Tristan Corbière |
Un atelier de peintre sans peinture. Les quatre murs se renvoient un découragement innommable . Il n'y a rien, mais il y a du désordre et des clous . On frappe à la porte depuis cinq minutes. On crie... Il est une heure ou une autre d'une journée quelconque, témoin un coucou sans aiguilles, accroché au mur contre une porte. Il y a une soupente à côté, avec un lit et, dedans, un jeune homme dans une pose de méditation avec une chaussette d'une main. Il n'est pas beau, mais il est fièrement laid. Il songe pourtant qu'il est trop laid pour se lever. Le soleil ne se lèvera pas non plus aujourd'hui. À quoi bon? On frappe, du reste, activement. a Eli bien entrez! - Mais c'est fermé... Le jeune homme à la chaussette se lève et va ouvrir. - Bonjour, cousin. - Tiens! c'est toi? - Tu me laisses frapper comme tes créanciers! - Mon ami, M. de L. - Monsieur... - Monsieur... Asseyez-vous, je vous prie. - Où? - Mais... partout! - Il n'y a pas seulement une chaise... - Tu étais encore au lit : est-ce que...? - Ma foi, non. Je couche, comme ça, pour moi seul... Enfin... - Ne te défends pas! On sait, vous autres, les artistes... Les modèles, les actrices... - Pourquoi pas les acteurs? - C'est que c'est votre métier d'être toujours comme ça; et vous croyez ça, vous autres jeunes hommes vierges... - Vierges? Oh, oh, dites donc! - Monsieur! - Monsieur! Oui, vierges! - Voyons! Parce que tu as été raccroché par une fille ou deux, tu t'imagines n'être plus vierge? Mais il y a d'honnêtes pères de famille qui seront toujours vierges. - Oh! Monsieur est paradoxal! - Oui, Monsieur, j'ai beaucoup d'esprit, mais je ne le sers, du reste, que très peu. - Et vous faites des beaux-arts, m'a dit Monsieur? - Oui... De la peinture contemplative. - Peut-on voir quelque... - Oh! c'est bien simple : regardez par la fenêtre. Je ne fais guère autre chose. - Alors, vous n'êtes pas au Salon cette année? - Non, Monsieur, j'étais au lit. - Il paraît que le jury a été très sévère cette année. - J'ai pourtant plusieurs de mes amis qui ont tous été acquittés. » Pendant ce temps, le cousin fouille partout, essaye des cigarettes, retourne des cartons et se pique avec un criss malais. « Diable! Est-ce que c'est empoisonné? - Ma foi, je ne sais pas! - Diable! - Voyons... Viens-tu déjeuner? Habille-toi. Tu dîneras à la maison; puis nous irons au théâtre, dans les coulisses, dis? - Ma foi, pour le moment, je ne connais pas de coulisses. - Allons donc! toi? - Ah, oui : les modèles, les actrices... Vierge, va! . Ce sont tes nombreuses occupations qui te retiennent. - Je n'en ai qu'une, qui me prend tout mon temps : ne rien faire. - Eh bien, bonsoir. - Bonne nuit. » Il referme la porte un moment, pour la forme. « Crétins! - Voyons... Il est une heure. Elle vient vers deux heures. Habillons-nous. On frappe encore : tiens, elle avance. » Ouvrant la porte et tendant les bras : « Viens, toi!... [- Pardon escusse... votre... chercher (?) avant-hier pour être pieds nus. Croyez-moi. Monsieur Schmit ... - Oui, je... - Je viens pour cette petite note... - Ah, très bien ! Je vous attendais presque. Asseyez-vous donc. - C'est si haut! - Oui, mais je cherche une chaise. - Ah! je n'en ai pas : je reçois si peu! - Mais, vous? - Oh, moi, je me couche à l'antique. Voulez-vous faire comme moi, Monsieur? - Non, Monsieur. Mais, je viens pour ma petite facture... - Allons, bon! l'immortelle scène de Monsieur Dimanche ! - Allez, Don Juan! - Avez-vous lu Murger, Monsieur? - Non, Monsieur. - Eh bien, je vous le prêterai. » |
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Tristan Corbière (1845 - 1875) |
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Portrait de Tristan Corbière | |||||||||
Biographie / Ouvres1845. |
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