Paul Verlaine |
I Bon chevalier masqué qui chevauche en silence. Le Malheur a percé mon vieux cour de sa lance '. Le sang de mon vieux cour n'a fait qu'un jet vermeil, Puis s'est évaporé sur les fleurs, au soleil. L'ombre éteignit mes yeux, un cri vint à ma bouche Et mon vieux cour est mort dans un frisson farouche. Alors le chevalier Malheur s'est rapproché. Il a mis pied à terre et sa main m'a touché. Son doigt ganté de fer entra dans ma blessure Tandis qu'il attestait sa loi d'une voix dure. Et voici qu'au contact glacé du doigt de fer Un cour me renaissait, tout un cour pur et fier Et voici que, fervent d'une candeur divine. Tout un cour jeune et bon battit dans ma poitrine ! Or je restais tremblant, ivre, incrédule un peu. Comme un homme qui voit des visions de Dieu. Mais le bon chevalier, remonté sur sa bête En s'éloignant ", me fit un signe de la tête Et me cria (j'entends encore cette voix) : « Au moins, prudence ! Car c'est bon pour une fois . » II J'avais peiné comme Sisyphe ' El comme Hercule travaillé Contre la chair qui se rebiffe. J'avais lutté, j'avais baillé Des coups à trancher des montagnes. Et comme Achille ferraillé. Farouche ami qui m'accompagnes, Tu le sais, courage païen , Si nous en fîmes, des campagnes, Si nous avons négligé rien Dans cette guerre exténuante. Si nous avons travaillé bien ° ! Le tout en vain : l'âpre géante A mon effort de tout côté Opposait sa ruse ambiante, Et toujours un lâche abrité Dans mes conseils qu'il environne* Livrait les clefs de la cité. Que ma chance fût maie ou bonne. Toujours un parti de mon cour Ouvrait sa porte à la Gorgone. Toujours l'ennemi suborneur Savait envelopper d'un piège Même la victoire et l'honneur ! J'étais le vaincu qu'on assiège, Prêt à vendre son sang bien cher, Quand, blanche, en vêtement de neige, Toute belle, au front humble et fier, Une Dame vint sur la nue, Qui d'un signe fit fuir la chair. Dans une tempête inconnue De rage et de cris inhumains. Et déchirant sa gorge nue. Le Monstre reprit ses chemins Par les bois pleins d'amours affreuses. Et la Dame, joignant les mains : « Mon pauvre combattant qui creuses, Dit-elle, ce dilemme en vain. Trêve aux victoires malheureuses ! « Il t'arrive un secours divin Dont je suis sûre messagère Pour ton salut, possible enfin ! » - « Ô ma Dame dont la voix chère Encourage un blessé jaloux De voir finir l'atroce guerre, « Vous qui parlez d'un ton si doux En m'annonçant de bonnes choses, Ma Dame, qui donc êtes-vous ? » - « J'étais née avant toutes causes c Et je verrai la fin de tous Les effets, étoiles et roses. « En même temps, bonne, sur vous, Hommes faibles et pauvres femmes, Je pleure, et je vous trouve fous ! « Je pleure sur vos tristes âmes. J'ai l'amour d'elles, j'ai la peur D'elles et de leurs voux infâmes ! « Ô ceci n'est pas le bonheur. Veillez, Quelqu'un l'a dit que j'aime, Veillez, crainte du Suborneur ! « Veillez, crainte du Jour suprême ! Qui je suis ? me demandais-iu. Mon nom courbe les anges même, « Je suis le cour de la vertu. Je suis l'âme de la sagesse, Mon nom brûle l'Enfer têtu, « Je suis la douceur qui redresse. J'aime tous et n'accuse aucun, Mon nom, seul, se nomme promesse, « Je suis l'unique hôte d opportun. Je parle au Roi le vrai langage Du matin rose et du soir brun, « Je suis la Prière, et mon gage C'est ton vice en déroute au loin. Ma condition : « Toi, sois sage. » - « Oui, ma Dame, et soyez témoin ! » III Qu'en dis-tu, voyageur, des pays et des gares ' ? Du moins as-tu cueilli l'ennui, puisqu'il est mûr, Toi que voilà fumant " de maussades cigares, Noir, projetant une ombre absurde sur le mur ? Tes yeux sont aussi morts depuis les aventures. Ta grimace est la même et ton deuil est pareil : Telle la lune vue à travers des mâtures, Telle la vieille mer sous le jeune soleil. Tel l'ancien cimetière aux tombes toujours neuves Mais voyons, et dis-nous les récits devinés, Ces désillusions pleurant le long des fleuves. Ces dégoûts comme autant de fades nouveau-nés. Ces femmes ! Dis les gaz, et l'horreur identique Du mal toujours, du laid partout sur tes chemins. Et dis l'Amour et dis encor la Politique Avec du sang déshonoré d'encre à leurs mains. Et puis surtout ne va pas t'oublier toi-même. Traînassant ta faiblesse et ta simplicité Partout où l'on bataille et partout où l'on aime, D'une façon si triste et folle, en vérité ! A-t-on assez puni cette lourde innocence ? Qu'en dis-tu ? L'homme est dur, mais la femme ? Et tes pleurs. Qui les a bus? Et quelle âme qui les recense Console ce qu'on peut appeler tes malheurs * ? Ah, les autres, ah toi ! Crédule à qui te flatte, Toi qui rêvais (c'était trop excessif, aussi) Je ne sais quelle mort légère et délicate ! Ah toi, l'espèce d'ange avec ce vou transi ! Mais maintenant les plans, les buts? Es-tu de force, Ou si d'avoir pleuré t'a détrempé le cour? L'arbre est tendre s'il faut juger d'après l'écorce. Et tes aspects ne sont pas ceux d'un grand vainqueur. Si gauche encore ! avec l'aggravation d'être Une sorte à présent d'idyllique engourdi Qui surveille le ciel bête par la fenêtre Ouverte aux yeux matois du démon de midi. Si le même dans cette extrême décadence ! Enfin ! - Mais à ta place un être avec du sens, Payant les violons, voudrait mener la danse, Au risque d'alarmer quelque peu les passants. N'as-tu pas, en fouillant les recoins de ton âme. Un beau vice à tirer comme un sabre au soleil. Quelque vice joyeux, effronté, qui s'enflamme Et vibre, et darde rouge au front du ciel vermeil ? Un ou plusieurs ? Si oui, tant mieux ! Et pars bien vite En guerre, et bats d'estoc et de taille, sans choix Surtout, et mets ce masque indolent où s'abrite La haine inassouvie et repue à la fois... II faut n'être pas dupe en ce farceur de monde * Où le bonheur n'a rien d'exquis et d'alléchant S'il n'y frétille un peu de pervers et d'immonde, Et pour n'être pas dupe il faut être méchant. - Sagesse humaine, ah, j'ai les yeux sur d'autres choses, Et parmi ce passé dont ta voix décrivait L'ennui, pour des conseils encore plus moroses. Je ne me souviens plus que du mal que j'ai fait. Dans tous les mouvements bizarres de ma vie. De mes « malheurs », selon le moment et le heu. Des autres et de moi, de la route suivie, Je n'ai rien retenu que la grâce de Dieu. Si je me sens puni, c'est que je le dois être, Ni l'homme ni la femme ici ne sont pour rien. Mais j'ai le ferme espoir d'un jour pouvoir connaître Le pardon et la paix promis à tout Chrétien. Bien de n'être pas dupe en ce monde d'une heure. Mais pour ne l'être pas durant l'éternité. Ce qu'il faut à tout prix qui règne et qui demeure, Ce n'est pas la méchanceté, c'estc la bonté. IV Malheureux ! Tous les dons, la gloire du baptême, Ton enfance chrétienne, une mère qui t'aime, La force et la santé comme le pain et l'eau, Cet avenir enfin, décrit dans le tableau De ce passé plus clair que le jeu des marées. Tu pilles tout, tu perds en viles simagrées Jusqu'aux derniers pouvoirs de ton esprit, hélas ! La malédiction de n'être jamais las Suit tes pas sur le monde où l'horizon t'attire. L'enfant prodigue avec des gestes de satyre ! Nul avertissement, douloureux ou moqueur. Ne prévaut sur l'élan funeste de ton cour. Tu flânes à travers péril et ridicule. Avec l'irresponsable audace d'un Hercule Dont les travaux seraient fous, nécessairement. L'amitié - dame ! - a tu son reproche clément. Et chaste, et sans aucun espoir que le suprême, Vient prier, comme