Victor Hugo |
Quand en 1832 sitôt le point final mis au Roi s'amuse, Hugo rédige Lucrèce Borgia, personne ne s'y trompe, ce drame en prose ne peut être destiné qu'à concurrencer le mélodrame sur son propre terrain, celui des théâtres de boulevard. On a vu comment cette intention a été claire pour tous et les enthousiasmes et les réserves qu'elle a pu susciter. Lucrèce Borgia correspond au code du mélodrame. Paradoxalement, au contraire du code tragique assoupli par une longue histoire et par de vigoureuses et récentes mises en question, le code du mélodrame, récent et épargné par la critique parce qu'infra-Iit-téraire, est d'une extraordinaire rigidité. Tout d'abord, un bon mélo recèle une typologie1 non pas seulement des actants mais des personnages, tout à fait fixe et dotée de fonctions précises : il y a le père noble qui a subi des malheurs et qui se retrouve réhabilité ou recouronné au dernier acte, la pure jeune fille, toujours à la limite du viol ou de la torture (quelquefois torturée, jamais violée, intacte au dénouemenT), parfois doublée d'un personnage maternel-ombre, comme elle vertueuse et malheureuse - le redresseur de torts chevaleresque jeune et beau, et dont le sort est d'épouser à la fin la pure jeune fille après avoir tué le traître - le traître dont la méchanceté est totale et sans excuse, sinon sans explications: il a persécuté le vieillard et la mère, souvent privé le héros de son héritage, et il convoite la pure jeune fille; le suspens est dû au fait qu'il passe pour ce qu'il n'est pas et joue les protecteurs quand il est en réalité le bourreau - enfin, il y a le niais, valet qui fait rire par ses balourdises et se manifeste comme l'allié objectif du redresseur de torts. Il s'agit là d'un code actantiel, simple et rigide, délimitant un modèle d'action dramaturgique d'une parfaite monotonie: le sujet (le héroS) conquiert l'objet-femme en réhabilitant le passé, il détruit l'opposant et récompense l'adjuvant. Il n'est pas très difficile de montrer que la typologie des personnages hugoliens, non seulement dans Lucrèce Borgia, comme nous le verrons, mais dans tous les drames hugoliens, inverse le code du mélodrame : ainsi la pure jeune fille dans le drame de Hugo n'est jamais pure (à l'exception de Dona Sol dont est grand l'enthousiasme à se laisser enleveR) et il n'est pas possible de dire qu'elle a subi des sévices: elle est toujours extrêmement consentante ; Catarina, il est vrai, ne se livre qu'à un adultère platonique. On sait ce qu'est le personnage maternel chez Hugo : de Lucrèce à Guanhumara, il ressemble à tout sauf à la mère victime, faible et malheureuse. Le jeune homme pur, redresseur de torts, s'il ne devient pas toujours parricide comme Gennaro, n'en a pas moins quelques - bricoles ■ sur la conscience ; en fait, le traître n'est jamais très loin du héros ; Ruy Blas a signé le pacte sata-nique avec Don Salluste, Gilbert avec Marie Tudor, Hernani s'est trahi lui même, Rodolfo et la Tisbé écoutent Homodei. La complicité du héros avec le mal est toujours présente dans la dramaturgie hugolienne, dont elle est un des traits dominants. Or la compromission, si elle diminue ■ l'impact » dramatique, éloigne le drame du mélodrame. Tragique ou parodique, le bouffon grotesque est le contraire du niais du mélodrame : l'un est véhicule du dénouement heureux, l'autre est, comme le dit Jean Gaudon, ■ ministre de la mort .>: Don César est l'inverse strict du niais de mélo. Quant à la réhabilitation du passé, tâche principale du héros mélodramatique, elle est, elle aussi, strictement inversée dans la dramaturgie hugolienne où le retour du passé est représenté comme l'entrée de la mort. Pas d'ceuvre dramatique (à part les BurgraveS) où la venue du vieillard et le rappel du passé, sous une forme ou l'autre, parfois un détour de l'écriture', ne signifient la mort: le passé est ce qui n'est pas récupérable: rien de moins mélodramatique que ce pessimisme interdisant la réconciliation. Quant au dénouement, quand il n'est pas tragique pour tous, il est tragique pour quelqu'un (Angelo, Marie Tudor, et même les BurgraveS); inutile de dire, vu l'inversion des actants, que l'adjuvant