises féroces ! Cette adoption fut le fruit défendu ; J'aurais dû passer dans l'odeur et le frais De l'arbre et du fruit sans m'arrêter auprès. Le ciel m'a puni... J'aurais dû, j'aurais dû ! XVII Ce portrait qui n'est pas ressemblant ', Qui fait roux tes cheveux noirs plutôt. Qui fait rose ton teint brun plutôt. Ce pastel, comme il est ressemblant ! Car il peint la beauté de ton âme, La beauté de ton âme un peu sombre, Mais si claire au fond que, sur mon âme, Il a raison de n'avoir pas d'ombre. Tu n'étais pas beau dans le sens vil Qu'il paraît qu'il faut pour plaire aux dames, Et, pourtant, de face et de profil. Tu plaisais aux hommes comme aux femmes. Ton nez certes n'était pas si droit, Mais plus court qu'il n'est dans le pastel. Mais plus vivant que dans le pastel, Mais aussi long et droit que de droit. Ta lèvre et son ombre de moustache Fut rouge moins qu'en cette peinture Où tu n'as pas du tout de moustache. Mais c'est ta souriance si pure. Ton port de cou n'était pas si dur, Mais flexible, et d'un aigle et d'un cygne ; Car ta fierté parfois primait sur Ta douceur dive et ta grâce insigne. Mais tes yeux, ah ! tes yeux, c'est bien eux, Leur regard triste et gai, c'est bien lui, Leur éclat apaisé, c'est bien lui. Ces sourcils orageux, que c'est eux ! Ah ! portrait qu'en tous les lieux j'emporte Où m'emporte une fausse espérance, Ah ! pastel spectre, te voir m'emporte Où ? parmi tout, jouissance et transe " ! Ô l'élu de Dieu, priez pour moi, Toi qui sur terre étais mon bon ange ; Car votre image, plein d'alme émoi, Je la vénère d'un culte étrange. XVIII Ame, te souvient-il, au fond du paradis. De la gare d'Auteuil et des trains de jadis T'amenant chaque jour, venus de La Chapelle ' ? Jadis déjà ! Combien pourtant je me rappelle Mes stations au bas du rapide escalier Dans l'attente de toi, sans pouvoir oublier Ta grâce en descendant les marches, mince et leste Comme un ange le long de l'échelle céleste. Ton sourire amical ensemble et filial, Ton serrement de main cordial et loyal, Ni tes yeux d'innocent, doux mais vifs, clairs et sombres. Qui m'allaient droit au cour et pénétraient mes ombres. Après les premiers mots de bonjour et d'accueil. Mon vieux bras dans le tien, nous quittions cet Auteuil Et, sous les arbres pleins d'une gente musique. Notre entretien était souvent métaphysique. Ô tes forts arguments, ta foi du charbonnier ! Non sans quelque tendance, ô si franche ! à nier. Mais si vite quittée au premier pas du doute ! Et puis nous rentrions, plus que lents, par la route Un peu des écoliers, chez moi, chez nous plutôt, Y déjeuner de rien, fumailler vite et tôt, Et dépêcher longtemps une vague besogne. Mon pauvre enfant, ta voix dans le Bois de Boulogne ! XIX Il m'arrivait souvent, seul avec ma pensée, - Pour le fils de son nom tel un père de chair, - D'aimer à te rêver dans un avenir cher La parfaite, la belle et sage fiancée. Je cherchais, je trouvais, jamais content assez. Amoureux tout d'un coup et prompt à me reprendre. Tour à tour confiant et jaloux, froid et tendre. Me crispant en soupçons, plein de soins empressés, Prenant ta cause enfin jusqu'à tenir ta place. Tant j'étais tien, que dis-je là ? tant j'étais toi, Un toi qui t'aimait mieux, savait mieux qui et quoi. Discernait ton bonheur de quel cour perspicace ! Puis, comme ta petite femme s'incarnait. Toute prête, vertu, bon nom, grâce et le reste, Ô nos projets ! voici que le Père céleste, Mieux informé, rompit le mariage net. Et ravit, pour la Seule épouse, pour la Gloire" Eternelle, ton âme aux plus ultimes deux, En attendant que ressuscite glorieux Ton corps, aimable et fin compagnon de victoire. XX A l'hospice de la Pitié : On avait jugé nécessaire De t'y mener mort à moitié. J'ignorais cet acte funeste. Quand j'y courus et que j'y fus. Ce fut pour recueillir le reste De ta vie en propos confus ". Et puis, et puis, je me rappelle Comme d'hier, en vérité : Nous obtenons qu'à la chapelle Un service en noir soit chanté : Les cierges autour de la bière Flambent comme des yeux levés Dans l'extase d'une prière Vers des paradis retrouvés ; La croix du tabernacle et celle De l'absoute luisent ainsi Qu'un espoir infini que scelle La Parole et le Sang aussi ; La bière est blanche qu'illumine La cire et berce le plain-chant De promesse et de paix divine. Berceau plus frêle et plus touchant. XXI Si tu ne mourus pas entre mes bras, Ce fut tout comme, et de ton agonie, J'en vis assez, ô détresse infinie ! Tu délirais, plus pâle que tes draps ; Tu me tenais, d'une voix trop lucide, Des propos doux et fous, « que j'étais mort. Que c'était triste », et tu serrais très fort Ma main tremblante, et regardais à vide ; Je me