Tristan Corbière |
C'est très parisien dans les rues Quand l'Aurore fait le trottoir, De voir sortir toutes les Grues Du violon, ou de leur boudoir... Chanson pitoyable et gaillarde : Chiffons fanés papillotants, Fausse note rauque et criarde Et petits traits crus, turlutants : Velours ratissant la chaussée; Grande-duchesse mal chaussée, Cocotte qui court becqueter Et qui dit bonjour pour chanter... J'aime les voir, tout plein légères, Et, comme en façon de prières, Entrer dire - Bonjour, gros chien - Au merlan, puis au pharmacien. J'aime les voir, chauves, déteintes, Vierges de seize à soixante ans, Rossignoler pas mal d'absinthes, Perruches de tout leur printemps ; Et puis payer le mannezingue, Au Polyte qui sert d'Arthur, Bon jeune homme né brandezingue, Dos-bleu sous la blouse d'azur. - C'est au boulevard excentrique, Au - DON RETOUR DU CHAMP DU NORD - Là : toujours vert le jus de trique, Rose le nez des Croque-mort... Moitié panaches, moitié cire, Nez croqués vifs au demeurant, Et gais comme un enterrement... - Toujours le petit mort pour rire! - Le voyou siffle - vilain merle - Et le poète de charnier Dans ce fumier cherche la perle, Avec le peintre chiffonnier. Tous les deux fouillant la pâture De leur art... à coups de groins; Sûrs toujours de trouver l'ordure. - C'est le fonds qui manque le moins. C'est toujours un fond chaud qui fume, Et, par le soleil, lardé d'or... Le rapin nomme ça : bitume; Et le marchand de lyre : accord. - Ajoutez une pipe en terre Dont la spirale fait les cieux... Allez : je plains votre misère, Vous qui trouvez qu'on trouve mieux I C'est le Persil des gueux sans poses, Et des riches sans un radis... - Mais ce n'est pas pour vous, ces choses, O provinciaux de Paris!... Ni pour vous, essayeurs de sauces, Pour qui l'azur est un ragoût! Grands empâteurs d'emplâtres fausses, Ne fesant rien, fesant partout! - Rembranesque! Raphaélique! - Manet et Courbet au milieu - ...Ils donnent des noms de fabrique À la pochade du bon Dieu! Ces Galimard cherchant la ligne, Et ces Ducornet-né-sans-bras, Dont la blague, de chic, vous signe N'importe quoi... qu'on ne peint pas Dieu garde encor l'homme qui glane Sur le soleil du promenoir, De flairer jamais la soutane De la vieille dame au bas. noir! ...On dégèle, animal nocturne, Et l'on se détache en vigueur; On veut, aveugle taciturne, A soi tout seul être blagueur. Savates et chapeau grotesque Deviennent de l'antique pur; On se colle comme une fresque Enrayonnée au pied d'un mur. Il coule une divine flamme, Sous la peau; l'on se sent avoir Je ne sais quoi qui fleure l'âme... Je ne sais - mais ne veux savoir. La Muse malade s'étire... Il semble que l'huissier sursoit... Soi-même on cherche à se sourire, Soi-même on a pitié de soi. Volez, mouches et demoiselles!... Le gouapeur aussi vole un peu D'idéal... Tout n'a pas des ailes... Et chacun vole comme il peut. - Un grand pendard, cocasse, triste Jouissait de tout ça, comme moi, Point ne lui demandais pourquoi... Du reste - une gueule d'artiste - Il reluquait surtout la tête Et moi je reluquais le pie. - Jaloux... pourquoi? c'eut été bête, Ayant chacun notre moitié. - Ma béatitude nagée Jamais, jamais n'avait bravé Sa silhouette ravagée Plantée au milieu du pavé... - Mais il fut un Dieu pour ce drille : Au soleil loupant comme ça, Dessinant des yeux une fille... - Un omnibus vert l'écrasa. |
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Tristan Corbière (1845 - 1875) |
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Portrait de Tristan Corbière | |||||||||
Biographie / Ouvres1845. |
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