au lit d'un mourant qui blasphème. La patrie oubliée est dure au fils affreux, Et le monde alentour dresse ses buissons ° creux Où ton désir mauvais s'épuise en flèches mortes. Maintenant il te faut passer devant les portes, Hâtant le pas de peur qu'on ne lâche le chien. Et si tu n'entends pas rire, c'est encor bien. Malheureux, toi Français, toi Chrétien, quel dommage ! Mais tu vas, la pensée obscure de l'image D'un bonheur qu'il te faut immédiat, étant Athée (avec la foule) et jaloux de l'instant, Tout appétit parmi ces appétits féroces. Epris de la fadaise actuelle, mots, noces Et festins, la « Science », et P« esprit de Paris », Tu vas magnifiant ce par quoi tu péris. Imbécile ! et niant ie soleil qui t'aveugle ! Tout ce que les temps ont de bête paît et beugle Dans ta cervelle, ainsi qu'un troupeau dans un pré. Et les vices de tout le monde ont émigré Pour ton sang dont le fer lâchement s'étiole. Tu n'es plus bon à rien de propre, ta parole Est morte de l'argot et du ricanement. Et d'avoir rabâché les bourdes du moment. Ta mémoire, de tant d'obscénités bondée, Ne saurait accueillir la plus petite idée. Et patauge parmi l'égoïsme ambiant. En quête d'on ne peut dire quel vil néant ! Seul, entre les débris honnis de ton désastre, L'Orgueil, qui met la flamme au front du poétastre Et fait au criminel un prestige odieux. Seul, l'Orgueil est vivant, il danse dans tes yeux, Il regarde la Faute et rit de s'y complaire. - Dieu des humbles, sauvez cet enfant de colère ! V Beauté des femmes, leur faiblesse, et ces mains pâles Qui font souvent le bien et peuvent tout le mal, Et ces yeux, où plus rien ne reste d'animal Que juste assez pour dire : « assez » aux fureurs " mâles ! Et toujours, maternelle endormeuse des râles ', Même quand elle ment, cette voix ! Matinal Appel, ou chant * bien doux à vèpre. ou frais signal, Ou beau sanglot qui va mourir au plic des châles !... Hommes durs ! Vie atroce et laide d'ici-bas d ! Ah ! que du moins, loin des baisers et des combats. Quelque chose demeure un peu sur la montagne, Quelque chose du cour enfantin et subtil. Bonté, respect ! Car, qu'est-ce qui nous accompagne. Et vraiment, quand la mort viendra, que reste-t-il ? VI O vous, comme un qui boite au loin. Chagrins et Joies ', Toi, cour saignant d'hier qui flambes aujourd'hui. C'est vrai pourtant que c'est fini, que tout a fui De nos sens, aussi bien les ombres que les proies. Vieux bonheurs, vieux malheurs, comme une file d'oies Sur la route en poussière où tous les pieds ont lui, Bon voyage ! Et le Rire, et, plus vieille que lui, Toi, Tristesse, noyée au vieux noir que tu broies ! Et le reste ! - Un doux vide, un grand renoncement, Quelqu'un en nous qui sent la paix immensément. Une candeur d'une fraîcheur délicieuse "... Et voyez ! notre cour qui saignait sous l'orgueil. Il flambe dans l'amour, et s'en va faire accueil A la vie, en faveur d'une mort précieuse ! VII Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme. Et les voici vibrer aux cuivres du couchant. Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur-le-champ : Une tentation des pires. Fuis l'infâme. Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme, Battant toute vendange aux collines, couchant Toute moisson de la vallée, et ravageant Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame. Ô pâlis, et va-t'en, lente et joignant les mains. Si ces hiers allaient manger nos beaux demains? Si la vieille folie était encore en route ? Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer? Un assaut furieux, le suprême, sans doute ! Ô va prier contre l'orage, va prier. VIII La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles Est une ouvre de choix qui veut beaucoup d'amour. Rester gai quand le jour, triste, succède au jour. Être fort, et s'user en circonstances viles. N'entendre, n'écouter aux bruits des grandes villes Que l'appel, ô mon Dieu, des cloches dans la tour. Et faire un de ces bruits soi-même, cela" pour L'accomplissement vil de tâches puériles. Dormir chez les pécheurs étant un pénitent. N'aimer que le silence et converser pourtant. Le temps si grand dans * la patience si grande. Le scrupule naïf aux repentirs têtus, Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus ! - Fi, dit l'Ange gardien, de l'orgueil qui marchande ! IX Sagesse d'un Louis Racine ', je t'envie ! Ô n'avoir pas suivi les leçons de Rollin . N'être pas né dans le grand siècle à son déclin. Quand le soleil couchant, si beau, dorait la vie. Quand Maintenon jetait sur la France ravie L'ombre douce et la paix de ses coiffes de lin, Et royale abritait la veuve et l'orphelin, Quand l'étude de la prière était suivie, Quand poète et docteur, simplement, bonnement, Communiaient avec des ferveurs de novices. Humbles servaient la Messe et chantaient aux offices Et, le printemps venu, prenaient un soin charmant D'aller dans les Auteuils cueillir lilas et roses En louant Dieu, comme Garo, de toutes choses A ! X Non. Il fut gallican, ce siècle, et janséniste ' ! C'est vers le Moyen Âge énorme et délicat Qu'il faudrait que mon cour en panne naviguât. Loin de nos jours d'esprit charnel et de chair triste. Roi, politicien, moine, artisan, chimiste. Architecte, soldat, médecin, avocat, Quel temps ! Oui, que mon cceur naufragé rembarquât Pour toute cette force ardente, souple, artiste ! Et là que j'eusse part - quelconque, chez les rois Ou bien ailleurs, n'importe -, à la chose vitale. Et que je fusse un saint, actes bons, pensers droits, Haute théologie et solide morale. Guidé par la folie unique de la Croix Sur tes ailes de pierre, ô folle Cathédrale ! XI Petits amis qui sûtes nous prouver Par A plus B que deux et deux font quatre, Mais qui, depuis, voulez parachever Une victoire où l'on se laissait battre. Et couronner vos conquêtes d'un coup Par ce soufflet à la mémoire humaine : « Dieu ne vous a révélé rien du tout. Car nous disons qu'il n'est que l'ombre vaine, Que le profil et que l'allongement, Sur tous les murs que la peur édifie, De votre pur et simple mouvement, Et nous dictons cette philosophie ! » - Frères trop chers, laissez-nous rire un peu, Nous les fervents d'une logique rance, Qui justement n'avons de foi qu'en Dieu Et mettons notre espoir dans l'Espérance ', Laissez-nous rire un peu, pleurer aussi, Pleurer sur vous, rire du vieux blasphème, Rire du vieux Satan stupide ainsi, Pleurer sur cet Adam dupe quand même ! Frères de nous qui payons vos orgueils, Tous fils du même Amour, ah ! la science, Allons donc, allez donc, c'est nos cercueils Naïfs ou non, c'est notre méfiance Ou notre confiance aux seuls Récits, C'est notre oreille ouverte toute grande Ou tristement fermée au Mot précis ! Frères, lâchez la science gourmande Qui veut voler sur les ceps défendus Le fruit sanglant qu'il ne faut pas connaître. Lâchez son bras qui vous tient attendus Pour des enfers que Dieu n'a pas fait naître, Mais qui sont l'ouvre affreuse du péché, Car nous, les fils attentifs de l'Histoire, Nous tenons pour l'honneur jamais taché De la Tradition, supplice et gloire ! Nous sommes sûrs des Aïeux nous disant Qu'ils ont vu Dieu sous telle et telle " forme. Et prédisant aux crimes d'à présent La peine immense ou le pardon énorme. Puisqu'ils avaient vu Dieu présent toujours, Puisqu'ils ne mentaient pas, puisque nos crimes Vont effrayants, puisque vos yeux sont courts Et puisqu'il est des repentirs sublimes, Ils ont dit tout. Savoir le