ne peut pas être plus récompensé que l'opposant ne peut être puni. La signification idéologique du canevas mélodramatique d'un Guilbert de Pixérécourt ou d'un Loaisel de Tréogate n'est pas mystérieuse, c'est le triomphe du bien grâce à l'énergie individuelle, à l'intelligence du héros et aux soins de la divine providence dont l'intervention toujours bénéfique apporte, au dernier acte, le coup de pouce favorable. Pixérécourt se vante d'avoir écrit ses pièces ■ avec des idées religieuses et providentielles, et des sentiments moraux ». Il y a mis ■ des sentiments délicats, de la probité, du cour... de la sensibilité, et la juste récompense de la vertu et la punition du crime1 .. C'est Nodier qui voit dans le mélodrame ■ un habile et puissant auxiliaire à la providence en la démontrant par les faits2. ■ Guilbert de Pixérécourt montre, avec un candide cynisme, comment le mélodrame est nourriture pour le peuple, destiné à le moraliser. . Il offre à la classe de la nation qui en a le plus besoin5 de beaux modèles, des actes d'héroïsme, des traits de bravoure et de fidélité. On l'instruit par là à devenir meilleur... Le mélodrame sera toujours un moyen d'instruction pour le peuple parce qu'au moins ce genre est à sa portée'. . Avec moins de naïveté, Nodier montre dans le mélodrame, le contrepoint nécessaire au matérialisme de la société bourgeoise contemporaine à un moment où la religion n'est plus guère efficace pour ramener au conformisme moral un peuple déchristianisé. ■ J'ai vu, dit Nodier, dans l'absence du culte, suppléer aux instructions de la chaire muette, et portées sous une forme attrayante qui ne manquait jamais son effet, des leçons graves et profitables dans l'âme des spectateurs [...] La chaire était vide, la tribune ne retentissait que de paroles inquiétantes, la théorie des intérêts matériels avait remplacé dans les esprits l'idée de toute autre destination [...] où les hommes devaient-ils aller puiser des enseignements propres à les diriger dans les anxiétés toujours renaissantes de la vie si ce n'est au mélodrame? » Optimisme moralisateur, exaltation de la vertu bourgeoise et des sentiments qui obtiennent ici bas leur récompense, le mélodrame a pour double fonction de justifier la providence et d'exorciser le mal. Le mal et les structures du mélodrame. Si le mélodrame se caractérise dans le système des actants et la struture de l'action, par une rigidité entraînant une signification logique elle-même simple et rigide, l'imagination du dramaturge se déploie, elle, dans le champ sadique du malheur. La variable du mélodrame réside essentiellement dans la richesse des combinaisons sadiques qui permettent au traître de séduire, de tromper, de torturer, de faire chanter ses victimes. De là, la nécessité d'une grande mobilité, d'une grande richesse dans le lieu dramatique: toutes les variations sont permises autour du thème du lieu de torture, châtiments effrayants, prisons, couvents inquiétants, rivages déserts. À côté de ces variations sur le mal dont le traître est le sujet, il y a des variations sur un autre thème obligé : la catastrophe naturelle, orage, incendie, tremblement de terre, tempête, raz-de-marée ; le mal dû aux égarements de la nature se combine avec le mal dû à la perversité des hommes. Dans cette constellation, le mal historique et le mal social n'ont pas leur place. Le rôle du mélodrame est justement d'exorciser le mal historique en donnant au peuple les émotions de la cruauté sans renvoyer le malheur à des causes historico-sociales, uniquement à des causes naturelles ou morales. Une véritable catharsis exorcise la terreur et renvoie au dénouement heureux qui est en même temps défense de la société: Dans Ixi Forêt périlleuse, le faux bandit Morgan conclut la pièce en s'écriant : « Vous ne me devez rien ; j'ai vengé la société ' ! . Politique du mélo. On saisit que dans cette perspective, il est extrêmement facile au mélodrame traditionnel de porter la mythologie politique de la bourgeoisie libérale: la haine du ■ tyran -, le mépris de l'aristocratie (très souvent, le traître est un ci-devant ou un prêtrE), la haine des prêtres, des moines et des couvents, tout