Tristan Corbière |
Vos marins de quinquets à l'Opéra... comique, Sous un frac en bleu-ciel jurent « Mille sabords! » Et, sur les boulevards, le survivant chronique Du Vengeur vend l'onguent à tuer les rats morts. Le Jûn'homme infligé d'un bras - même en voyage - Infortuné, chantant par suite de naufrage; La femme en bain de mer qui tord ses bras au flot; Et l'amiral *** - Ce n'est pas matelot! - - Matelots - quelle brusque et nerveuse saillie Fait cette Race à part sur la race faillie! Comme ils vous mettent tous, terriens, au même sac! - Un curé dans ton lit, un' fill' dans mon hamac I - - On ne les connaît pas, ces gens à rudes nouds. Ils ont le mal de mer sur vos planchers à boufs; À terre - oiseaux palmés - ils sont gauches et veules. Ds sont mal culottés comme leurs brûle-gueules. Quand le roulis leur manque... ils se sentent rouler : - À terre, on a beau boire, on ne peut désoûler ! - On ne les connaît pas. - Eux : que leur fait la terre?... Une relâche, avec l'hôpital militaire, Des filles, la prison, des horions, du vin... Le reste : Eh bien, après? - Est-ce que c'est marin?... - Eux ils sont matelots. - À travers les tortures, Les luttes, les dangers, les larges aventures, Leur face-à-coups-de-hache a pris un tic nerveux D'insouciant dédain pour ce qui n'est pas Eux... C'est qu'ils se sentent bien, ces chiens! Ce sont des mflles! - Eux : l'Océan! - et vous : les plates-bandes sales; Vous êtes des terriens, en un mot, des troupiers: - De la terre de pipe et de la sueur de pieds l - Eux sont les vieux-de-cale et les frères-la-côte, Gens au cour sur la main, et toujours la main haute; Des natures en barre! - Et capables de tout... -- Faites-en donc autant!... Ils sont de mauvais goût... - Peut-être... Ils ont chez vous des amours tolérées Par un grippe-Jésus * accueillant leurs entrées... - Eh ! faut-il pas du cour au ventre quelque part, Pour entrer en plein jour là - bagne-lupanar, Qu'ils nomment le Cap-Horn, dans leur langue hâlée : - Le cap Horn, noir séjour de tempête grêlée - Et se coller en vrac, sans crampe d'estomac, De la chair à chiquer - comme un noud de tabac ! Jetant leur solde avec leur trop-plein de tendresse, À tout vent; ils vont là comme ils vont à la messe... Ces anges mal léchés, ces durs enfants perdus! - Leur tête a du requin et du petit-Jésus. Ils aiment à tout crin : Ils aiment plaie et bosse, La Bonne-Vierge, avec le gendarme qu'on rosse; Ils font des voux à tout... mais leur vou caressé A toujours l'habit bleu d'un Jésus-Christ ** rossé. - Allez : ce franc cynique a sa grâce native... Comme il vous toise un chef, à sa façon naïve! Comme il connaît son maître : - Un d'un seul bloc de bois! - Un mauvais chien toujours qu'un bon enfant parfois! - Allez : à bord, chez eux, ils ont leur poésie ! Ces brutes ont des chants ivres d'âme saisie Improvisés aux quarts sur le gaillard-d'avant... - Ils ne s'en doutent pas, eux, poème vivant. - Ils ont toujours, pour leur bonne femme de mère. Une larme d'enfant, ces héros de misère; Pour leur Douce-Jolie, une larme d'amour!... Au pays - loin - ils ont, espérant leur retour, Ces gens de cuivre rouge, une pâle fiancée Que, pour la mer jolie, un jour ils ont laissée. Elle attend vaguement... comme on attend là-bas. Eux ils portent son nom tatoué sur leur bras. Peut-être elle sera veuve avant d'être épouse... - Car la mer est bien grande et la mer est jalouse. - Mais elle sera Gère, à travers un sanglot, De pouvoir dire encore : - Il était matelot!... - C'est plus qu'un homme aussi devant la mer géante, Ce matelot entier!... Piétinant sous la plante De son pied marin le pont près de crouler : Tiens bon ! Ça le connaît, ça va le désoûler. Il finit comme ça, simple en sa grande allure, D'un bloc : - Un trou dans i'eau, quoi!... pas de fioriture. - On en voit revenir pourtant : bris de naufrage, Ramassis de scorbut et hachis d'abordage... Cassés, défigurés, dépaysés, perclus : - Un oil en moins. - Et vous, en avez-vous en plus? - La fièvre-jaune. - Eh bien, et vous, l'avez-vous rose? - Une balafre. - Ah, c'est signé !... C'est quelque chose ! - Et le bras en pantenne. - Oui, c'est un biscaïen, Le reste c'est le bel ouvrage au chirurgien. - Et ce trou dans la joue? - Un ancien coup de pique. - Cette bosse? - A tribord?... excusez : c'est ma chique. - Ça? - Rien : une foutaise, un pruneau dans la main, Ça sert de baromètre, et vous verrez demain : Je ne vous dis que ça, sûr! quand je sens ma crampe... Allez, on n'en fait plus de coques de ma trempe! On m'a pendu deux fois... - Et l'honnête forban Creuse un bateau de bois pour un petit enfant. - Ils durent comme ça, reniflant la tempête Riches de gloire et de trois cents francs de retraite, Vieux culots de gargousse, épaves de héros!... - Héros? - ils riraient bien !... - Non merci : matelots ! - Matelots! - Ce n'est pas vous, jeunes maleluches, Pour qui les femmes ont toujours des coqueluches... Ah, les vieux avaient de plus fiers appétits! En haussant leur épaule ils vous trouvent petits. À treize ans Us mangeaient de l'Anglais, les corsaires ! Vous, vous n'êtes que des pelletas militaires... Allez, on n'en fait plus de ces purs, premier brin ! Tout s'en va... tout! La mer... elle n'est plus marin! De leur temps, elle était plus salée et sauvage. Mais, à présent, rien n'a plus de pucelage... La mer... La mer n'est plus qu'une fille à soldats!... - Vous, matelots, rêvez, en faisant vos cent pas Comme dans les grands quarts... Paisible rêverie De carcasse qui geint, de mât craqué qui crie... - Aux pompes!... - Non : fini! - Les beaux jours sont passés : - Adieu mon beau navire aux trois mâts pavoises ! Tel qu'une vieille coque, au sec et dégréée, Où vient encor parfois clapoter la marée : Ame-de-mer en peine est le vieux matelot Attendant, échoué... - quoi : la mort? - Non, le flot. |
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Tristan Corbière (1845 - 1875) |
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Portrait de Tristan Corbière | |||||||||
Biographie / Ouvres1845. |
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