Paul Verlaine |
I Tu fus une grande amoureuse A ta façon, la seule bonne Puisqu'elle est tienne et que personne Plus que toi ne fut malheureuse. Après la crise de bonheur Que tu portas avec honneur. Oui, tu fus comme une héroïne, Et maintenant tu vis, statue Toujours belle sur la ruine D'un espoir qui se perpétue En dépit du Sort évident. Mais tu persistes cependant ! Pour cela, je t'aime et t'admire Encore mieux que je ne t'aime * Peut-être, et ce m'est un suprême Orgueil d'être meilleur ou pire Que celui qui fit tout le raalc. D'être à tes pieds tremblant, féal ! Use de moi, je suis ta chose ; Mon amour va, ton humble esclave. Prêt à tout ce que lui propose Ta volonté dure et suave, Prompt à jouir, prompt à souffrir. Prompt vers tout, hormis pour mourir d ! Mourir dans mon corps et mon âme. Je le veux si c'est ton caprice. Quand il faudra que je périsse Tout entier, fais un signe, femme. Mais que mon amour dût cesser ? Il ne peut que s'éterniser. Jette un regard de complaisance, Ô femme forte, ô sainte, ô reine. Sur ma fatale insuffisance Sans doute à te faire sereine : Toujours triste du temps fané. Du moins, souris au vieux damné. II Laisse dire la calomnie Qui ment, dément, nie et renie Et la médisance bien pire Qui ne donne que pour reprendre Et n'emprunte que pour revendre... Ah ! laisse faire, laisse dire ! Faire et dire lâches et sottes, Faux gens de bien, feintes mascottes". Langues d'aspic et de vipère ; Ils font des gestes hypocrites, Ils clament, forts de leurs mérites. Un mal de toi qui m'exaspère. Moi qui t'estime et te vénère Au-degSus de tout sur la terre, T'estime et vénère, ma belle, De l'amour fou que je te voue. Toi, bonne et sans par trop de moue, M'admettant au lit, ma fidèle * ! Mais toi, méprise ces menées. Plus haute que tes destinées, Grand cour, glorieuse martyre, Plane au-dessus de tes rancunes Contre ces d'aucuns et d'aucunes ; Bah ! laisse faire et laisse dire ! Bah ! fais ce que tu veux, ma belle Et bonne. - fidèle, infidèle, - Comme tu fis toute ta vie. Mais toujours, partout, belle et bonne, Et ne craignant rien de personne. Quoi qu'en aient la haine et l'envie. Et puis tu m'as, si tu m'accordes Un peu de ces miséricordes Qui siéent envers un birbe honnête. Tu m'as, chère, pour te défendre. Te plaire, si tu veux m'entendre Et voir, encor que laid et bête. III L'écartement des bras m'est cher, presque plus cher Que l'écartement autre : Mer puissante et que belle et que bonne de chair, Quel appât est le vôtre ! Ô seins, mon grand orgueil, mon immense bonheur. Purs, blancs, joie et caresse, Volupté pour mes yeux et mes mains et mon cour Qui bat de votre ivresse, Aisselles, fins cheveux courts qu'ondoie un parfum Capiteux où je plonge. Cou gras comme le miel, ambré comme lui, qu'un Dieu fit bien mieux qu'en songe. Fraîcheur enfin des bras endormis et rêveurs Autour de mes épaules. Palpitants et si doux d'étreinte à mes ferveurs Toutes à leurs grands rôles, Que je ne sais quoi pleure en moi, pleine et plaisir. Plaisir fou, chaste peine, Et que je ne puis mieux assouvir le désir De quoi mon âme est pleine. Qu'en des baisers plus langoureux et plus ardents Sur le glorieux buste, Non sans un sentiment comme un peu triste dans L'extase comme auguste ! Et maintenant vers l'ombre blanche - et noire " un peu. L'amour, il peut détendre Plus par en bas et plus intime son fier jeu Dès lors naïf et tendre ! IV La sainte, ta patronne ', est surtout vénérée Dans nos pays du Nord et toute la contrée Dont je suis à demi, la Lorraine et l'Ardenne. Elle fut courageuse