ce qui pouvait satisfaire une très superficielle démagogie libérale. Après 1830 en particulier, le mélodrame décadent se charge de ce potentiel. Mais il ne faut pas oublier que le traître du mélodrame est aussi celui qui. sincère ou hypocrite, se permet d'être le révolté et de mettre en péril la paix sociale. Lucrèce Rorgia et le mélodrame. Indiscutablement, il y a chez Hugo volonté de rapprocher son drame du mélodrame, par un certain nombre de procédés conscients, volontaires: l'usage de la prose en particulier, qui éloigne l'ouvre du drame poétique pour le rapprocher du public populaire, non sans difficultés pour Hugo dans ses rapports avec les jeunes romantiques, qui voyaient mal pourquoi, sur ce point capital, leur modèle se déjugeait. Ensuite il y a dans la typologie des personnages une volonté de ne pas s'éloigner excessivement de celle du mélodrame: on peut sans trop d'effort identifier Gennaro avec le redresseur de torts qui purge la terre d'un monstre ; pas de gracioso à la vérité, pas de niais, allié du héros, mais en revanche un ami fidèle, Maffio ; les difficultés commencent avec le personnage du traître : est-ce Alphonse d'Esté, figure paternelle, non dénué d'une sorte de noblesse quand il s'en prend au clan Borgia dans son ensemble, mais fauteur de mort pour le héros Gennaro, et assez cruel pour emprunter aux Borgia leur arme favorite, le poison? Est-ce Lucrèce elle-même, dans sa sombre majesté de vengeresse: ■ Vous êtes chez moi ■ ? Mais le duc de Ferrare unit les virtualités opposées de l'homme malheureux et bafoué et du traître-bourreau1 ; Lucrèce est à la fois la pitoyable victime malheureuse, torturée par les traîtres, et l'effroyable bourreau qui fait couler le sang avec volupté, à la fois mère crucifiée et débauchée cynique. L'essentiel du mouvement dramatique est donc conditionné par cette distance qui l'éloigné du code mélodramatique, par ce statut de mélo inversé. La pure jeune fille indispensable au mélo, dont les malheurs demandent à être vengés et punis, brille ici par son absence : ce n'est pas qu'elle ne soit pas nommée, et d'un nom typique de la jeune première hugolienne: blancheur et soleil, elle est la ■ petite flamme ■ Fiametta ; mais si Gennaro porte son écharpe en la croyant aux couleurs de Fiametta, il est vite détrompé, il porte celles de Lucrèce, et du même coup, envolée la Fiametta! Il n'en sera plus question de toute la pièce; elle est relayée par Lucrèce, la mère mortelle, et par la Negroni, la ■ noire », la fille-poison. Les éléments de l'action, dits par abus de langage - mélodramatiques ■ sont aussi présents, mais retournés ; et d'abord moqués : le contre-poison, outil mélodramatique de dénouement optimiste, est ici inversé, puisqu'il est élément de la confrontation mortelle de la mère et du fils ; plus étonnant encore l'usage de la reconnaissance - croix de ma mère, les fameuses lettres : dans la première confrontation de la mère et du fils, elles sont élément de non-reconnaissance, élément d'un contact et d'un rapport amoureux qui exclut la filialité ; à la dernière scène, elles sont moyen de la reconnaissance (dans les premières versions du dénouemenT), mais d'une reconnaissance funeste: elles sont . mauvaise cuirasse -, trempées du sang de la mère assassinée par le fils. C'est le thème même de la . reconnaissance ■ qui est ici inversé: au lieu d'être le bonheur de la mère retrouvant son fils et du fils retrouvant sa mère, ce sont les retrouvailles de l'horreur, dans le parricide irrécupérable : il y a une étrange confusion encore présente, par exemple dans les commentaires de J. Massin, quand on qualifie de mélodramatiques l'horreur ou la cruauté, qui sont justement non-mélodramatiques dans la mesure où elles ne sont pas récupérées, la caractéristique du mélodrame étant justement de désamorcer l'horreur en la rendant finalement optimiste et inoffensive. Les membra disjecta du mélodrame ne sont pas le mélodrame : Il n'existe de mélodrame qu'en qualité de code constitué. Lucrèce et le code tragique C'est dans cette perspective que prend son sens cette introduction du tragique à laquelle les critiques ont été relativement sensibles: il