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Tristan Corbière



Le novice en partance et sentimental - Poéme


Poéme / Poémes d'Tristan Corbière





Le temps était si beau, la mer était si belle...

Qu'on dirait qu'y en avait pas.
Je promenais, un coup encore, ma
Dor.zelle,

A terre, tous deux, sous mon bras.

C'était donc, peur du coup, la dernière journée.
Comrne-ça : ça m'était égal-

Ça n'en était pas moins la suprême tournée
Et j'étais sensitif pas mal.

...Tous les ans, plus ou moins, je relâchais près d'elle -
Un mois de mouillage à passer -

Et je la relâchais tout fraîchement fidèle...
Et toujours à recommencer.

Donc, quand la barque était à l'ancre, sans malice

J'accostais, novice vainqueur,
Pour mouiller un pied d'ancre,
Espérance propice!...

Un pied d'ancre dans son cour!

Elle donnait la main à manger mon décompte

Et mes avances à manger.
Car, pour un mathurin * faraud, c'est une honte :

De ne pas rembarquer léger.

J'emportais ses cheveux, pour en cas de naufrage,

Et ses adieux au long-cours.
Et je lui rapportais des objets de sauvage,

Que le douanier saisit toujours.

Je me l'imaginais pendant les traversées,

Moi-même et naturellement.
Je m'en imaginais d'autres aussi - censées

Elle - dans mon tempérament.

Mon nom mâle à son nom femelle se jumelle,
Bout-à-bout et par à peu-près :

Moi je suis
Jean-Marie et c'est
Mary-Jane elle...
Elle ni moi n'ons fait exprès.

...Notre chien de métier est chose assez jolie
Pour un leste et gueusard amant;

Toujours pour démarrer on trouve l'embellie :

-
Un pleur...
Et saille de l'avant!

Et hisse le grand foc! - la loi me le commande. -
Largue les garcettes *, sans gant!

Etarque à bloc! -
L'homme est libre et la mer est

[grande -
La femme : un sillage!...
Et bon vent! -

On a toujours, puisque c'est dans notre nature,

-
Coulant en douceur, comme tout -
Filé son câble par le bout, sans fignolure...

Filé son câble par le bout!

-
File!...
La passion n'est jamais défrisée.

- Évente tout et pique au nord !
Borde la brigantine et porte à la risée!...

-
On prend sa capote et s'endort...

-
Et file le parfait amour! à ma manière,

-
Ce n'est pas la bonne : tant mieux!
C'est encore la meilleure et dernière et première-As pas peur d'échouer, mon vieux!

Ah! la mer et l'amour! -
On sait - c'est variable...

Aujourd'hui : zéphyrs et houris!
Et demain... c'est un grain :
Vente la peau du diable!

Debout au quart! croche des ris!...

-
Nous fesons le bonheur d'un tas de malheureuses,

Gabiers volants de
Cupidon!...
Et la lame de l'ouest nous rince les pleureuses...

-
Encore une! et lave le pont!



Comme ça moi je suis.
Elle, c'était la rose

D'amour, et du débit d'ici...
Nous cherchions tous deux à nous dire quelque chose

De triste. -
C'est plus propre aussi. -

...Elle ne disait rien -
Moi : pas plus. -
Et sans doute,

La chose aurait duré longtemps...
Quand elle dit, d'un coup, au milieu de la route :

-
Ah
Jésus! comme il fait beau temps. -

J'y pensais justement, et peut-être avant elle...

Comme avec un même cour, quoi!
Donc, je dis à mon tour : -
Oh ! oui, mademoiselle,

Oui...
Les vents halent le noroî...

-
Ah ! pour où partez-vous? -
Ah ! pour notre voyage...

-
Des pays mauvais? -
Pas meilleurs...

-
Pourquoi? -
Pour faire un tour, démoisir l'équipage..

Pour quelque part, et pas ailleurs :

New-York...
Saint-Malo... -
Que partout
Dieu vous

[garde !

-
Oh!...
Le saint homme y peut s'asseoir; Ça c'est notre métier à nous, ça nous regarde :

Éveillalifs, l'oil au bossoir!

-
Oh! ne blasphémez pas!
Que la
Vierge vous veille!

-
Oui : que je vous rapporte encor
Une bonne
Vierge à la façon de
Marseille :

Pieds, mains, et tête et tout, en or?...

-
Votre navire est-il bon pour la mer lointaine?

Ah ! pour ça, je ne sais pas trop,
Mademoiselle; c'est l'affaire au capitaine,
Pas à vous, ni moi matelot.

-
Mais le navire a-t-il un beau nom de baptême?

-
C'est un brick... pour son petit nom;
Un espèce de nom de dieu... toujours le même,

Ou de sa moitié :
Junon...

-
Je tremblerai pour vous, quand la mer se tourmente...

-
Tiens bon, va! la coque a deux bords...
On sait patiner ça! comme on fait d'une amante...

-
Mais les mauvais maux?... -
Oh! des sorts!

-
Je tremble aussi que vous n'oubliiez mes tendresses

Parmi vos reines de là-bas...

-
Beaux cadavres de femme : oui! mais noirs et sin-

Et puis : voyez, là, sur mon bras : [gesses...

C'est l'Hôtel de l'Hymen, dont deux cours en gargousse

Tatoués à perpétuité!
Et la petite bonne-femme en froc de mousse :

C'est vous, en portrait... pas flatté.

-
Pour lors, c'est donc demain que vous quittez?... -

[Peut-être.

-
Déjà!... -
Peut-être après-demain.

-
Regardez ~ëa appareillant, vers ma fenêtre :

On fera bonjour de la main.

-
C'est bon.
Jusqu'au retour de n'importe où, m'amie...

Du
Tropique ou
Noukahiva.
Tâchez d'être fidèle, et moi : sans avarie...

Une autre fois mieux! ...
Adieu-vat!

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Tristan Corbière
(1845 - 1875)
 
  Tristan Corbière - Portrait  
 
Portrait de Tristan Corbière

Biographie / Ouvres

1845.

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