Théodore de Banville |
Roncevaux ! Roncevaux ! que te faut-il encor ? Il s'est éteint l'appel désespéré du cor. Hauts sont les puits et longs et ténébreux, mais Charle De ses hautbois sonnants au loin menace et parle, Et, couchés à jamais pour l'éternel repos, Les païens gisent morts par milliers, par troupeaux, Sur le sable, à côté des Français intrépides. Ah ! les vaux sont profonds, et les gaves rapides, Et la rafale fait tournoyer sur les monts Ces âmes de corbeaux qu'emportent les démons. Tandis que l'Empereur à la barbe fleurie Accourt, hélas ! trop tard vers l'affreuse tuerie, O douleur ! dans le fond des défilés étroits, Au pied des rocs de marbre, ils ne sont plus que trois : L'archevêque Turpin, qui, la mort sur la joue, Navre encor les païens, qu'on l'en blâme ou l'en loue, Et le brave Gautier de Luz, et puis Roland. Olivier est tombé, qui, déjà chancelant, Et l'oil au paradis qui devant lui flamboie, Hautedaire à la main, criait encor : Montjoie ! Il dort, le fier marquis, auprès de Veillantif. Cependant, à venger notre France attentif, Sous son armure d'or, pâle, souillé de fange, Roland, sanglant, blessé, poudreux, fier comme un ange, Combat en vaillant preux qui sait bien son métier. Turpin de son épieu fait merveille ; Gautier Est plus rouge partout qu'une grenade mûre ; Le sang de tous côtés tombe de son armure, Et Roland porte ouverte une blessure au flanc. Durandal avait tant travaillé que le sang Ruisselait sur sa lame, et l'enveloppait toute D'un humide fourreau vermeil, et goutte à goutte Pleuvait en même temps de tous les points du fer. On eût dit que Roland, revenu de l'Enfer, Tînt un glaive de feu levé sur les infâmes, D'où sa main secouait de la braise et des flammes. Tout ce sang tombait dru sur lui, sur son coursier ; Débordant, émoussait le tranchant de l'acier, Et, lorsque le héros s'élançait comme en rêve, Bouillonnait en flot clair à la pointe du glaive. Son odeur enivrante attirait les vautours. « Ah ! s'écriait le bon Roland, frappant toujours Devant lui, si, ma main étant moins occupée, Je pouvais seulement essuyer mon épée ! » Il dit, et sur le front du Sarrasin maudit Frappe ; alors monseigneur saint Michel descendit Du ciel, et vers Roland, occupé de combattre, Accourut, enjambant dans l'éther quatre à quatre Les clairs escaliers bleus du Paradis. Il vint Au comte qui luttait, souriant, contre vingt Mécréants, et son fer n'était qu'une souillure. Mais l'Archange éclatant, dont l'ample chevelure De rayons d'or frissonne autour de son front pur, Essuya Durandal à sa robe d'azur. Ensuite il regagna les deux. Dans la mêlée Roland continuait sa course échevelée. Comme le bûcheron s'abat sur la forêt, Sa grande épée, heureuse et rajeunie, ouvrait Les fronts casqués ; à chaque estocade nouvelle, On en voyait jaillir le sang et la cervelle ; Et les noirs bataillons qu'il touchait en marchant Disparaissaient, ainsi que les épis d'un champ Se renversent, courbés sous le vent qui les bouge. Une minute après, Durandal était rouge. Février 1863 |
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Théodore de Banville (1823 - 1891) |
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Portrait de Théodore de Banville | |||||||||
Biographie / OuvresThéodore de Banville, poète français, né le 14 mars 1823 à Moulins, dans l'Allier, mort le 13 mars 1891, à Paris, à son domicile rue de l'Éperon. Il fut un poète français, et un des chefs de file de l'école parnassienne. Banville professait un amour exclusif de la beauté et s'opposait à la fois à la poésie réaliste et aux épanchements romantiques, face auxquels il affirmait sa foi en la pureté for |
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