reste est bien : Que deux et deux fassent quatre, à merveille ! Riens innocents, mais des riens moins que rien, La dernière heure étant là qui surveille Tout autre soin dans l'homme en vérité ! Gardez que trop chercher ne vous séduise Loin d'une sage et forte humilité... Le seul savant, c'est encore Moïse ! XII Or, vous voici promus, petits amis, Depuis les temps de ma lettre première. Promus, disais-je, aux fiers emplois promis A votre thèse, en ces jours de lumière. Vous voici rois de France ! A votre tour ! (Rois à plusieurs d'une France postiche, Mais rois de fait et non sans quelque amour D'un trône lourd avec un budget riche '.) A l'ouvre, amis petits ! Nous avons droit De vous y voir, payant de notre poche. Et d'être un peu réjouis à l'endroit De votre état sans peur et sans reproche. Sans peur ? Du maître ? Ô le maître, mais c'est L'ignorant-chiffre et le Suffrage-nombre, Total, le peuple, « un âne » fort qui « s'est Cabré » pour vous, espoir clair, puis fait sombre. Cabré comme une chèvre, c'est le mot. Et votre bras, saignant jusqu'à l'aisselle, S'efforce en vain : fort comme Béhémot, Le monstre tire... et votre peur est telle Que l'âne brait, que le voilà parti Qui par les dents vous boute cent ruades En forme de reproche bien senti... Courez après, frottant vos reins malades ! O Peuple, nous t'aimons immensément : N'es-tu donc pas la pauvre âme ignorante En proie à tout ce qui sait et qui ment? N'es-tu donc pas l'immensité souffrante } ? La charité nous fait chercher tes maux, La foi nous guide à travers tes ténèbres. On t'a rendu semblable aux animaux. Moins leur candeur, et plein d'instincts funèbres. L'orgueil t'a pris en ce quatre-vingt-neuf, Nabuchodonosor et te* fait paître. Ane obstiné, mouton buté, dur bouf. Broutant pouvoir, famille, soldat, prêtre ! ô paysan cassé sur tes sillons. Pâle ouvrier qu'esquinte la machine. Membres sacrés de Jésus-Christ, allons. Relevez-vous, honorez votre échine, Portez l'amour qu'il faut à vos bras forts, Vos pieds vaillants sont les plus beaux du monde, Respectez-les, fuyez ces chemins tors. Fermez l'oreille à ce conseil immonde, Redevenez les Français d'autrefois. Fils de l'Église, et dignes de vos pères ! Ô s'ils savaient ceux-ci sur vos pavois. Leurs os sueraient de honte aux cimetières. - Vous, nos tyrans minuscules d'un jour, (L'énormité des actes rend les princes Surtout de souche impure, et malgré cour Et splendeur et le faste, encor plus minces). Laissez le règne et rentrez dans le rang. Aussi bien l'heure est proche où la tourmente Vous va donner des loisirs, et tout blanc c L'avenir flotte avec sa Fleur charmante Sur la Bastille absurde où vous teniez La France aux fers d'un blasphème et d'un schisme, Et la chronique en de cléments Téniers Déjà vous peint allant au catéchisme. XIII Prince mort en soldat ' à cause de la France, Ame certes élue, Fier jeune homme si pur tombé plein d'espérance, Je t'aime et te salue ! Ce monde est si mauvais, notre pauvre patrie Va sous tant de ténèbres, Vaisseau désemparé dont l'équipage crie Avec des voix funèbres, Ce siècle est un tel ciel tragique où les naufrages Semblent écrits d'avance... Ma jeunesse, élevée aux doctrines sauvages, Détesta ton enfance. Et plus tard, cour pirate épris des seules côtes Où la révolte naisse, Mon âge d'homme, noir d'orages et de fautes. Abhorrait ta jeunesse. Maintenant j'aime Dieu dont l'amour et la foudre M'ont fait une âme neuve. Et maintenant que mon orgueil réduit en poudre, Humble, accepte l'épreuve. J'admire ton destin, j'adore, tout en larmes Pour les pleurs de ta mère, Dieu qui te fit mourir, beau prince, sous les armes. Comme un héros d'Homère. Et je dis. réservant d'ailleurs mon vou suprême