Théodore de Banville |
Une nuit j'ai rêvé que l'Amour était mort. Au penchant de l'Ota, que l'âpre bise mord, Les Vierges dont le vent meurtrit de ses caresses Les seins nus et les pieds de lys, les chasseresses Qui rêvent sous la lune aux plaisirs de l'Enfer, L'avaient toutes percé de leurs flèches de fer. Le jeune dieu tomba, meurtri de cent blessures, Et le sang jaillissait sur ses belles chaussures. Il expira. Parmi les bois qu'ils parcouraient Les loups criaient de peur. Les grands lions pleuraient. La terre frissonnait et se sentait perdue. Folle, expirante aussi, la Nature, éperdue De voir le divin sang couler en flot vermeil, Enveloppa de nuit et d'ombre le soleil, Comme pour étouffer sous l'horreur de ces voiles L'épouvantable cri qui tombait des étoiles. Laissant pendre sa main qui dompte les taureaux, Il gisait, l'adorable archer, l'enfant Eros, Comme un pin abattu vivant par la cognée. Alors Psyché vint, blanche et de ses pleurs baignée ; Elle s'agenouilla près du bel enfant-dieu, Et sans repos baisa ses blessures en feu, Béantes, comme elle eût baisé de belles bouches, Puis se roula dans l'herbe, et dit : « O dieux farouches ! C'est votre ouvre, et de vous je n'attendais pas moins. Je connais là vos coups. Mais vous êtes témoins Tous que je donne ici mon souffle à ce cadavre, Pour qu'Eros, délivré de la mort qui le navre, Renaisse, et dans le vol des astres, d'un pied sûr, Remonte en bondissant les escaliers d'azur ! » Puis, comprimant son cour que brûlaient mille fièvres, Dans un baiser immense elle colla ses lèvres Sur la lèvre glacée, hélas ! de son époux, Et, tandis que la voix gémissante des loups Se mêlait aux sanglots lointains du cerf qui brame, Elle baisa le mort, et lui souffla son âme. Tout à coup le soleil reparut, et le dieu Se releva, charmé, vivant, riant. L'air bleu Baisait ses cheveux d'or, d'où le zéphyr emporte L'extase des parfums, et Psyché tomba morte. Eros emplit le bois de chansons, fier, divin, Superbe, et d'une haleine aspirant, comme un vin Doux et délicieux, la vie universelle, Mais sans s'inquiéter un seul moment de celle Qui gisait à ses pieds sur le coteau penchant, Et dont le front traînait dans la fange. Et, touchant Les flèches dont Zeus même adore la brûlure, Il marchait dans son sang et dans sa chevelure. Décembre 1862 |
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Théodore de Banville (1823 - 1891) |
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Portrait de Théodore de Banville | |||||||||
Biographie / OuvresThéodore de Banville, poète français, né le 14 mars 1823 à Moulins, dans l'Allier, mort le 13 mars 1891, à Paris, à son domicile rue de l'Éperon. Il fut un poète français, et un des chefs de file de l'école parnassienne. Banville professait un amour exclusif de la beauté et s'opposait à la fois à la poésie réaliste et aux épanchements romantiques, face auxquels il affirmait sa foi en la pureté for |
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