tournais, n'en pouvant plus de pleurs, Mais ta fièvre voulait suivre son thème. Tu m'appelais par mon nom de baptême. Puis ce fut tout, ô douleur des douleurs ! J'eusse en effet dû mourir à ta place, Toi debout, là, présidant nos adieux !... Je dis cela faute de dire mieux. Et pardonnez. Dieu juste, à mon audace. XXII L'affreux Ivry dévorateur A tes reliques dans sa terre Sous de pâles fleurs sans odeur Et des arbres nains sans mystère. Je laisse les charniers flétris Où gît la moitié de Paris. Car, mon fils béni, tu reposes Sur le territoire d'Ivry- Commune ", où, du moins, mieux encloses. Les tombes dorment à l'abri Du flot des multitudes bêtes. Les dimanches, jeudis et fêtes. Le cimetière est trivial Dans la campagne révoltante, Mais je sais le coin filial Où ton corps a planté sa tente. - Ami, je viens parler à toi. - Commence par prier pour moi. Bien pieusement je me signe Devant la croix de pierre et dis En sanglotant à chaque ligne Un très humble De profundis. - Alors ta belle âme est sauvée ? - Mais par quel désir éprouvée ! Les fleurettes du jardinet Sont bleuâtres et rose tendre Et blanches, et l'on reconnaît Des soins qu'il est juste d'attendre. - Le désir, sans doute, de Dieu ? - Oui, rien n'est plus dur que ce feu. Les couronnes renouvelées Semblent d'agate et de cristal ; Des feuilles d'arbres des allées Tournent dans un grand vent brutal. - Comme tu dois souffrir, pauvre âme ! - Rien n'est plus doux que cette flamme. Voici le soir gris qui descend ; Il faut quitter le cimetière. Et je m'éloigne en t'adressant Une invocation dernière : - Ame vers Dieu, pensez à moi. - Commence par prier pour toi. XXIII Ô Nouvelle-Forêt ' ! nom de féerie et d'armes ! Le mousquet a souvent rompu philtres et charmes Sous tes rameaux où le rossignol s'effarait. Ô Shakspeare ! ô Cromwell ! ô Nouvelle-Forêt ! Nom désormais joli seulement, plus tragique Ni magique, mais, par une aimable logique, Encadrant Lymington, vieux bourg, le plus joli Et le plus vieux des bourgs jadis guerriers, d'un pli D'arbres sans nombre vains de leur grâce hautaine. Avec la mer qui rêve haut, pas très lointaine. Comme un puissant écho des choses d'autrefois. J'y vécus solitaire, ou presque, quelques mois, Solitaire et caché, - comme, tapi sous l'herbe , Tout ce passé dormant aux pieds du bois superbe, Non sans, non plus, dans l'ombre et le silence fiers, Moi, le cri sourd de mes avant-derniers hiers. Passion, ironie, atroce grosse joie ! Non sans, non plus, sur" la dive corde de soie Et d'or du cour désormais pur, cette chanson, La meilleure ! d'amour filial au frisson Béni certes. - ô ses lettres dans la semaine Par la boîte vitrée, et que fou je promène. Fou de plaisir, à travers bois, les relisant Cent fois. - Et cet Ivry-commune d'à-présent ! XXIV Ta voix grave et basse Pourtant était douce Comme du velours. Telle, en ton discours, Sur de sombre mousse De belle eau qui passe. Ton rire éclatait Sans gêne et sans art. Franc, sonore et libre. Tel, au bois qui vibre. Un oiseau qui part Trillant son motet. Cette voix, ce rire Font dans ma mémoire Qui te voit souvent Et mort et vivant. Comme un bruit de gloire Dans quelque martyre. Ma tristesse en toi S'égaie à ces sons Qui disent : « Courage ! » Au cour que l'orage Emplit des frissons De quel triste émoi ! Orage, ta rage. Tais-la, que je cause Avec mon ami Qui semble endormi. Mais qui se repose En un conseil sage... XXV ô mes morts tristement nombreux Qui me faites un dôme ombreux De paix, de prière et d'exemple, Comme autrefois le Dieu vivant Daigna vouloir qu'un humble enfant Se sanctifiât dans le temple. Ô mes morts penchés sur mon cour, Pitoyables à sa langueur. Père, mère, âmes angéliques. Et toi qui fus mieux qu'une sour. Et toi, jeune homme de douceur Pour qui ces vers mélancoliques. Et vous tous, la meilleure part De mon âme, dont le départ Flétrit mon heure la meilleure, Amis que votre heure faucha Ô mes morts, voyez que déjà D se fait temps qu'aussi je meure. Car plus rien sur terre qu'exil ! Et pourquoi Dieu retire-t-il Le pain lui-même de ma bouche. Sinon pour me rejoindre à vous Dans son sein redoutable et doux. Loin de ce monde âpre et farouche. Aplanissez-moi le chemin. Venez me prendre par la main, Soyez mes guides dans la gloire, Ou bien plutôt, - Seigneur vengeur ! Priez pour un pauvre pécheur Indigne encor du Purgatoire. |
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Paul Verlaine (1844 - 1896) |
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Portrait de Paul Verlaine | |||||||||
OuvresAprès une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b ChronologieBiographie |
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