Victor Hugo |
O saint prêtre! grande âme! oh! je tombe à genoux1! Jeune, il avait encor de longs jours parmi nous. Il n'en a pas compté le nombre; Il était à cet âge où le bonheur fleurit; Il a considéré la croix de Jésus-Christ Toute rayonnante dans l'ombre. Il a dit : « C'est le Dieu de progrès et d'amour. Jésus, qui voit ton front croit voir le front du jour. Christ sourit à qui le repousse. Puisqu'il est mort pour nous, je veux mourir pour lui; Dans son tombeau, dont j'ai la pierre pour appui, Il m'appelle d'une voix douce. « Sa doctrine est le ciel entr'ouvert; par la main, Comme un père l'enfant, il tient le genre humain; Par lui nous vivons et nous sommes; Au chevet des geôliers dormant dans leurs maisons, Il dérobe les clefs de toutes les prisons Et met en liberté les hommes. « Or il est, loin de nous, une autre humanité Qui ne le connaît point, et dans l'iniquité Rampe enchaînée, et souffre et tombe; Ils font pour trouver Dieu de ténébreux efforts; Ils s'agitent en vain; ils sont comme des morts Qui tàtent le mur de leur tombe. « Sans loi, sans but, sans guide, ils errent ici-bas. Ils sont méchants, étant ignorants1; ils n'ont pas Leur part de la grande conquête. J'irai. Pour les sauver je quitte le saint lieu. O mes frères, je viens vous apporter mon Dieu, Je viens vous apporter ma tête! » Prêtre, il s'est souvenu, calme en nos jours troublés, De la parole dite aux apôtres : - Allez, Bravez les bûchers et les claies! - Et de l'adieu du Christ au suprême moment : - O vivants, aimez-vous! aimez. En vous aimant, Frères, vous fermerez mes plaies. - Il s'est dit qu'il est bon d'éclairer dans leur nuit Ces peuples égarés loin du progrès qui luit. Dont l'âme est couverte de voiles; Puis il s'en est allé, dans les vents, dans les flots, Vers les noirs chevalets et les sanglants billots, Les yeux fixés sur les étoiles. II Ceux vers qui cet apôtre allait l'ont égorgé. III Oh! tandis que là-bas, hélas! chez ces barbares, S'étale l'échafaud de tes membres chargé. Que le bourreau, rangeant ses glaives et ses barres, Frotte au gibet son ongle où ton sang s'est figé; Ciel! tandis que les chiens dans ce sang viennent boire. Et que la mouche horrible, essaim au vol joyeux. Comme dans une ruche entre en ta bouche noire Et bourdonne au soleil dans les trous de tes yeux; Tandis qu'échevelée, et sans voix, sans paupières. Ta tête blême est là sur un infâme pieu. Livrée aux vils affronts, meurtrie à coups de pierres, Ici, derrière toi, martyr, on vend ton Dieu! Ce Dieu qui n'est qu'à toi, martyr, on te le vole! On le livre à Mandrin, ce Dieu pour qui tu meurs! Des hommes, comme toi revêtus de l'étole, Pour être cardinaux, pour être sénateurs, Des prêtres, pour avoir des palais, des carrosses. Et des jardins l'été riant sous le ciel bleu. Pour argenter leur mitre et pour dorer leurs crosses. Pour boire de bon vin, assis près d'un bon feu. Au forban dont la main dans le meunre est trempée, Au larron chargé d'or qui paye et qui sourit, Grand Dieu! retourne-toi vers nous, tête coupée! Ils vendent Jésus-Christ! ils vendent Jésus-Christ! Ils livrent au bandit, pour quelques sacs sordides, L'évangile, la loi, l'autel épouvanté, Et la justice aux yeux sévères et candides. Et l'étoile du cour humain, la vérité! Les bons jetés, vivants, au bagne, ou morts, aux fleuves, L'homme juste proscrit par Cartouche Sylla, L'innocent égorgé, le deuil sacré des veuves. Les pleurs de l'orphelin, ils vendent tout cela! Tout! la foi, le serment que Dieu tient sous sa garde, Le saint temple où, mourant, tu dis : Introïbo, Ils livrent tout! pudeur, vertu! - martyr, regarde, Rouvre tes yeux qu'emplit la lueur du tombeau; - Ils vendent l'arche auguste où l'hostie étincelle! Ils vendent Christ, te dis-jc! et ses membres liés! Ils vendent la sueur qui sur son front ruisselle, Et les clous de ses mains, et les clous de ses pieds! Ils vendent au brigand qui chez lui les attire Le grand crucifié sur les hommes penché; Us vendent sa parole, ils vendent son martyre, Et ton martyre à toi par-dessus le marché! Tant pour les coups de fouet qu'il reçut à la porte! César! tant pour l'amen, tant pour l'alléluia! Tant pour la pierre où vint heurter sa tète morte! Tant pour le drap rougi que sa barbe essuya! Ils vendent ses genoux meurtris, sa palme verte. Sa plaie au flanc, son oil tout baigné d'infini. Ses pleurs, son agonie, et sa bouche entr'ouverte, Et le cri qu'il poussa : Lamma Sabacthani Ils vendent le sépulcre! ils vendent les ténèbres! Les séraphins chantant au seuil profond des cieux. Et la mère debout sous l'arbre aux bras funèbres. Qui, sentant là son fils, ne levait pas les yeux! Oui, ces évèques, oui, ces marchands, oui, ces prêtres, A l'histrion du crime, assouvi, couronné, A ce Néron repu qui rit parmi les traîtres. Un pied sur Thraséas, un coude sur Phryné2, Au voleur qui tua les lois à coups de crosse. Au pirate empereur Napoléon dernier, Ivre deux fois, immonde encor plus que féroce. Pourceau dans le cloaque et loup dans le charnier. Ils vendent, ô martyr, le Dieu pensif et pâle Qui, debout sur la terre et sous le firmament, Triste et nous souriant dans notre nuit fatale, Sur le noir Golgotha saigne éternellement! Jersey. Décembre 1852. |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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