Au lys de Louis Seize : Napoléon, qui fus digne du diadème. Gloire à ta mort française ! Et priez bien pour nous, pour cette France ancienne, Aujourd'hui vraiment « Sire », Dieu qui vous couronna, sur la terre païenne , Bon chrétien, du martyre ! XIV Vous reviendrez bientôt ' les bras pleins de pardons Selon votre coutume, Ô Pères excellents qu'aujourd'hui nous perdons Pour comble d'amertume. Vous reviendrez, vieillards exquis, avec l'honneur, Avec la Fleur chérie", Et que de pleurs joyeux, et quels cris de bonheur Dans toute la patrie ! Vous reviendrez, après ces glorieux exils. Après des moissons d'âmes. Après avoir prié pour ceux-ci, fussent-ils Encore plus infâmes, Après avoir couvert les îles et la mer De votre ombre si douce Et réjoui le ciel et consterné l'enfer. Béni qui vous repousse. Béni qui vous dépouille au cri de liberté, Béni l'impie en armes. Et l'enfant qu'il vous prend des bras, - et racheté Nos crimes par vos larmes ! Proscrits des jours, vainqueurs des temps, non point adieu, Vous êtes l'espérance. A tantôt. Pères saints, qui nous vaudrez de Dieu Le salut pour la France ! XV On n'offense que Dieu qui seul pardonne. Mais On contriste son frère, on l'afflige, on le blesse, On fait gronder sa haine ou pleurer sa faiblesse, Et c'est un crime affreux qui va troubler la paix Des simples, et donner au monde sa pâture. Scandale, cours perdus, gros mots et rire épais. Le plus souvent, par un effet de la nature Des choses, ce péché trouve son châtiment Même ici-bas, féroce et long, communément. Mais l'Amour tout-puissant donne à la créature Le sens de son malheur qui mène au repentir Par une route lente et haute, mais très sûre. Alors un grand désir, un seul, vient investir Le pénitent, après les premières alarmes, Et c'est d'humilier son front devant les larmes De naguère, sans rien qui pourrait amortir Le coup droit pour l'orgueil, et de rendre les armes Comme un soldat vaincu, - triste, de bonne foi-Ô ma sour, qui m'avez puni, pardonnez-moi ' ! XVI Écoutez la chanson ' bien douce Qui ne pleure que pour vous plaire. Elle est discrète, elle est légère : Un frisson d'eau sur de la mousse " ! La voix vous fut connue (et chère !), Mais à présent elle est voilée Comme une veuve désolée. Pourtant comme elle encore fière *, Et dans les longs plis de son voile Qui palpite aux brises d'automne. Cache et montre au cour qui s'étonne La vérité comme une étoile. Elle dit, la voix reconnue , Que la bonté c'est notre vie. Que de la haine et de l'envie Rien ne reste, la mort venue. Elle parle aussi de la gloire D'être simple sans plus attendre. Et de noces d'or et du tendre Bonheur d'une paix sans victoire. Accueillez la voix qui persiste Dans son naïf épithalame. Allez, rien n'est meilleur à l'âme Que de faire une âme moins triste ! Elle est en peine et de passage, L'âme qui souffre sans colère, Et comme sa morale est claire !... Écoutez la chanson bien sage. XVII Les chères mains qui furent miennes ', Toutes petites, toutes belles. Après ces méprises mortelles Et toutes ces choses païennes. Après les rades et les grèves. Et les pays et les provinces. Royales mieux qu'au temps des princes, Les chères mains m'ouvrent les rêves. Mains en songe, mains sur mon âme, Sais-je, moi, ce que vous daignâtes, Parmi ces rumeurs scélérates. Dire à cette âme qui se pâme ? Ment-elle, ma vision chaste D'affinité spirituelle. De complicité maternelle, D'affection étroite et vaste ? Remords si cher, peine " très bonne. Rêves bénis, mains consacrées, Ô ces mains, ses mains* vénérées. Faites le geste qui pardonne ! XVIII Et j'ai revu l'enfant unique : il m'a semblé Que s'ouvrait dans mon cour la dernière blessure, Celle dont la douleur plus exquise m'assure