existe dans Lucrèce un aspect de tragédie familiale, un aspect Borgia ou Atrides1, une concentration des personnages formant une constellation familiale, et mettant l'accent sur une sorte de fatalité endogamique, sur des rapports strictement limités: le Fils, la Mère, le Beau-Père (succédané du pèrE), un triangle odipien, semblable, mutatis mutandis, à celui de Phèdre, et le quiproquo, la confusion finale ne sont pas moins sensibles dans l'exemple de Lucrèce que dans celui de Phèdre. Au code tragique appartiennent également la prééminence accordée aux grands et le rôle joué par leurs malheurs: cet aspect des choses est très curieux, parce qu'il inverse les données politiques habituelles au mélodrame de la Restauration et surtout d'après 1830, c'est-à-dire les attaques contre aristocrates, rois et prêtres. Ces attaques ne sont pas absentes, nous l'avons vu, de Lucrèce Borgia, mais elles sont marginales, et sans virulence. Hugo ne profite nullement des ■ horreurs Borgia . pour accabler le pouvoir absolu ou la papauté; seul trait un peu piquant: l'allusion aux rois qui ne tiennent pas leurs serments1. En revanche, le portrait du * monstre aristocratique ■ est représenté de manière à exciter non tant la réprobation que la pitié: ■ Ayez pitié des méchants, Gennaro, vous ne savez pas ce qu'il y a dans leur cour. . Le pathétique de la pièce est orienté entièrement en faveur des grands, qu'il s'agisse de Lucrèce elle-même ou de ses aristocratiques victimes, enfants des grandes familles de l'Italie. Il y a dans le drame comme un hautain refus de la popularité obtenue à l'aide des attaques démagogiques2, et cette réserve correspond à un respect paradoxal du code tragique, qui réclame des héros appartenant aux ■ hautes sphères ■: le choix sociologique et la réserve idéologico-politique marquent un rapprochement avec le code tragique. Le schéma de la fable correspond au schéma classique de la tragédie et à son pathétique propre: les malheurs des grands excitent la pitié et la terreur. On pourrait déterminer tout ce qui, dans une pièce comme Lucrèce Borgia, relève du code tragique : la simplicité de l'action, sa relative concentration, après l'ouverture vénitienne, le centrage spatio-temporel autour du palais Borgia et dans l'intervalle de quelques heures, et tels détails imprévus de la dramaturgie, comme le recours aux confidents, tous aspects d'une dramaturgie classique, au sens le plus banal du terme. Le sujet Gennaro La présence du sujet moastrueux ne contrevient pas au code tragique : Lucrèce Borgia n'est pas plus monstrueuse que Phèdre ou sur tout Médée, ou Atrée, ou Clytermnestre. Au contraire, c'est la distance par rapport au mélo qui s'établit ainsi. Nous ne reviendrons pas sur l'importance dans Lucrèce Borgia du sujet monstrueux, c'est-à-dire double. Centrer autour du monstre, c'est retourner le mélo, si le traître et le héros coïncident à l'intérieur du même personnage: le schéma du mélodrame s'effondre quand on ne peut plus parler d'une lutte victorieuse du Héros contre le Méchant: dans La Tour de Nesle, mélo pourtant déjà adultéré et si l'on peut dire ■ romantisé ■ Buridan engage une lutte victorieuse contre l'héroïne du mal, la traîtresse Marguerite de Bourgogne. Certes, il est possible de lire la pièce à partir de Gennaro-sujet, en y voyant le héros sujet d'une quête : quête du Moi et de l'identité perdue qui coïncide avec la quête de l'Autre (la MèrE). Cette quête aboutit à une réussite tragique : Cette analyse nous permet de voir le caractère passif du héros : certes il est le sujet de la quête de soi et de la mère mais cette quête se fait malgré lui, par les autres; il est l'enjeu d'une bataille dont les éléments lui échappent; de même quand il engage à deux reprises la lutte contre Lucrèce, il ne le fait pas spontanément mais sous l'impulsion de l'adjuvant Maffio: même le meurtre final lui est dicté. Une telle lecture met en lumière le caractère répétitif de l'action qui, avec la triade répétée provocation-danger-danger écarté, fait songer, non à un drame, mais à un rituel d'initiation où le héros subit des épreuves qu'il ne choisit pas, qu'il tente de refuser, mais auxquelles il