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Victor Hugo



Canaris - Poéme


Poéme / Poémes d'Victor Hugo





Lorsqu'un vaisseau vaincu dérive en pleine mer;

Que ses voiles carrées
Pendent le long des mâts, par les boulets de fer

Largement déchirées;

Qu'on n'y voit que des morts tombés de toutes parts,

Ancres, agrès, voilures.
Grands mâts rompus, traînant leurs cordages épars

Comme des chevelures;

Que le vaisseau, couvert de fumée et de bruit.

Tourne ainsi qu'une roue;
Qu'un flux et qu'un reflux d'hommes roule et s'enfuit

De la poupe à la proue;

Lorsqu'à la voix des chefs nul soldat ne répond;

Que la mer monte et gronde;
Que les canons éteints nagent dans l'entre-pont,

S'entre-choquant dans l'onde;

Qu'on voit le lourd colosse ouvrir au flot marin

Sa blessure béante.
Et saigner, à travers son armure d'airain,

La galère géante.



Qu'elle vogue au hasard, comme un corps palpitant,

La carène entr'ouverte.
Comme un grand poisson mort, dont le ventre flottant

Argenté l'onde verte;

Alors gloire au vainqueur!
Son grappin noir s'abat

Sur la nef qu'il foudroie;
Tel un aigle puissant pose, après le combat,

Son ongle sur sa proie!

Puis, il pend au grand mât, comme au front d'une tour,

Son drapeau que l'air ronge.
Et dont le reflet d'or dans l'onde, tour à tour.

S'élargit et s'allonge.

Et c'est alors qu'on voit les peuples étaler

Les couleurs les plus fières.
Et la pourpre, et l'argent, et l'azur onduler

Aux plis de leurs bannières.

Dans ce riche appareil leur orgueil insensé

Se flatte et se repose.
Comme si le flot noir, par le flot effacé.

En gardait quelque chose !

Malte arborait sa croix;
Venise, peuple-roi.

Sur ses poupes mouvantes.
L'héraldique lion qui fait rugir d'effroi

Les lionnes vivantes.

Le pavillon de
Naple est éclatant dans l'air.
Et quand il se déploie



On croit voir ondoyer de la poupe à la mer
Un flot d'or et de soie.

Espagne peint aux plis des drapeaux voltigeant

Sur ses flottes avares,
Léon aux lions d'or,
Castille aux tours d'argent.

Les chaînes des
Navarres.

Rome a les clefs;
Milan, l'enfant qui hurle encor

Dans les dents de la guivre1;
Et les vaisseaux de
France ont des fleurs de lys d'or

Sur leurs robes de cuivre.

Stamboul la turque autour du croissant abhorré
Suspend trois blanches queues2;

L'Amérique enfin libre étale un ciel doré
Semé d'étoiles bleues.

L'Autriche a l'aigle étrange, aux ailerons dressés,

Qui, brillant sur la moire,
Vers les deux bouts du monde à la fois menacés

Tourne une tête noire.

L'autre aigle au double front, qui des czars suit les lois.

Son antique adversaire.
Comme elle regardant deux mondes à la fois.

En tient un dans sa serre.

L'Angleterre en triomphe impose aux flots amers

Sa splendide oriflamme.
Si riche qu'on prendrait son reflet dans les mers

Pour l'ombre d'une flamme.



C'est ainsi que les rois font aux mâts des vaisseaux

Flotter leurs armoiries.
Et condamnent les nefs conquises sur les eaux

A changer de patries.

Ils traînent dans leurs rangs ces voiles dont le sort

Trompa les destinées.
Tout fiers de voir rentrer plus nombreuses au port

Leurs flottes blasonnées.

Aux navires captifs toujours ils appendront
Leurs drapeaux de victoire,

Afin que le vaincu porte écrite à son front
Sa honte avec leur gloire !

Mais le bon
Canaris, dont un ardent sillon

Suit la barque hardie,
Sur les vaisseaux qu'il prend, comme son pavillon.

Arbore l'incendie!

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Victor Hugo
(1802 - 1885)
 
  Victor Hugo - Portrait  
 
Portrait de Victor Hugo

Biographie / Ouvres

C'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature

Chronologie

1802
- Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris.

Chronologie historique

1848

Bibliographie sÉlective


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