D'une mort désirable en un jour consolé. La bonne flèche aiguë et sa fraîcheur qui dure ! En ces instants choisis elles ont éveillé Les rêves un peu lourds du scrupule ennuyé. Et tout mon sang chrétien chanta la Chanson pure. J'entends encor, je vois encor ! Loi du devoir Si douce ! Enfin, je sais ce qu'est entendre et voir. J'entends, je vois toujours ! Voix des bonnes pensées ! Innocence, avenir ! Sage et silencieux. Que je vais vous aimer, vous un instant pressées, Belles petites mains qui fermerez nos ' yeux ! XIX Voix de l'Orgueil : un cri puissant comme d'un cor, Des étoiles de sang sur des cuirasses d'or. On trébuche à travers des chaleurs d'incendie... Mais en somme la voix s'en va, comme d'un cor. Voix de la Haine : cloche en mer, fausse, assourdie De neige lente. Il fait si froid ! Lourde, affadie, La vie a peur et court follement sur le quai Loin de la cloche qui devient plus assourdie. Voix de la Chair : un gros tapage fatigué. Des gens ont bu. L'endroit fait semblant d'être gai. Des yeux, des noms, et l'air plein de parfums atroces Où vient mourir le gros" tapage fatigué. Voix d'Autrui : des lointains dans des brouillards. Des noces Vont et viennent. Des tas d'embarras. Des négoces, Et tout le cirque des civilisations Au son trotte-menu du violon des noces. Colères, soupirs noirs, regrets, tentations Qu'il a fallu pourtant que nous entendissions Pour l'assourdissement des silences honnêtes, Colères, soupirs noirs, regrets, tentations, Ah, les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes. Sentences, mots en vain, métaphores mal faifs, Toute la rhétorique en mite des péchés, Ah, les Voix, mourez donc, mourantes que vous êtes ! Nous ne sommes plus ceux que vous auriez cherchés, Mourez à nous, mourez aux humbles voux cachés Que nourrit la douceur de la Parole forte. Car notre cour n'est plus de ceux que vous cherchez ! Mourez parmi la voix que la Prière emporte Au ciel, dont elle seule ouvre et ferme la porte Et dont elle tiendra les sceaux au dernier jour, Mourez parmi la voix que la Prière apporte, Mourez parmi la voix terrible de l'Amour ! XX L'ennemi ' se déguise en l'Ennui Et me dit : « A quoi bon, pauvre dupe ? » Moi je passe et me moque de lui. L'ennemi se déguise en la Chair Et me dit : « Bah, retrousse une jupe " ! » Moi j'écarte le conseil amer. L'ennemi se transforme en un Ange De lumière et dit : « Qu'est ton effort A côté des tributs de louange Et de Foi dus au Père céleste ? Ton amour va-t-il jusqu'à la mort ? » Je réponds : « L'Espérance me reste. » Comme c'est le vieux logicien, a fait bientôt de me réduire A ne plus vouloir répliquer rien. Mais sachant qui c'est, épouvanté De ne plus sentir les mondes luire, Je prierai pour de l'humilité. XXI Va ton chemin sans plus t'inquiéter ! La route est droite et tu n'as qu'à monter, Portant d'ailleurs le seul trésor qui vaille, Et l'arme unique au cas d'une bataille : La pauvreté d'esprit et Dieu pour toi. Surtout il faut garder toute espérance. Qu'importe un peu de nuit et de souffrance ? La route est bonne et la mort est au bout. Oui, garde toute espérance surtout : La mort là-bas te dresse un lit de joie. Et fais-toi doux de toute la douceur. La vie est laide, encore c'est ta sour. Simple, gravis la côte et même chante, Pour écarter la prudence méchante Dont la voix basse est pour tenter ta foi. Simple comme un enfant, gravis la côte. Humble comme un pécheur qui hait la faute. Chante, et même sois gai, pour défier L'ennui que l'ennemi peut t'envoyer Afin que tu t'endormes sur la voie. Ris du vieux Piège et du vieux Séducteur, Puisque la Paix est là, sur la hauteur. Qui luit parmi des fanfares de gloire. Monte, ravi, dans la nuit blanche et noire Déjà