Théodore de Banville |
Baudelaire et Mallarmé ont-ils eu ton d'admirer Théodore de Banville et de voir en lui un des maîtres du lyrisme ? On pourrait le penser, à lire les critiques qui ne cessent de le disqualifier. Une injuste réputation entoure en effet son ouvre. Banville souffre encore de sa légende et mérite qu'on mesure mieux son génie. On le présente le plus souvent comme un funambule qui s'amuse à des acrobaties verbales, comme un jongleur qui écrit de brillantes fantaisies et s'attache surtout à la virtuosité formelle. Faute de lire avec attention son Petit Traité de poésie française, on réduit ce livre à une apologie outrancière de la rime et des poèmes à forme fixe, alors qu'il contient de pénétrantes réflexions sur la création poétique. Certains voient en lui un romantique attardé, d'autres un des précurseurs du Parnasse. On oublie de considérer son ouvre dans son originalité et de l'apprécier à sa juste valeur. Dans la forêt de poésie chaque poète représente pourtant une essence singulière à nulle autre pareille. Banville a dix-neuf ans lorsqu'il publie son premier livre de poèmes. Les Cariatides, en 1842. Il a beaucoup lu et ces poèmes de jeunesse se ressentent encore des influences subies ; Banville aime la force lyrique et l'ampleur du vers de Victor Hugo, il apprécie le charme élégant et nonchalant de Musset, il admire avec ferveur Théophile Gautier, son art de peindre et sa maîtrise de la langue. Connaissant bien la poésie de la Renaissance, il écrit des rondeaux ou des dixains à la manière de Marot. Dans « La Voix Lactée », il évoque les génies de la poésie universelle : Homère, Ronsard, Shakespeare, Molière, La Fontaine, Hugo ; et il affirme la mission de la poésie : tracer à travers les siècles « un chemin de triomphe et de joie ». Cette présence des maîtres n'empêche pas Banville de manifester d'emblée son originalité : Les Carialides contiennent en germe l'ouvre à venir. On y trouve déjà l'admiration pour la beauté grecque ; mais Banville ne sculpte pas statues et bas-reliefs dans un marbre froid et figé ; il n'a pas le culte de l'harmonie et de l'équilibre statiques, comme un peu plus tard l'auront les Parnassiens. Il ressemble davantage aux poètes de la Pléiade ou à Chénier, en traitant la mythologie avec le sens de la vie et du mouvement. On note également la veine fantaisiste de certains poèmes ; Banville écrit des « Caprices » et des chansons où il mêle avec bonheur bergers et déesses, fées et saltimbanques, héros et comédiens. Il se montre déjà un artiste soucieux d'écrire de beaux vers, fermes et splendides. Quatre ans plus tard, Les Stalactites (1846) confirment son talent. L'ouverture de la préface mériterait qu'on la remarquât davantage. Trop longtemps, on a vu en Banville un amuseur qui cherche à réaliser des prouesses techniques et en sa poésie un jeu gratuit dépourvu de signification. Or, il assigne à la poésie une haute mission : « un immense appétit de bonheur et d'espérance est au fond des âmes. Reconquérir la joie perdue, remonter d'un pas intrépide l'escalier d'azur qui mène aux cieux, telle est l'inspiration incessante de l'homme moderne, qui ne se sent plus ni condamné ni esclave, et qui de jour en jour comprend davantage la nécessité de croire à sa propre vertu et à l'incommensurable amour de Dieu pour les créatures. » Baudelaire l'avait parfaitement compris, qui écrivait dans Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains : « La poésie de Banville représente les belles heures de la vie, c'est-à-dire les heures où l'on se sent heureux de penser et de vivre ». L'influence grecque s'estompe ; Banville élargit son inspiration. Des chansons et des odes qui rappellent Anacréon, Horace et Ronsard, avec grâce et légèreté, célèbrent l'amour et la danse, chantent le vin et la vigne, les promenades à pied ou en barque. Le bonheur de vivre et d'aimer s'y manifeste, à peine teinté d'une suave mélancolie. Banville aime la nature et en trace de frais et délicieux tableaux, comme dans l'ode à la source de Font-Georges : O buissons d'églantines, Jetant dans les ravines, Comme