Théodore de Banville |
Partout la neige. Au bout du sinistre chemin Que troublait seul le bruit de ce pas surhumain, C'était un bois sauvage éclairé par la lune. Pas une seule place où la terre fût brune, Et, pareil à ce voile effrayant qui descend Aux pieds des morts, le blanc linceul éblouissant Faisait tomber ses plis sur les chênes énormes, Et le vent furieux, engouffré dans les ormes, Entrechoquait avec un rire convulsif Leurs rameaux. L'Exilé farouche, au front pensif, Entra dans la forêt que l'âpre bise assiège ; Son camail écarlate incendiait la neige D'un long reflet sanglant, rose, aux lueurs d'éclair Comme si, revenu des cieux et de l'enfer, Ce voyageur, portant l'infini dans son âme, Au lieu d'ombre traînait à ses pieds une flamme. De ce côté des bois, les chasseurs vont s'asseoir Dans un grand carrefour où, du matin au soir, Chantent pendant l'été de sonores fontaines. Un sentier surplombé par des roches hautaines Y conduit. L'Exilé soucieux le suivit Jusqu'à cette clairière, et voici ce qu'il vit : Un fier cheval de race à la noble encolure, Dans son sang répandu souillant sa chevelure, Expirait, dévoré tout vivant par des loups. Ses meurtriers parmi la ronce et les cailloux Le traînaient. Il n'était déjà plus que morsures. Ses entrailles à flots sortaient de ses blessures Et ses pieds éperdus trébuchaient dans la mort. En vain, de temps en temps, par un horrible effort, Il secouait par terre un peu des bêtes fauves ; D'autres monstres, sortis des antres, leurs alcôves, Se ruaient sur son cou, s'attachaient à ses flancs, Dans sa chair déchirée enfonçaient leurs crocs blancs Et se mêlaient à lui dans d'effroyables poses, Et tout son corps teignait de sang leurs gueules roses. Enfin, morne, donnant sa vie à ses bourreaux, Il tomba, les genoux ployés, comme un héros Qui défie, à l'instant suprême où tout s'efface, Les spectres de la mort, et les voit face à face. Sa prunelle effarée et vague interrogea La nuit ; puis le coursier vaincu, sentant déjà Que dans ses doux regards entrait l'Infini sombre Et qu'il roulait au fond dans les gouffres de l'Ombre, Se leva sur ses pieds avant de s'endormir Pour toujours, et frappant la terre, et, pour gémir, Dans sa voix qui n'est plus trouvant un cri suprême, Sublime, épouvantant l'agonie elle-même, Et perçant une fois encor son voile obscur, Leva vers les grands cieux et roula dans l'azur Ses yeux, d'où s'enfuyait lentement l'espérance, Et Dante s'écria, l'âme en pleurs : O Florence ! Novembre 1862 |
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Théodore de Banville (1823 - 1891) |
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Portrait de Théodore de Banville | |||||||||
Biographie / OuvresThéodore de Banville, poète français, né le 14 mars 1823 à Moulins, dans l'Allier, mort le 13 mars 1891, à Paris, à son domicile rue de l'Éperon. Il fut un poète français, et un des chefs de file de l'école parnassienne. Banville professait un amour exclusif de la beauté et s'opposait à la fois à la poésie réaliste et aux épanchements romantiques, face auxquels il affirmait sa foi en la pureté for |
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