et douce et mourut vierge Et martyre. Or il faut lui brûler un beau cierge En ce jour de ta fête et de quelque fredaine De plus, peut-être, en son honneur, ô ma païenne ! Tu n'es pas vierge, hélas ! mais encore martyre " Non pour Dieu, mais pour qui te plut (qu'ont-ils à rire ?) A cause de ton cour saignant resté sublime. Courageuse, tu l'es, pauvre chère adorée. Pour supporter tant de douleur démesurée Avec cette fierté qui pare une victime. Avec tout ce pardon joyeux et longanime. Et douce ? Ah oui ! malgré ton allure si vive Et si forte et rude parfois. Douce et naïve Comme la voix d'enfant aux notes paysannes. Douce au pauvre et naïve envers tous et que bonne Sous un dehors souvent brutal qui vous étonne. Vous, les gens, mais dont j'ai vite su les arcanes ! Douce et bonne et naïve, âme exquise qui planes Au-dessus de tout préjugé bête ou féroce. Au-dessus de l'hypocrisie et du cant rosse Et du jargon menteur et de l'argot fétide Dans la région pure c où la haine s'ignore, Où la rancune expire, où l'amour pur arbore Sur la blancheur des cieux sa bannière candide. Ô résignation infiniment splendide ! En ce jour de ta fête et malgré nos frivoles Préoccupations moins coupables que folles De baisers redoublés pour le cas, et l'antienne d Plus gentille encor qu'excessive des mots lestes, Recueillons-nous pourtant, pensons aux fins célestes Afin qu'après la mort ou, las ! après la tienne, Le survivant pour l'absent prie, ô ma chrétienne ! V « Quand je cause avec toi paisiblement. Ce m'est vraiment charmant, tu causes si paisiblement ! Quand je dispute et te fais des reproches, Tu disputes, c'est drôle, et me fais aussi des reproches. S'il m'arrive, hélas ! d'un peu te tromper, Ô misère ! tu cours la ville afin de me tromper ". Et si je suis depuis des temps fidèle, Tu me restes, durant juste tous ces temps-là, fidèle Suis-je heureux, tu te montres plus heureuse Encore, et je suis plus heureux, d'enfin ! te voir heureuse *. Pleuré-je, tu pleures à mon côté. Suis-je pressant, tu viens bien gentiment de mon côté. Quand je me pâme, lors tu te pâmes Et je me pâme plus de sentir qu'aussi tu te pâmes. Ah ! dis, quand je mourrai, mourras-tu, toi ? » Comme je t'aimais mieux, je mourrai plus que toi. » ... Et je me réveillai de ce colloque. C'était un rêve (un rêve ou bien quoi ?) ce colloque. VI Mais après les merveilles Qui n'ont pas de pareilles De l'épaule et du sein. Faut sur un autre mode Dresser une belle ode Au glorieux bassin. Faut célébrer la blanche Souplesse de la hanche Et sa mate largeur. Dire le ventre opime Et sa courbe sublime Vers le sexe mangeur. Que chastement, encore Que joliment, décore Et défend juste assez L'ombre qui sied aux choses Divines, peu moroses" Rideaux drûment tressés, Teutatès adorable, Saturne plus aimable, Anthropophage cher * Qui veut aux sacrifices Non le sang des génisses Mais le lait de ma chair. Nous chanterons ensuite L'aine blonde et sa fuitec Ambrée au sein du Saint... Mais déposons la lyre. Livrons-nous au délire Raisonnable et succinct ! Non ! fou, braque, orgiaque. En apache, en canaque Ivre de tafia : Nous ne sommes pas l'homme Pour la docte Sodome Quand la Femme il y a. VII Fin s'est réveillé. Dès l'aube tu m'as dit " Bonjour en deux baisers et le pauvre petit Pépia, puis remit sa tête sous son aile Et tut pour le moment sa gente ritournelle. Ici je te rendis, pour les tiens, un baiser Multiforme, ubiquiste et qui fut se poser De la plante des pieds au bout des cheveux sombres Avec des stations aux lieux d'éclairs et d'ombres, Un jeu (car tu