Théodore de Banville |
En arrivant dans sa ville aux cent tours, Charles s'écrie : « Ah ! cours pleins d'artifice ! Ah ! mécréants ! pourvoyeurs de vautours ! Il faut enfin qu'on vous anéantisse. Que tous les pairs de ma cour de justice Viennent, dit-il, me trouver sans délais : Je veux qu'on parte et qu'on les avertisse. » Mais en passant le seuil de son palais, Sous un habit d'argent où l'émeraude Jette ses feux près du rubis sanglant, Il voit venir près de lui la belle Aude Aux fins cheveux d'or pâle et ruisselant. « Sire, dit-elle, et, tout en lui parlant, Elle attachait sur lui ses yeux de flamme, Où donc est-il votre neveu Roland, Qui m'a juré de me prendre pour femme ? » A ce discours le puissant Empereur, Le vieux lion couronné, le grand chêne, Baisse la tête et frémit de terreur. De larges pleurs brûlants, des pleurs de haine, Tombent à flots dans sa barbe hautaine : « Hélas ! dit-il, ce faiseur de travaux, Cet artisan d'exploits, mon capitaine, Le bon Roland, est mort à Roncevàux. Mais, ô ma sour ! amie au col de cygne, Je te promets un époux, fils d'aïeux Fiers de lignage et de valeur insigne Pour te servir à la face des cieux. Il séchera les larmes de tes yeux Qui pleureraient toujours de chers fantômes. C'est mon Louis, je ne puis dire mieux : Il est mon fils, il aura mes royaumes. » Aude sourit. Vite, un rayon charmant Fleurit sa lèvre austère que l'on vante : « Je le vois bien, dit-elle doucement A l'Empereur tout glacé d'épouvante, Vous vouliez donc railler votre servante ! Vous m'avez dit ces choses-là par jeu ! Que, Roland mort, Aude reste vivante ! Cela ne plaise à notre seigneur Dieu ! » Elle pâlit. Comme dans la campagne Se brise un lys, la jeune fille ainsi Se laisse choir aux pieds de Charlemagne, Le cour brisé par un si grand souci. Sa lèvre est blême et son cour est transi, La voilà morte et froide et son front penche, Morte au toujours ! Dieu lui fasse merci Et dans les cieux prenne son âme blanche ! L'Empereur tremble, en proie au noir remord. Il ne la croit que pâmée ; il la frôle ; Il la soulève en tremblant, lui si fort ! La tête, hélas ! retombe sur l'épaule. Va, c'en est fait, ô perle de la Gaule ! Ses longs cheveux, tandis qu'elle s'endort, Tombent pareils à des branches de saule : C'est bien le doigt farouche de la mon. Charles, pensif, navré dans ses tristesses, Ayant connu cette vaillante amour, Au même instant mande quatre comtesses Qu'il fit venir en grand deuil à sa cour Pour veiller Aude aux bras blancs nuit et jour. Et puis elle eut sa place aux pieds des Anges, Dans un moutier de nonnains, doux séjour Où de Marie on chante les louanges. Sa blanche tombe est sous un noir buisson Où l'aubépine étend ses longues branches. Le rossignol en suave chanson Y vient la nuit jeter ses notes franches ; La violette et les sombres pervenches Semblent gémir sur un trépas si beau, Et l'on verra des roses toutes blanches Pendant mille ans fleurir sur son tombeau. Car elle est morte, aimable entre les vierges ! Et Ganelon attend son jugement, Vil, enchaîné, meurtri, fouetté de verges. Mais Aude morte égale son amant. Dans le sépulcre elle dort fièrement, Et Charles pleure encor cette pucelle Qui fut sans tache ainsi qu'un diamant, Et brave cour et gente demoiselle. Nice, janvier 1860 |
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Théodore de Banville (1823 - 1891) |
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Portrait de Théodore de Banville | |||||||||
Biographie / OuvresThéodore de Banville, poète français, né le 14 mars 1823 à Moulins, dans l'Allier, mort le 13 mars 1891, à Paris, à son domicile rue de l'Éperon. Il fut un poète français, et un des chefs de file de l'école parnassienne. Banville professait un amour exclusif de la beauté et s'opposait à la fois à la poésie réaliste et aux épanchements romantiques, face auxquels il affirmait sa foi en la pureté for |
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