un chêne le gland, Leur fruit sanglant ! Murmurante oseraie, où le ramier s'effraie, Saule au feuillage bleu, Lointains en feu. Il s'essaie aussi à la transposition d'art : « La Fontaine de Jouvence » s'inspire du célèbre tableau d'Haussoulier, dont Baudelaire a vanté les mérites dans son Salon de 1845. Il réalise enfin de plus ambitieuses compositions ; « La Symphonie de la Neige », en mêlant dans une subtile synesthésie les diverses sensations, peint le merveilleux tourbillon de blancheur qui métamorphose la terre. « Le Triomphe de Bacchos » évoque, avec un sens très sûr des formes et de la couleur, la splendeur sauvage du cortège qui accompagne le dieu. Banville veut accorder son chant aux grands rythmes de l'univers et rivaliser avec Prométhée ; Rimbaud se souviendra de ces vers : Impassible titan, chercheur de la lumière, J'irai voler le feu. Les Odelettes (1856) rassemblent des poèmes dédiés aux amis sur un mode familier. Banville définit l'odelette comme « une goutte d'essence de rose scellée sous une étroite agate dans le chaton d'une bague, cadeau d'anniversaire, rappel quotidien d'une joie fugitive ». Le poème consacré à Théophile Gautier esquisse un art poétique où s'affirme la double nécessité de l'inspiration et du travail : Quand sa chasse est finie, Le poète oiseleur Manie L'outil du ciseleur. Et Gautier répondra par ses vers célèbres : Oui, l'ouvre sort plus belle D'une forme au travail Rebelle Dans Le Sang de la coupe (1857), écrit en même temps que Les Stalactites, Banville souhaite atteindre « une forme moderne du poème proprement dit ». Il entend appartenir pleinement à l'époque présente, tout en conservant mémoire et souvenir des traditions passées et en songeant à l'avenir. Ainsi use-t-il des mythes grecs, mais en y mêlant intimement de nombreuses références au monde moderne. « Malédiction de Cypris » montre ainsi Vénus qui sur son char doré descend sur Paris, observe que, malgré tous les dons qu'elle a faits à la ville, l'amour a disparu, laissant la place au règne de l'or, et maudit la capitale ingrate. Banville consacre un long poème au jugement de Paris ; il évoque l'Amazone, le devin Calchas, la déesse Artémis partant pour la chasse. Mais il chante aussi Paris, reine de la Mode, ou célèbre la gloire de Molière. Dans des poèmes plus intimes, il en appelle à la postérité, il se souvient de la source de Font-Georges et de la forêt de Fontainebleau, il élève un tombeau à une jeune morte. Une haute conception de l'art ne cesse de l'animer ; le poète a une mission sacrée : (...) Il tourne son flambeau Vers la Beauté, sa foi, qu'on a mise au tombeau, Et se penchant sur elle avec mélancolie, Il relève en pleurant celte image avilie. La même année 1857 paraissent les Odes funambulesques. Avec fantaisie, sur le mode lyrique ou sur le mode bouffon, Banville se propose d'introduire en poésie l'art de la caricature. Il n'accorde qu'une importance mineure à ce « fragile essai de pamphlet en rythme ». Le poète s'amuse à dessiner de prestes croquis railleurs : écrivains, éditeurs, journalistes, critiques qui n'ont pas souci de l'art et de la beauté se voient stigmatisés : Amis, quelle déconfiture ! Tout s'en va, marchands d'orviétan Et marchands de littérature ; Mais où sont les neiges d'anian. Banville manie le fouet d'Aristophane pour fustiger la décadence du théâtre et de l'opéra, pour se moquer du bourgeois obtus, pour dénoncer les travers du temps. Avec malice et espièglerie, le poète trace un tableau de mours contemporaines. Mais de délicats pastels dessinent la figure d'une voyageuse ou d'une grisette. Et le poète évoque avec émotion artistes et écrivains amis comme Courbet ou Nadar. Les vers courts permettent de jongler avec les rimes et d'obtenir de plaisants effets : Laissons à l'Angleterre Ses brouillards et sa bière ! Laissons-la dans le gin Boire le spleen. La poésie n'exclut en effet ni le calembour ni le jeu de mots et possède un aspect ludique : Non, H ornais ne mourra jamais. Il prend peu de mitaines ; mais On dit qu'il a pour ami Taine. Non, H ornais ne mourra jamais ! Il revient en