Tristan Corbière |
Bénite est l'infertile plage Où, comme la mer, tout est nud. Sainte est la chapelle sauvage De Sainte-Anne-de-la-Palud... De la Bonne Femme Sainte Anne Grand'tante du petit Jésus, En bois pourri dans sa soutane Riche... plus riche que Crésus! Contre elle la petite Vierge, Fuseau frêle, attend Y Angélus; Au coin, Joseph tenant son cierge, Niche, en saint qu'on ne fête plus... C'est le Pardon. - Liesse et mystères - Déjà l'herbe rase a des poux... - Sainte Anne, Onguent des beUes-mères l Consolation des époux!... Des paroisses environnantes : De Plougastel et Loc-Tudy, Ils viennent tous planter leurs tentes, Trois nuits, trois jours - jusqu'au lundi. Trois jours, trois nuits, la palud grogne, Selon l'antique rituel, - Chour séraphique et chant d'ivrogne - Le CANTIQUE SPIRITUEL. Mère taillée à coups de hache, Tout cour de chêne dur et bon; Sous l'or de ta robe se cache L'âme en pièce d'un franc-Bretonl - Vieille verte à face usée Comme la pierre du torrent, Par des larmes d'amour creusée, Séchée avec des pleurs de sang... - Toi dont la mamelle tarie S'est refait, pour avoir porté La Virginité de Marie, Une mâle virginité! - Servante-maîtresse altiêre. Très-haute devant le Très-Haut; Au pauvre monde, pas fière, Dame pleine de comme-il-faut 1 * - Bâton des aveugles ! Béquille Des vieilles! Bras des nouveau-nés! Mère de madame ta fille! Parente des abandonnés! - Ô Fleur de la pucelle neuve ! Fruit de F épouse au sein grossi ! Reposoir de la femme veuve... Et du veuf Dame-de-merci ! # - Arche de Joackim ! Aïeule ! Médaille de cuivre effacé! Gui sacré ! Trèfle-quatre-feuille ! Mont dHoreb! Souche de Jessé! - O toi qui recouvrais la cendre, Qui filais comme on fait chez nous, Quand le soir venait à descendre, Tenant J'Enfant sur tes genoux; Toi qui fus là, seule, pour faire Son maillot neuf à Bethléem, Et là, pour coudre son suaire Douloureux, à Jérusalem!... Des croix profondes sont tes rides, Tes cheveux sont blancs comme fils. - Préserve des regards arides Le berceau de nos petits-fils ! * Fais venir et conserve en joie Ceux à naître et ceux qui sont nés. Et verse, sans que Dieu te voie, L'eau de tes yeux sur les damnés! Reprends dans leur chemise blanche Les petits qui sont en langueur... Rappelle à l éternel Dimanche Les vieux qui traînent en longueur. - Dragon-gardien de la Vierge, Garde la crèche sous ton oil. Que, près de toi, Joseph-concierge Garde la propreté du seuil! * Prends pitié de la fille-mère, Du petit au bord du chemin... Si quelqu'un leur jette la pierre, Que la pierre se change en pain ! * - Dame bonne en mer et sur terre, Montre-nous le ciel et le port, Dans la tempête ou dans la guerre... ô Fanal de la bonne mortl Humble: à tes pieds n'as point d'étoile, Humble... et brave pour protéger! Dans la nue apparaît ton voile, Pâle auréole du danger. *- Aux perdus dont la vie est grise, (- Sauf respect - perdus de boisson) Montre le clocher de l'église Et le chemin de la maison. * Prête ta douce et chaste flamme Aux chrétiens qui sont ici... Ton remède de bonne femme Pour les bêtes-à-corne aussi! * Montre à nos femmes et servantes L'ouvrage et la fécondité... - Le bonjour aux âmes parentes Qui sont bien dans l'éternité! . Nous mettrons un cordon de cire, De cire-vierge jaune, autour De ta chapelle; et ferons dire Ta messe basse au point du jour. - Préserve notre cheminée Des sorts et du monde-malin... À Pâques te sera donnée Une quenouille avec du lin. Si nos corps sont puants sur terre, Ta grâce est un bain de santé; Répands sur nous, au cimetière, Ta bonne odeur-de-sainteté. - À l'an prochain ! - Voici ton cierge : (C'est deux livres qu'il a coûté) ... Respects à Madame la Vierge, Sans oublier la Trinité. ... Et les Gdèles, en chemise, - Sainte Anne, ayez pitié de nous! - Font trois fois le tour de l'église En se traînant sur leurs genoux; Et boivent l'eau miraculeuse Où les Job teigneux ont lavé Leur nudité contagieuse... - Allez : la Foi vous a