riais) ridiculement doux, Et, brusque, entre les tiens je poussai mes genoux, Tôt redressé sur eux et, penché vers ta bouche, Fus brutal sans que tu te montrasses farouche, Car tu remerciais dans un regard mouillé. C'est alors que Fin, tout à fait réveillé, Le mignon compagnon ! comparable aux bons drilles Que le bonheur d'autrui ne fait pas * envieux, Salua mon triomphe en des salves de trilles Que tout son petit cour semblait lancer aux cieux. Il sautillait, fiérot, comme un gars qui se cambre, Acclamant un vainqueur justement renommé, Et l'aurore éclatant aux carreaux de la chambre Attestait sans mentir que '' nous avions aimé. VIII Cuisses grosses mais fuselées. Tendres et fermes par dessous. Dessus, d'un dur qui serait doux, Musculeuses et potelées, Cuisses si bonnes, tant baisées Devers leur naissance et par là. Blanches plus que rose-thé, la Meilleure part de mes pensées. Genoux, petites têtes d'anges Bouffis dans leur juste maigreur, Mollets bondis qui font fureur En des bas clairs craignant les fanges. Pieds dressés pour te hausser jusque A ma taille pour t'embrasser. Moi, t'enlever et te placer Sur le lit. pieds très beaux que busqué La cheville de mol ivoire Et que parfume leur fraîcheur ; Doigts délicats, frêle rougeur Doucement fauve " au talon, voire Assez forte peau pour la marche, Mais quoi ! faut-il pas au cher corps Base solide et soutiens forts, Au cher corps qui garde mon * Arche ? L'arche de crainte et de blandices Où j'entre, tous torts expiés, Comme on monterait au ciel. Pieds Divins, genoux fins, bonnes cuisses ! IX Tu fus souvent cruelle. Même injuste parfois, Mais que fait, ô ma belle, Puisqu'en toi seule crois Et puisque suis ta chose. Que tu me trompes avec Pierre, Louis, et colera punclum. Le sais, mais, là ! n'en ai que faire ° Ne suis que l'humble factotum. De ton humeur gaie ou morose. S'il arrive que tu me battes. Soufflettes, égratignes, tu Es le maître dans nos pénates, Et moi le cocu, le battu. Suis content et vois tout en rose. Et puis dame ! j'opine Qu'à me voir ainsi si Tien, finiras, divine, Par m'aimoter ainsi * Qu'on s'attache à sa chose. X Et maintenant, aux Fesses ! Je veux que tu confesses. Muse, ces miens trésors Pour quels - et tu t'y fies - Je donnerais cent vies Et, riche, tous mes ors Avec un tas d'encors. Mais avant la cantate Que mes âme et prostate Et mon sang en arrêt Vont dire à la louange De son cher Cul que l'ange... Ô déchu ! saluerait. Puis il l'adorerait", Posons de lentes lèvres Sur les délices mièvres Du dessous des genoux, Souple papier de Chine, Fins tendons, ligne fine Des veines sans nul pouls * Sensible, il est si doux ! Et maintenant, aux Fesses ! Déesses de déesses, Chair de chair, beau de beau. Seul beau qui nous pénètre Avec les seins, peut-être, D'émoi toujours nouveau Pulpe dive, aime peau ! Elles sont presque ovales. Presque rondes. Opales, Ambres, roses (très peu) S'y fondent, s'y confondent En blanc mat que répondent Les noirs, roses par jeu. De la raie au milieu. Déesses de déesses ! Du repos en liesses, De la calme gaîté. De malines fossettes Ainsi que des risettes c. Quelque perversité Dans que de majesté !... Et quand l'heure est sonnée D'unir ma destinée A son destin fêté, Je puis aller sans crainte Et bien tenter l'étreinte Devers l'autre côté : Leur concours m'est prêté. Je me dresse, et je presse, Et l'une el l'autre fesse Dans mes heureuses mains. Toute leur ardeur donne. Leur vigueur est la bonne Pour aider aux hymens Des soirs aux lendemains... Ce sont les reins ensuite. Amples, nerveux, qu'invite