wikipoemes
paul-verlaine

Paul Verlaine

alain-bosquet

Alain Bosquet

jules-laforgue

Jules Laforgue

jacques-prevert

Jacques Prévert

pierre-reverdy

Pierre Reverdy

max-jacob

Max Jacob

clement-marot

Clément Marot

aime-cesaire

Aimé Césaire

henri-michaux

Henri Michaux

victor-hugo

Victor Hugo

robert-desnos

Robert Desnos

blaise-cendrars

Blaise Cendrars

rene-char

René Char

charles-baudelaire

Charles Baudelaire

georges-mogin

Georges Mogin

andree-chedid

Andrée Chedid

guillaume-apollinaire

Guillaume Apollinaire

Louis Aragon

arthur-rimbaud

Arthur Rimbaud

francis-jammes

Francis Jammes


Devenir membre
 
 
auteurs essais
 

Théodore de Banville



L'exil des dieux - Poéme


Poéme / Poémes d'Théodore de Banville





C'est dans un bois sinistre et formidable, au nord

De la
Gaule.
Roidis par un suprême effort,

Les chênes monstrueux supportent avec rage

Les grands nuages noirs d'où va tomber l'orage ;

Le matin frissonnant s'éveille, et la clarté

De l'aube mord déjà le ciel ensanglanté.

Tout est lugubre et pâle, et les feuilles froissées

Gémissent, et, géants que de tristes pensées

Tourmentent, les rochers jusqu'à l'horizon noir

Se lèvent, méditant dans leur long désespoir ;

Et, blanche dans le jour douteux et dans la brume,

La cascade sanglote en sa prison d'écume.

Léchant les verts sapins avec un rire amer,

La mer aux vastes flots baigne leurs pieds, la mer

Douloureuse, où, groupés de distance en distance,

Accourent les vaisseaux de l'empereur
Constance.



Tout à coup, ô terreur ! ô deuil ! au bord des eaux
La terre s'épouvante, et jusque dans ses os
Tremble, et sur sa poitrine âpre, d'effroi saisie,
Se répand un parfum céleste d'ambroisie.
Un grand souffle éperdu murmure dans les airs :
Une lueur vermeille au fond de ces déserts
Grandit, mystérieuse et sainte avant-courrière,
O vastes cieux ! et là, marchant dans la clairière,



Luttant de clarté sombre avec le jour douteux,
Meurtris, blessés, mourants, sublimes, ce sont eux,
Eux, les grands exilés, les dieux.
O misérables !
Les chênes accablés par l'âge, et les érables
Les plaignent.
Les voici.
Voici
Zeus,
Apollon,
Aphrodite, marchant pieds nus, et son talon
A la blancheur d'un astre et l'éclat d'une rose !
Athènè, dont jadis, dans l'éther grandiose,
Le clair regard, luttant de douceur et de feu,
Etait l'intensité sereine du ciel bleu.
Hère,
Dionysos,
Hèphaistos triste et grave
Et tous les autres dieux foulant la terre esclave
S'avancent.
Tous ces rois marchent, marchent sans



bruit.
Ils marchent vers l'exil, vers l'oubli, vers la nuit,
Résignés, effrayants, plus pâles que des marbres,
Parfois heurtant leurs fronts dans les branches des



arbres,
Et, tandis qu'il s'en vont, troupeau silencieux,
La fatigue d'errer sans repos sous les cieux
Arrache des sanglots à leurs bouches divines,
Et des soupirs affreux sortent de leurs poitrines.



Car, depuis qu'en riant les empereurs jaloux

De leur gloire, les ont chassés comme des loups,

Et que leurs palais d'or sont brisés sur les cimes

De l'Olympe à jamais désert, les dieux sublimes

Errent, ayant connu les pleurs, soumis enfin

A la vieillesse horrible, aux douleurs, à la faim,

Aux innombrables maux que tous les hommes craignent,

Et leurs pieds, déchirés par les épines, saignent.