Croquemitaine. « Clown admirable » qui à force de s'entraîner parvient à sauter de plus en plus haut jusqu'à s'envoler dans les étoiles, le poète, sous le masque du saltimbanque, cherche à atteindre le domaine supérieur de la Beauté. Loin au-dessus de la foule, il tend, comme Mallarmé, vers l'Azur. Le jeu n'a rien de factice ni de gratuit : à travers lui, le poète vise au sublime : Et le cour dévoré d'amour Alla rouler dans les étoiles. Améthystes (1862), dédié à Marie Daubrun, chante l'amour et la beauté de la femme avec des accents passionnés. La nature printanière s'associe à la joie des amants. Le poète, avec délice, s'abandonne à cette ivresse, où il puise un renouveau d'inspiration. Il désire que ses vers immortalisent celle qu'il aime. En 1867, Banville publie son chef-d'ouvre, Les Exilés. Quelques années plus tard, il écrira : « Ce livre est celui peut-être où j'ai pu mettre le plus de moi-même, et s'il devait rester un livre de moi, je voudrais que ce fût celui-ci. » En effet, Banville y manifeste une haute conception de la poésie. Il s'inspire essentiellement de la mythologie grecque et use de la fable pour illustrer certaines vérités qui lui tiennent à cour. Mais jamais il n'explicite clairement le mythe, il se contente d'en narrer le déroulement et laisse au lecteur le soin de deviner le sens profond. Un certain pessimisme semble d^abord se dégager. Banville peint les efforts impuissants d^Hercule. Le héros aimerait éviter de tuer le sanglier d'Erymanthe ; il voudrait amener cet animal à la pleine lumière du soleil et le sortir de l'ombre et de la boue, ce qui pourrait l'apaiser et le calmer. Mais le sanglier retourne toujours à sa fange. Hercule, dans un autre poème, pénètre dans l'antre obscur et sinistre, où gît un dieu « éternel condamné » ; assis sur des ossements humains, ce dieu pleure des larmes de sang. Hercule l'exhorte à regagner la clarté du jour, mais le dieu refuse cette invitation : il est l'Amour, à jamais vaincu, et il persiste à demeurer dans sa solitude tragique. Hercule ne parvient donc ni à sauver le monde de l'attrait de la fange ni à ramener l'Amour parmi les hommes. Un autre poème peint la mort d'Eros, percé par les flèches des vierges chasseresses ; par un baiser, Psyché son épouse lui redonne vie mais elle meurt dans le même instant. Insensible à cette perte et avec une superbe ingratitude, Eros chante la vie universelle. Toute une série de sonnets compose une galerie des princesses légendaires et Banville y évoque les divers aspects de la femme : l'amoureuse qui a réussi à conquérir l'homme (OmphalE), l'inconstante chez qui les rires de joie succèdent aux pleurs (ArianE), la magicienne qui concocte de subtils poisons (MédéE), l'héroïne courageuse qui continue à combattre (AntiopE), l'amoureuse qui désire être conquise (HélènE), la malheureuse à l'agonie qui voit soudain surgir le sauveur (AndromèdE), celle qui aime le luxe (la reine de SabA), celle dont la beauté apporte la mon (CléopâtrE), celle qui demeure insensible (HérodiadE). Le sonnet sur Pasiphaé a une valeur allégorique : la fureur amoureuse de cette femme pour le taureau représente le désir de l'âme qui recherche « dans les déserts du sauvage Idéal » un monstre effrayant et séduisant et refuse la beauté pacifique et harmonieuse. Mais tous les poèmes ne laissent pas une impression de pessimisme. Ainsi assiste-t-on à la métamorphose intérieure d'Omphale. Elle a acheté Hercule et le traite comme un esclave ; elle lui reproche violemment ses exploits qui ont entraîné des morts. Hercule se justifie : il a combattu pour délivrer l'univers des monstres qui l'opprimaient. Il a voulu protéger la vie et a lutté contre tous les imposteurs et contre tous ceux qui infligent injustement la souffrance. Omphale se rend à ses raisons, le comprend, l'admire et sent naître l'amour. Hercule accède alors à sa demande : il consent à filer sur le rouet d'Omphale pour que ce rouet soit immortalisé. L'amour a le pouvoir de transformer les êtres. Il possède aussi une puissance créatrice : Eros contemple Cypris endormie et il admire son