L'amour aux seuls élans Qu'il faille dans ce monde. C'est le dos gras et monde. Satin tiède, éclairs blancs, Ondulements troublants. Et c'est enfin la nuque Qu'il faudrait être eunuque Pour n'avoir de frissons, La nuque damnatrice, Folle dominatrice Aux frissons polissons Que nous reconnaissons. Ô nuque proxénète. Vaguement déshonnête Et chaste vaguement. Frisons, joli symbole Des voiles de l'Idoled De ce temple charmant. Frisons chers doublement ! XI Riche ventre qui n'a jamais porté. Seins opulents qui n'ont pas allaité, Bras frais et gras, purs de tout soin servile. Beau cou qui n'a plié que sous le poids De lents baisers à tous les chers endroits. Menton où la paresse se profile, Bouche éclatante et rouge d'où jamais Rien n'est sorti que propos que j'aimais. Oiseux et gais - et quel nid de délices ! Nez retroussé quêtant les seuls parfums De la santé robuste, yeux plus que bruns Et moins que noirs, indulgemment complices. Front peu penseur mais pour cela bien mieux. Longs cheveux noirs dont le grand flot soyeux Jusques aux reins lourdement se hasarde. Croupe superbe éprise de loisir Sauf aux travaux du suprême plaisir, Aux gais combats dont c'est l'arrière-garde. Jambes enfin, vaillantes seulement Dans le plaisant déduit au bon moment Serrant mon buste ou ballant vers la nue. Puis, au repos - cuisses, genoux, mollet, - Fleurant comme ambre et blanches comme lait : - Tel le pastel d'après ma femme nue. XII Mais Sa tête, Sa tête ! Folle, unique tempête D'injustice indignée. De mensonge en furie. Visions de tuerie Et de vengeance ignée ; Puis exquise bonace. Du soleil plein l'espace, Colombe sur l'abîme, Toute bonne pensée Caressée et bercée Pour un réveil sublime. Force de la nature Magnifiquement dure Et si douce, Sa tête, Adoré phénomène Ô de ma Philomène La tête, seule fête ! Et voyez qu'elle est belle Cette tête rebelle A la littérature Comme à l'art de la brosse Et du ciseau féroce, Voyez, race future ! Car je veux dire aux Ages Ce plus cher des visages. Cheveux noirs comme l'ombre Où passerait une onde Pure, froide, profonde. Sous un ciel bas et sombre. Petit front d'Immortelle Plissé dans la querelle, Nez mignard qu'ironise Un bout clair qui s'envole, Bouche d'où Sa parole Part, précise et concise Mais sorcière sans cesse. Qui blesse et qui caresse Mon âme obéissante. Soumise, adulatrice, Ô voix dominatrice, voix toute-puissante !... Et ô sur cette bouche Plus âpre que farouche, Plus farouche que tendre, Plus tendre qu'ordinaire, Prince au fond débonnaire, Le Baiser semble attendre. Et tout cela qu'éclaire Le regard circulaire De deux beaux yeux de braise, Bruns avec de la flamme, Sournois avec de l'âme Et du cour, n'en déplaise A nos jaloux, ma reine, Ma noble souveraine Qui me tiens dans tes geôles, O tête belle et bonne Et mauvaise - et couronne Du trône, tes Épaules. XIII Nos repas sont charmants encore que modestes", Grâce à ton art profond d'accommoder les restes Du rôti d'hier ou de ce récent pot-au-feu En hachis et ragoûts comme on n'en trouve pas chez Dieu. Le vin n'a pas de nom, car à quoi sert la gloire ? Et puisqu'il est tiré, ne faut-il pas le boire ? Pour le pain, comme c on n'en a pas toujours mangé. Qu'il nous semble excellent me semble un fait archijugé. Le légume est pour presque rien, et le d fromage : Nous en usons en rois dont ce serait l'usage. Quant aux fruits, leur primeur ça nous est bien égal. Pourvu qu'il y en ait dans ce festin vraiment frugal. Mais le triomphe, au moins pour moi, c'est la salade : Comme elle en prend ! sans jamais se sentir