Zeus, à présent vieillard, a froid, et sur ses flancs



Serre un haillon de pourpre, et ses cheveux sont

blancs.
Sa barbe est blanche : au fond du lointain qui s'allume
Ses épouses en deuil le suivent dans la brume.
Hère,
Lèto,
Métis,
Eurynomè,
Thémis
Sont là, blanches d'effroi, pâles comme des lys,
Et pleurent.
Sur leurs fronts mouillés par la rosée
L'aigle vole au hasard de son aile brisée.
Et celui qui tua la serpente
Pytho,
Le brillant
Lycien, cache sous son manteau
Son arc d'argent, rompu.
Triste en sa frénésie,
Le beau
Dionysos pleure la molle
Asie,
Et ce hardi troupeau, les femmes au sein nu
Qui le suivaient naguère au pays inconnu,
Folles, aspirant l'air avec ses doux arômes,
Ne sont plus à présent que spectres et fantômes.
Hermès, qui n'ouvre plus ses ailes, en chemin
Songe, et le rameau d'or s'est flétri dans sa main.
Athènè, l'invincible
Ares, mangent les mûres
De la haie, et n'ont plus que des lambeaux d'armures ;
Dèmèter, pâle encor de tous les maux soufferts,
Tient sa fille livide, arrachée aux enfers,
Et la blonde
Artémis, terrible, échevelée,
Bondit encor, fixant sa prunelle étoilée
Sur la nuit redoutable et morne des forêts,
Cherchant des ennemis à percer de ses traits,
Et sur sa jambe flotte et vole avec délire
Sa tunique d'azur, que l'ouragan déchire.

Cependant, les regards baissés vers le sol noir,
Les
Muses lentement chantent le désespoir
De l'exil, dont leur père a dû subir l'outrage,



Et leur hymne farouche éclate avec l'orage.

Toute l'horreur des cieux perdus est dans leur voix ;

Les arbres, les rochers, les profondeurs des bois,

Les antres noirs ouverts sous la rude broussaille

S'émeuvent, et la mer, la mer aussi tressaille,

La mer tumultueuse, et sur son flot grondant,

Vieux, tenant un morceau brisé de son trident,

Poséidon apparaît, s'élevant sur la cime

Des ondes.
Près de lui, fugitifs dans l'abîme,

Pontos,
Céto,
Nèreus,
Phorcys,
Thétis, couverts

D'écume, gémissant au milieu des flots verts,

Sur les pointes des rocs heurtent leurs fronts livides

En signe de détresse, et les
Océanides,

Frappant leur sein de neige et pleurant les tourments

Des grands dieux, vers le ciel tordent leurs bras

charmants.
Leur douleur, en un chant d'une fierté sauvage,
S'exhale avec des cris de haine, et du rivage
Ecoutant cette plainte affreuse, à leurs sanglots
Aphrodite répond, fille auguste des flots !

O douleur ! son beau corps fait d'une neige pure

Rougit, et sous le vent jaloux subit l'injure

De l'orage ; son sein aigu, déjà meurtri

Par leur souffle glacé, frissonne à ce grand cri.

Le visage divin et fier de
Cythérée,

Dont rien ne peut flétrir la majesté sacrée,

A toujours sa splendeur d'astre et de fruit vermeil :

Mais, dénoués, épars, ses cheveux de soleil

Tombent sur son épaule, et leur masse profonde

Comme d'un fleuve d'or en fusion l'inonde.

Leur vivante lumière embrase la forêt.



Mêlés et tourmentés par la bise, on dirait

Que leur flot pleure, et quand la reine auguste penche

Son front, dans ce bel or brille une tresse blanche.

Les larmes de
Cypris ont brûlé ses longs cils.

Frémissante, elle aussi déplore les exils

Des grands dieux, et tandis que les
Océanides

Gémissent dans la mer stérile aux flots rapides,

Elle parle en ces mots, et son rire moqueur,

Tout plein du désespoir qui gonfle son grand cour,

Dans l'ombre où le matin lutte avec les ténèbres

Donne un accent de haine à ses plaintes funèbres :

«
O nos victimes ! rois monstrueux, dieux titans

Que nous avons chassés vers les gouffres du
Temps !

Fils aînés du
Chaos aux chevelures d'astres,

Dont le souffle et les yeux contenaient les désastres

Des ouragans !
Japet !
Hypérion, l'aîné

De nos aïeux ! ô toi, ma mère
Dioné !

Et toi qui t'élanças, brillant, vers tes victoires,

Du sein de l'Erèbe, où dormaient tes ailes noires,

Toi le premier, le plus ancien des dieux,
Amour !

Voyez, l'homme nous chasse et nous hait à son tour,

Votre sang reparaît sur nos mains meurtrières,

Et nous errons, vaincus, parmi les fondrières.