éblouissante beauté. De son désir naît une fleur inoubliable, pareille à la bouche de la déesse, « fleur-femme >> qui procure le même ravissement que la musique : la rose. Enfin, deux poèmes se font écho et laissent naître l'espoir. Dans « L'Exil des dieux », on voit tous les dieux de l'Olympe partir dans le silence et la résignation ; ils ont été chassés par les empereurs. I-a nature devient alors muette : arbres, sources, vallons, restent silencieux. Joie, amour, beauté, poésie disparaissent avec l'exil des divinités ; à l'homme ne restent plus que la laideur et la douleur. Mais, comme le panneau opposé d'un dyptique, « Le Festin des dieux » nous montre le nouvel Olympe où les dieux festoient au milieu des fleurs en écoutant chanter leurs généalogies. Aphrodite rappelle que les hommes ont chassé avec cruauté les dieux ; heureusement, les poètes ont eu pitié des dieux exilés ; par leurs efforts, ils ont retrouvé la vie et la nature resplendit dans la joie et le bonheur de revoir la présence des dieux. Le monde possède un caractère sacré, que manifeste cette présence. Et le poète a pour mission de rendre sensible aux autres hommes ce sacré infus dans l'univers. Banville évoque, dans « L'Ile », un poète exilé : il marche majestueusement le long de la mer et, rêveur lit dans les étoiles ; il déchiffre les secrets de la nature et écoute les mille voix du cosmos ; isolé dans son île, il n'éprouve aucune haine et chante avec douceur : ainsi se trouve tracé le portrait allusif de Victor Hugo, image parfaite du poète. La condition de ce dernier n'a pourtant rien de facile : Banville peint un cygne que méprisent les corbeaux qui lui reprochent sa blancheur et le traitent de comédien de foire ; le cygne meurt, déchiré par le bec d'un vautour, mais les Anges le considèrent comme leur frère. Le symbole est transparent : la foule rejette le poète et lui fait grief de sa différence ; demeurant dans la laideur, elle n'admet pas qu'il voue un culte à la beauté. Certains poèmes, plus personnels, expriment directement les sentiments de Banville. Il avoue avoir subi la séduction du néant et l'attrait du vide. La mer le fait tressaillir d'effroi ; devant le spectacle de cette immensité indéfinie, il sent faiblir son courage, naître l'ennui et s'abolir toute espérance. L'abîme l'attire et il a peur de s'y noyer. Il conserve néanmoins confiance dans la vie et a gardé sa fidélité à la poésie. Banville s'élève contre l'orgueil de la science qui proclame l'absence de l'Etre ; il chante le berger de l'univers, Dieu qui par la musique mène « ses grands troupeaux d'étoiles ». I^e poète possède une fonction essentielle ; il ne doit désirer ni l'amour humain et le réconfort d'un foyer, ni la richesse, ni le pouvoir, ni le repos. Il lui faut mettre toute son ambition à regarder l'univers et à écouter la Musique qui sourd des bois, de la mer et des étoiles. Dans « Erinna », véritable art poétique, une jeune femme célèbre le Rythme et voit en lui le principe fondamental de l'univers. Le Rythme est tout ; c'est lui qui soulève les mondes Et les porte en chantant dans la plaine éthérée. Le rythme a une fonction cosmique ; il tient le monde en équilibre et suscite la musique des sphères. Loin d'entraver l'essor et de brider la spontanéité, il possède un pouvoir libérateur. Il impose à l'extase une forme sensible. En accordant au rythme une importance majeure, le poète se conforme à l'harmonie universelle. Il organise un microcosme verbal dont les rythmes reflètent les grands rythmes cosmiques. Banville use de mètres variés et de types de strophes différents. Les vastes poèmes se composent de suites d'alexandrins, comme « Les loups », « L'exil des dieux ». On rencontre également des octains de décasyllabes, ainsi dans les poèmes inspirés par les légendes médiévales (« La Belle Aude »). Ailleurs, Banville utilise des sixains d'octosyllabes, comme dans « les torts du cygne », ou des sixains d'heptasyl-labes comme dans « L'énamourée », ou encore la terza rima dans « La fleur de sang ». Il possède l'art d'écrire de beaux vers, qui ouvrent d'immenses horizons