malade. Plus forte en cela que défunt Tragaldabas, Et j'en bâfre de cour tant elle est belle en ces ébats. Et le café, qui pour ma part fort m'indiffère. Ce qu'elle l'aime, mes bons amis, quelle affaire ! Je m'en amuse et j'en jouis pour elle, vrai ! Et puis je sais si bien que la nuit j'en profiterai. Je sais si bien que le sommeil fuira sa lèvre Et ses yeux allumés encor d'un brin de fièvre Par la goutte de rhum bue en trinquant gaîment Avec moi, présage gentil d'un choc bien plus charmant. XIV Nous sommes bien faits l'un pour l'autre ; Pourtant, quand tu me rencontras Menant mes derniers embarras D'homme grave et de bon apôtre, Ruine encore de chrétien. Philosophe déjà païen, Lourds de doctrine et de scrupule, (Le tout un peu décomposé). Mais au fond très bien disposé Pour la popine et la crapule. En un mot, sot entre les sots De cette sorte de puceaux. T'eus quelque mal à la conquête, - Et par ce mot que j'ai voulu J'entends ton triomphe absolu, - Sinon de mon cour, de ma tête ; Je ne parle pas de mon corps Vaincu dès les primes abords. Mais comme nous sympathisâmes Dès nos esprits mis en rapport Et dès lors quel parfait accord Entre ces luronnes, nos âmes, Ces luronnes et nos lurons D'esprits tout carrés et tout ronds ! Toi simple, encor que compliquée. Et moi " naïf aux cent replis. Notre expérience des lits Et notre ignorance marquée En fait de sentiments subtils, Tout ce nous rendait que gentils L'un à l'autre ! en dépit, par crises, De colères bien vite au trot*. D'humeurs noires, roses bientôt. Et, mon Dieu, d'un tas de sottises Qu'on réparait, pour r'apaiser Madame et Monsieur, d'un baiser ! C'est de persévérer, petite ! C'est, chère, de continuer, Quittes à parfois nous tuer Pour nous ressusciter ensuite. C'est de rester à deux, vraiment, Bon cour et mauvais garnement. XV Quand tu me racontes les frasques De ta chienne de vie aussi, Mes pleurs tombent gros, lourds, ainsi Que des fontaines dans des vasques. Et mes longs soupirs condolents Se mêlent à tes récits lents. Tu me dis tes amours premières : Fille des champs avec des gars Puis fille en ville aux fols écarts Et les trahisons coutumières Et mutuelles sans remord Des deux parts et comme d'accord. Tout d'un coup un caprice vite Mûri, par l'us, en passion Sauvage, tel l'humble scion Grandissant en palme subite Qu'agiterait dans quelque vert Paysage un vent du désert. Fidèle, toi, l'autre, infidèle, Toi douloureuse, lâche, enfin Furieuse, soûle du vin Du vice, essorant d'un coup d'aile Ton cour comme un aigle blessé. Mais sans pouvoir fuir le passé... Je t'écoute, et ma pitié toute. Toute mon admiration, Une indicible affection, Te vont de moi par quelle route. Sinon celle d'un pur amour Qui souffrirait, chère, à son tour, Qui souffrira, j'en ai la crainte. Qui souffre déjà, tu le sais, Toi parfois mauvaise à l'excès. Charmante aussi comme une sainte Envers ce moi, bon vieil amant. Le dernier, hein, probablement ? XVI Je ne suis pas jaloux de ton passé, chérie, Et même je t'en aime et t'en admire mieux. Il montre ton grand cceur et la gloire inflétrie D'un amour tendre et fort autant qu'impétueux. Car tu n'eus peur ni de la mort ni de la vie, Et, jusqu'à cet automne fier répercuté Vers les jours orageux de ta " prime beauté. Ton beau sanglot, honneur sublime, t'a suivie '. Ton beau sanglot que ton beau rire condolait Comme un frère plus mâle, et ces deux bons génies T'ont sacrée à mes yeux de vertus infinies Dont mon amour à moi, tout fier, se prévalait Et se targue pour t'adorer au sens mystique : Consolations, voux, respects, en