Eh bien ! oui, nous fuyons !
Nos regards, ciel

changeant,
Ne refléteront plus les longs fleuves d'argent.
Elle-même, la
Vie amoureuse et bénie
Nous pousse hors du sein de l'Etre, et nous renie.
Homme, vil meurtrier des dieux, es-tu content ?
Les bois profonds, les monts et le ciel éclatant
Sont vides, et les flots sont vides : c'est ton règne !



Cherche qui te console et cherche qui te plaigne !
Les sources des vallons boisés n'ont plus de voix,
L'antre n'a plus de voix, les arbres dans les bois
N'ont plus de voix, ni l'onde où tu buvais, poète !
Et la mer est muette, et la terre est muette,
Et rien ne te connaît dans le grand désert bleu
Des cieux, et le soleil de feu n'est plus un dieu !
Il ne te voit plus.
Rien de ce qui vit, frissonne,
Respire ou resplendit ne te connaît.
Personne
A présent, vagabond, ne sait d'où tu venais
Et ne peut dire :
C'est l'homme.
Je le connais.
La
Nature n'est plus qu'un grand spectre farouche
Son cour brisé n'a plus de battements.
Sa bouche
Est clouée, et les yeux des astres sont crevés.
Tu ne finiras pas les chants inachevés,
Et tes fils, ignorant l'adorable martyre,
Demanderont bientôt ce que tu nommais
Lyre !

Oh ! lorsque tu chantais et que tu combattais,
Nous venions te parler à mi-voix !
Tu sentais
Près de ta joue, avec nos suaves murmures,
Délicieusement le vent des chevelures
Divines.
Maintenant, savoure ton ennui.
Te voilà nu sous l'oil effrayant de
Celui
Qui voit tant de milliers de. mondes et d'étoiles
Naître, vivre et mourir dans l'infini sans voiles,
Et devant qui les grains de poudre sont pareils
A ces gouttes de nuit que tu nommes soleils.
Tout est dit.
Ne va plus boire la poésie
Dans l'eau vive !
Les dieux enivrés d'ambroisie
S'en vont et meurent, mais tu vas agoniser.
Ce doux enivrement des êtres, ce baiser



Des choses, qui toujours voltigeait sur tes lèvres,
Ce grand courant de joie et d'amour, tu t'en sèvres !
Ils ne fleuriront plus tes pensers, enchantés
Par l'éblouissement des blanches nudités.
Donc subis la laideur et la douleur.
Expie.
Nous, cependant, chassés par ta fureur impie,
Nous fuyons, nous tombons dans l'abîme béant,
Et nous sommes la proie horrible du néant.
Hellas, adieu ! forêts, vallons, monts grandioses,
Rocs de marbre, ruisseaux d'eau vive, lauriers-roses !
Mais, homme, quand la
Nuit reprend nos cheveux d'or
Et nos fronts lumineux, tu sentiras encor
Nos soupirs s'envoler vers ta demeure vide,
Et sur tes mains couler nos pleurs, ô parricide ! »

C'est ainsi que parla dans son divin courroux
La grande
Aphrodite.
Sur les feuillages roux,
Tout sanglant et vainqueur de l'ombre qui recule,
Le
Jour dans un sinistre et sombre crépuscule
S'était levé.
Baissant leurs regards éblouis,
Les grands dieux en pleurs dans la brume évanouis,
Formes sous le soleil de feu diminuées,
S'effaçaient tristement dans les vagues nuées
Où leurs fronts désolés apparaissaient encor.
Aphrodite, la reine adorable au front d'or,
Avec son sein de rose et ses blancheurs d'étoile
Sembla s'évanouir comme eux sous le long voile
De la brume indécise, en laissant dans ces lieux
Qu'avaient illuminés de leurs feux radieux
Son sein de lys sans tache et sa toison hardie,
Un reflet pâlissant de neige et d'incendie.



Août 1865

Contact - Membres - Conditions d'utilisation

© WikiPoemes - Droits de reproduction et de diffusion réservés.

Théodore de Banville
(1823 - 1891)
 
  Théodore de Banville - Portrait  
 
Portrait de Théodore de Banville

Biographie / Ouvres

Théodore de Banville, poète français, né le 14 mars 1823 à Moulins, dans l'Allier, mort le 13 mars 1891, à Paris, à son domicile rue de l'Éperon. Il fut un poète français, et un des chefs de file de l'école parnassienne. Banville professait un amour exclusif de la beauté et s'opposait à la fois à la poésie réaliste et aux épanchements romantiques, face auxquels il affirmait sa foi en la pureté for

mobile-img