par la profondeur de la pensée, la richesse de l'image ou la qualité de l'émotion, et qui ont une beauté musicale rare. On pourrait composer un important florilège à partir des Exilés ; suavité et douceur : Pâle et muet, j'entends le murmure des roses. (Au Laurier de La TurbiE) L'ineffable douceur des grands cheveux de femme. (L'AntrE) ou, au contraire, violence et déchaînement : Les chênes monstrueux supportent avec rage Les grands nuages noirs d'où va tomber l'orage. (L'Exil des dieuX) Dans l'orgue des grands bois éperdus sous le vent. (Au Laurier de La TurbiE) Avec Les Exilés, Banville a bien écrit son plus beau livre. Une haute conception de l'Art l'anime : le poète a pour mission de scruter l'énigme de l'univers, d'en surprendre les secrets et de transmettre aux hommes les résultats de sa méditation. Le souci de la forme belle provient d'une réflexion sur l'essence de la poésie : elle impose au langage un rythme qui l'accorde au rythme même du cosmos. Révélant le sacré de l'univers, le poète donne au langage une nécessité et un caractère d'absolu. Mais la course poétique de Banville se poursuit. Occidentales (1869) s'inscrit dans le sillage des Odes funambulesques et unit de nouveau le lyrique et le bouffon. Avec esprit et verve, Banville trace un tableau railleur de la vie politique et littéraire. Ne retenons que deux titres qui suffisent à montrer la tonalité du livre : « Le Thiers-parti » et « Leroy s'amuse ». Rien n'échappe au fouet du satirique : ni le théâtre de Sardou, ni les travaux d'embellissement de Paris. Il se moque aussi bien de Thiers que de Monseigneur Dupanloup. Il pastiche « Tristesse d'Olympio » à propos du bal des Tuileries. Il fustige l'invention de la mitrailleuse et l'abus de la cigarette. Grâce à lui, la veine satirique retrouve vie. Idylles prussiennes (1871) naissent de la guerre. Banville remet à l'honneur la poésie de circonstance, qui puise son inspiration dans la réalité immédiate mais lui confère une valeur générale. Rien de cocardier dans ces poèmes ; Banville dénonce les exactions de l'ennemi et la violence orgueilleuse de Bismarck. Mais il témoigne de sa compassion envers les victimes des deux camps : il pleure sur un jeune prussien mort à cause de la folie de ses maîtres et sur les villes françaises martyrisées. Au cour de la tragédie, il garde confiance dans l'avenir de son pays. Trente-six ballades joyeuses (1873) réhabilite et renouvelle ce genre de la ballade, « facile à lire et difficile à faire ». Banville y chante le vin et les femmes, les mysières de la forêt, les trilles du rossignol. Il consacre deux ballades à sa mère et à sa femme. Avec ferveur, il célèbre la Vierge Marie. Le poème adressé à Victor Hugo rend un juste hommage au « père de tous les rimeurs » et se trouve ponctué par ce vers-refrain qui évoque l'exilé : Mais le père est là-bas, dans l'île. Rimes dorées, qui paraît en 1875, date d'avant la guerre ; et ces poèmes se trouvent ainsi « embellis souvent par une allégresse triomphale ». Banville y célèbre certains de ses maîtres, ainsi chante-t-il Ronsard. Il évoque le quartier Latin où se poursuit sans cesse l'aventure de la poésie. Il dresse des stèles à ses amis Glatigny et I^emerre, ou à des figures populaires comme le musicien, la blanchisseuse, le pompier. Rondek (1875), qui ressuscite une forme ancienne, a plus de charme. Banville y chante les saisons et les heures avec beaucoup de grâce : Les feuilles sont comme un satin Des larmes de la nuit couvert. Lorsque s'éveille le Matin Au Luxembourg encor désert. Le poète y trace de brefs tableaux d'une fraîcheur exquise. La rigueur de la forme, qui exige la concentration, permet d'atteindre une heureuse musicalité, comme dans ce nocturne : Avec ses caprices, la Lune Est comme une frivole amante ; Elle sourit et se lamente. Et vous fuit et vous importune. Les derniers livres - Nous tous, Sonnailles et clochettes. Dans la fournaise - contiennent encore de beaux vers, comme tel poème sur les fontaines lumineuses. Amoureux de Paris, Banville grave des eaux fortes pittoresques inspirées par des scènes de la