l'Ange Gardien étend sur toi Joyeusement des ailes de victoire. XXII Pourquoi triste, ô mon âme. Triste jusqu'à la mort ', Quand l'effort te réclame, Quand le suprême effort Est là qui te réclame? Ah ! tes mains que tu tords Au lieu d'être à la tâche. Tes lèvres que tu mords Et leur silence lâche. Et tes yeux qui sont morts ! N'as-tu pas l'espérance De la fidélité. Et, pour plus d'assurance Dans la sécurité, N'as-tu pas la souffrance ? Mais chasse le sommeil Et ce rêve qui pleure. Grand jour et plein soleil ! Vois, il est plus que l'heure Le ciel bruit vermeil. Et la lumière crue Découpant d'un trait noir Toute chose apparue Te montre le Devoir Et sa forme bourrue. Marche à lui vivement. Tu verras disparaître Tout aspect inclément De sa manière d'être. Avec Péloignement. C'est le dépositaire Qui te garde un trésor D'amour et de mystère. Plus précieux que l'or. Plus sûr que rien sur terre. Les biens qu'on ne voit pas, Toute joie inouïe. Votre paix, saints combats, L'extase épanouie Et l'oubli d'ici-bas, Et l'oubli d'ici-bas! XXIII Né l'enfant des grandes villes Et des révoltes serviles, J'ai là tout cherché, trouvé, De tout appétit rêvé-Mais, puisque rien n'en demeure. J'ai dit un adieu léger A tout ce qui peut changer. Au plaisir, au bonheur même. Et même à tout ce que j'aime Hors de vous, mon doux Seigneur ! La Croix m'a pris sur ses ailes Qui m'emporte aux meilleurs zèles ", Silence, expiation, Et l'âpre vocation Pour la vertu qui s'ignore. Douce, chère Humilité, Arrose ma charité, Trempe-la de tes eaux vives, Ô mon cour, que tu ne vives Qu'aux fins d'une bonne mort ! XXIV L'âme antique était rude et vaine Et ne voyait dans la douleur Que l'acuité de la peine Qu I'étonnement du malheur. L'art, sa figure la plus claire. Traduit ce double sentiment Par deux grands types de la Mère En proie au suprême tourment. C'est la vieille reine de Troie ' : Tous ses fils sont morts par le fer. Alors ce deuil brutal aboie Et glapit au bord de la mer. Elle court le long du rivage. Bavant vers le flot écumant. Hirsute, criarde, sauvage, La chienne littéralement !... Et c'est Niobé qui s'effare Et garde fixement des yeux Sur les dalles de pierre rare Ses enfants tués par les dieux. Le souffle expire sur sa bouche. Elle meurt dans un geste fou. Ce n'est plus qu'un marbre farouche Là transporté nul ne sait d'où !... La douleur chrétienne est immense. Elle, comme le cour humain. Elle souffre, puis elle pense. Et calme poursuit son chemin. Elle est debout sur le Calvaire Pleine de larmes et sans cris. C'est également une Mère, Mais quelle Mère de quel Fils ! Elle participe au Supplice Qui sauve toute nation. Attendrissant le sacrifice Par sa vaste compassion. Et comme tous sont les fils d'EUe, Sur le monde et sur sa langueur Toute la Charité ruisselle Des sept Blessures de son cour! Au jour qu'il faudra, pour la gloire Des deux enfin tout grands ouverts. Ceux qui surent et purent croire, Bons et doux, sauf au seul Pervers, Ceux-là, vers la joie infinie Sur la colline de Sion. Monteront, d'une aile bénie, Aux plis de son assomption. |
Contact - Membres - Conditions d'utilisation
© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.
Paul Verlaine (1844 - 1896) |
|||||||||
|
|||||||||
Portrait de Paul Verlaine | |||||||||
OuvresAprès une enfance à Metz, il fait ses études à Paris et trouve un emploi à l'Hôtel de Ville. Il fréquente les salons et cafés littéraires de la capitale et fait la connaissance de nombreux poètes célèbres de son époque. Ces rencontres l'incitent à composer lui aussi des vers. Verlaine est d'un caractère timide, et cette faiblesse est aggravée par des deuils familiaux : il se tourne alors vers la b ChronologieBiographie |
|||||||||