sauvél - C'est là que tiennent leurs cénacles Les pauvres, frères de Jésus. - Ce n'est pas la cour des miracle», Les trous sont vrais : Vide lotus I Sont-ils pas divins sur leurs claies. Qu'auréole un nimbe vermeil, Ces propriétaires de plaies, Rubis vivants sous le soleil t... En aboyant, un rachitique Secoue un moignon désossé, Coudoyant un épileptique Qui travaille dans un fossé. Là, ce tronc d'homme où croît l'ulcère, Contre un tronc d'arbre où croît le gui; Ici, c'est la fille et la mère Dansant la danse de Saint-Guy. Cet autre pare le cautère De son petit enfant malsain : - L'enfant se doit à son vieux père... - Et le chancre est un gagne-pain! Là, c'est l'idiot de naissance, Un visité par Gabriel, Dans l'extase de l'innocence... - L'innocent est près du ciel! - - Tiens, passant, regarde : tout passe.. L'oil de l'idiot est resté, Car il est en état-de-grâce... - Et la Grâce est l'Éternité! - Parmi les autres, après vêpre, Qui sont d'eau bénite arrosés, Un cadavre, vivant de lèpre, Fleurit - souvenir des croisés... Puis tous ceux que les Rois de France Guérissaient d'un toucher de doigts... - Mais la France n'a plus de rois, Et leur dieu suspend sa clémence. - Charité dans leurs écuelles!... Nos aïeux ensemble ont porté Ces fleurs de lis en écrouelles Dont ces choisis ont hérité. - Miserere pour les ripailles Des Ankokrignets et Kakoust... Ces moignons-là sont des tenailles, Ces béquilles donnent des coups. Risquez-vous donc là, gens ingambes, Mais gare pour votre toison : Gare aux bras crochus ! gare aux jambes En kyriè-éleisont ... Et détourne-toi, jeune fille, Qui viens là voir, et prendre l'air... Peut-être, sous l'autre guenille, Percerait la guenille en chair... C'est qu'ils chassent là sur leurs terres! Leurs peaux sont leurs blasons béants : - Le droit-du-seigneur à leurs serres!... Le droit du Seigneur de céans! - Tas d'ex-voto de carne impure, Charnier d'élus pour les cieux, Chez le Seigneur ils sont chez eux! - Ne sont-ils pas sa créature... Ils grouillent dans le cimetière On dirait les morts déroutés N'ayant tiré de sous la pierre Que des membres mal reboutés. - Nous, taisons-ncus!... Ils sont sacrés. C'est la faute d'Adam punie Le doigt d'En-haut les a marqués : - La Droite d'En-haut soit bénie! Du grand troupeau, boucs émissaires Chargés des forfaits d'ici-bas, Sur eux Dieu purge ses colères!... - Le pasteur de Sainte-Anne est gras. -- Mais une note pantelante, Écho grelottant dans le vent Vient battre la rumeur bêlante De ce purgatoire ambulant. Une forme humaine qui beugle Contre le calvaire se tient; C'est comme une moitié d'aveugle : Elle est borgne, et n'a pas de chien... C'est une rapsode foraine Qui donne aux gens pour un liard L'Istoyre de la Magdalayne, Du Juif-Errant ou A'Abaylar. Elle hâle comme une plainte, Comme une plainte de la faim, Et, longue comme un jour sans pain, Lamentablement, sa complainte... - Ça chante comme ça respire, Triste oiseau sans plume et sans nid Vaguant où son instinct l'attire : Autour des Bon-Dieu de granit... Ça peut parler aussi, sans doute. Ça peut penser comme ça voit : Toujours devant soi la grand'route... - Et, quand c'a deux sous... ça les boit. - Femme : on dirait hélas - sa nippe Lui pend, ficelée en jupon; Sa dent noire serre une pipe Éteinte... - Oh, la vie a du bon! - Son nom... ça se nomme Misère. Ça s'est trouvé né par hasard. Ça sera trouvé mort par terre... La même chose - quelque part. - Si tu la rencontres, Poète, Avec son vieux sac de soldat : C'est notre sour... donne - c'est fête Pour sa pipe, un peu de tabac!... Tu verras dans sa face creuse Se creuser, comme dans du bois, Un sourire ; et sa main galeuse Te faire un vrai signe de croix. |
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Tristan Corbière (1845 - 1875) |
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Portrait de Tristan Corbière | |||||||||
Biographie / Ouvres1845. |
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