même temps Qu'humbles caresses et qu'hommages ex-votants De ma chair à ce corps vaillant, temple héroïque Où tant de passions comme en un Panthéon, Rancours, pardons, fureurs et la sainte luxure Tinrent leur culte, respectant la forme pure Et le galbe puissant profanés par Phaon '. Pense à Phaon pour l'oublier dans mon étreinte Plus douce et plus fidèle, amant d'après-midi, D'extrême après-midi, mais non pas attiédi. Que me voici, tout plein d'extases et de crainte. Va, je t'aime... mieux que l'autre : il faut l'oublier. Toi : souris-moi du moins entre deux confidences, Amazone blessée es belles imprudences Qui se réveille au sein d'un vieux brave écuyer. XVII « Tu m'obstines !» - « Et je t'emmène A la campagne. » Ainsi parlaient Deux amoureux dont s'éperlaient Plus d'un encor propos amène. Je crains fort que ces amoureux N'aient été nous, l'autre semaine. Nous répondant, Tircis, Clymcne, Hélas ! en mots trop savoureux. Mais puisqu'il en est temps encore, Puisqu'il en est encore temps. Ne soyons donc plus mécontents. Au contraire, et que s'édulcore Notre courroux, pourtant grondant Un petit peu, mais pour la forme, En un orage horrible, énorme. De gros baisers se répondant. ma dure et bonne compagne, Assez, dis, de malentendus, Et si tu veux - car je le dus - Or, je t'emmène à la campagne. XVIII Ô toi triomphante sur deux « Rivales » (pour dire en haut style), Tu fus ironique, - elles... feues - Et n'employas d'effort subtil Que juste assez pour que tu fus - Ses encor mieux, grâce à cet us Qu'as de me plaire sans complaire Plus qu'il ne faut à mes caprices. Or, je te viens jouer un air Tout parfumé d'ambre et d'iris Bien qu'ayant en horreur triplice Tout parfum hostile ou complice, Sauf la seule odeur de toi, frais Et chaud effluve, vent de mer Et vent, sous le soleil, de prées Non sans quelque saveur amère Pour saler et poivrer, ainsi Qu'il est urgent, mon cour transi. Mon cour, mais non pas ma bravoure En fait d'amour ! Tu ressuscite-Rais un défunt, le bandant pour Le déduit dont Vénus dit : Sil ! Oui, mon cour encore il pantèle Du combat court, mais de peur telle ! Peur de te perdre si le sort Des armes eût trahi tes coups, Peur encor de toi, peur encore De tant de boudes et de moues. Quant aux deux autres, ô là là ! Guère n'y pensais, t'étais là. Iris, ambre, ainsi j'annonçai - Ma mémoire est bonne - ces vers A ta victoire fière et gaie Sur tes rivales somnifères. Mais que n'ont-ils le don si cher. Si pur : fleurer comme ta chair ! XIX Ils me disent que tu me trompes. D'abord, qu'est-ce que ça leur fait, Chère frivole, que " tu rompes Un serment que tu n'as pas fait ? Ils me disent que t'es méchante Envers moi, - moi, qui suis si bon ! Toi, méchante ! Qu'un autre chante Ce refrain très loin d'être bon. Méchante, toi qui toujours m'offres Un sourire amusant toujours, Toi, ma reine, qui de tes coffres Me puises des trésors toujours. Ils me disent et croient bien dire, O toi, que tu ne m'aimes pas. Que m'importe, j'ai ton sourire. Et puis, tu ne m'aimerais pas ? Tu ne m'aimes pas ? Et la grâce Et la force de ta beauté, Tu me les donnes, grande et grasse Et voluptueuse beauté. Tu ne m'aimes pas ? Et quand même Ce serait vrai, qu'est-ce que fait? « Si tu ne m'aimes pas, je t'aime. » - Mais tu m'aimes» dis, par le fait. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Paul Verlaine (1844 - 1896) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Paul Verlaine | |||||||||
OuvresAprès une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b ChronologieBiographie |
|||||||||