vie quotidienne. Panant de refrains populaires, il compose des poèmes et des chansons de nature essentiellement musicale, comme « La Lune » ou « Variations » sur le motif" au clair de la lune ». Jusqu'au terme de sa vie, il mérita cet éloge que lui décernait Mallarmé : « aux heures où l'âme rythmique veut des vers et aspire à l'antique délice du chant, mon poète, c'est le divin Théodore de Banville, qui n'est pas un homme, mais la voix même de la lyre. » Le Petit Traité de Poésie Française (1872) confirme la vérité de ce propos. Il mérite qu'on le lise avec attention, en oubliant tous les jugements sévères que la critique a pu porter sur lui. Banville n'a pas seulement écrit un traité technique de métrique et de prosodie, où l'on apprend les conventions qui régissent l'élision, la rime et l'hiatus, où se trouvent définis avec précision les divers types de strophes et de poèmes à forme fixe. Il a confié dans ce livre ses méditations sur la poésie et a tenté d'en définir la nature et la visée. La poésie, dans son essence, s'identifie au chant et Banville voit dans le vers « la parole humaine rythmée de façon à pouvoir être chantée ». Tout dans l'univers s'organise selon des rythmes, tout se dispose avec ordre et mesure. La parole, qui épouse l'ordre des sentiments ou des idées possède nécessairement un rythme, mais celui-ci varie de manière complexe et très souple. Dans le chant, au contraire, la parole se trouve réglée par le rythme précis de la musique. Originellement, parole et musique s'unissaient intimement dans le chant poétique. Certes, on ne chante plus les vers depuis longtemps, mais ils conservent en eux cette musique intérieure. Pourtant, toute parole rythmée et mesurée ne devient pas pour autant poétique : le poème exige une expression parfaite et définitive, qu'on ne puisse en rien modifier. Il doit posséder un caractère immuable, sa forme doit avoir une nécessité absolue. La poésie se situe au sommet de la hiérarchie des arts ; à la fois musique et sculpture, éloquence et peinture, elle les comprend tous. « Elle doit charmer l'oreille, enchanter l'esprit, représenter les sons, imiter les couleurs, rendre les objets visibles et exciter en nous les mouvements qu'il lui plaît d'y produire. » Elle a pour but de faire naître des impressions et de susciter des images chez le lecteur. Le poème ne cherche pas à décrire avec un luxe de détails ; un seul mot suffit à rendre la présence d'une réalité. Le poète, qui se contenterait de décrire toutes les feuilles d'un arbre n'en ressusciterait pas la présence. Il faut parvenir à faire voir l'arbre. Comme on n'entend vraiment que les mots qui se trouvent placés à la rime, c'est là que doit apparaître « ce mot sorcier, ce mot fée » qui suscite la représentation. Banville justifie ainsi la nécessité de la rime. Il conseille de fuir avec soin l'étude des modèles. La lecture attentive d'un seul maître suffit, mais il ne faut pas l'imiter. Banville recommande d'oser être soi-même. La création poétique n'a rien d'un jeu gratuit. Elle exprime directement l'être intérieur. La qualité de l'homme détermine la qualité du poème. Banville affirme enfin la nécessité vitale de la poésie : l'homme en a autant besoin que de l'air et du pain. Faute de poésie, il mourrait. Car la poésie a sa source dans la transcendance. Dans le poème, l'homme exprime « ce qu'il y a en lui de divin et de surnaturel ». La beauté a une origine divine. |
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Théodore de Banville (1823 - 1891) |
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Portrait de Théodore de Banville | |||||||||
Biographie / OuvresThéodore de Banville, poète français, né le 14 mars 1823 à Moulins, dans l'Allier, mort le 13 mars 1891, à Paris, à son domicile rue de l'Éperon. Il fut un poète français, et un des chefs de file de l'école parnassienne. Banville professait un amour exclusif de la beauté et s'opposait à la fois à la poésie réaliste et aux épanchements romantiques, face auxquels il affirmait sa foi en la pureté for |
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