finit par succomber'. Le sujet monstrueux: Lucrèce. Il y a un vilain moi et un beau moi (O.C. V. 985) La lecture qui fait de Lucrèce, conformément au titre de la pièce, le sujet de l'action dramatique, est infiniment plus intéressante. On y lit le drame du sujet Lucrèce, elle aussi à la recherche de soi, ou plus exactement tentant de combler la fracture du moi provoquée en elle par la fracture du monde. En fait aucune analyse ne permet de lire l'action du sujet Lucrèce comme linéaire; elle est l'emboîtement contrapuntique de deux récits dont chacun est extrêmement simple, étant le développement de l'action d'une des moitiés du monstre Lucrèce: 1) Lucrèce héroïne du mal (sorcière, mère terriblE) alliée du mauvais prince Alphonse, à) se cache B) est démasquée et insultée C) ourdit un piège de vengeance D) fait tomber l'adversaire dans son piège è) réussit et fait périr l'adversaire. 2) Lucrèce héroïne du bien, hostile au mauvais prince, aimant le héros Gennaro, A) veut se faire aimer et échoue B) lutte pour sauver le héros menacé par le mauvais prince C) triomphe dans cette lutte D) échoue à nouveau à se faire aimer E) meurt et voit mourir ce qu'elle aime. L'emboîtement des deux récits donne la figure contrapunctique du récit complet. Lucrèce héroïne du mal 1) se cache pour séduire Gennaro 2) démasquée par ses ennemis 3) ourdit un piège de vengeance 4 provoquée par le héros 5) obtient sa vengeance avec l'aide du mauvais prince 6) réussit 7) échoue 8) vengeance réussie 9) méfait puni: elle meurt Lucrèce héroïne du bien 1) se cache pour aimer Gennaro 2) échoue 3) Gennaro menacé par le mauvais prince 4) lune contre le mauvais prince pour Gennaro 5) échoue 6) réussit 7) nouvelle menace du mauvais prince contre Gennaro 8) Gennaro pris au piège 9) elle échoue : Gennaro meurt Lucrèce Borgia est la juxtaposition-emboîtement de deux récits parfaitement clairs et connus: 1) la mauvaise fée qui, démasquée, se venge, mais finit par recevoir son châtiment des mains du héros pur, 2) la bonne fée qui protège son filleul contre les maléfices du méchant enchanteur. L'emboîtement explosif des deux récits aboutit à des conclusions logiques et paradoxales: 1° la mauvaise Lucrèce punit par deux fois ce que la bonne Lucrèce veut sauver, relayant donc le mauvais prince dans cette tâche, 2° la juxtaposition de la bonne et de la mauvaise Lucrèce aboutit à la mon des deux personnages, 3° le héros, pris dans ce piège, se trouve par la logique de cette juxtaposition, tuer sa bonne fée (sa mèrE), en même temps que la mauvaise: donc, si l'expiation de la bonne Lucrèce absout la mauvaise, l'existence de la première fait du justicier un criminel. La fusion des deux récits aboutit donc non seulement à la destruction des deux actants principaux, mais à la confusion bien/mal, innocence/culpabilité. L'analyse du syntagme narratif éclaire donc la structure de la ■ dialectique . hugolienne et l'intériorisation de la fatalité au niveau du récit dramatique. Le schéma est donc destruction totale, retournement du schéma du mélodrame: il exclut tout dénouement heureux, toute reconnaissance satisfaisante, le héros ne pouvant que vouloir détruire le monstre et ce faisant, devenir criminel puisqu'il tue aussi le meilleur - l'héroïne voulant détruire le mal qui lui est attaché, ne peut que se détruire soi-même dans un total anéantissement réciproque du bien et du mal. De là, la figure tragique de la pièce, et son caractère non manichéen. D'où la nécessité d'une reconnaissance finale, la constatation objective de l'existence simultanée à l'intérieur du sujet du monstre et de l'objet d'amour, faisant éclater à la fois le sujet et l'objet de la quête amoureuse: Lucrèce criminelle et héroïne d'amour ne peut que mourir d'être regardée par l'objet de son amour, cet objet à son tour, ne pouvant que tuer et mourir, puisqu'il tue à la fois l'objet de sa haine et l'objet de sa passion. . Nous tuons qui nous aime », dira plus tard Rodolfo. La duplicité du schéma, indique donc sans équivoque la duplicité de l'un et de l'autre des protagonistes: le mal ne peut être, ni par l'un ni par l'autre, chassé ni assumé. Il n'y a pas de conscience innocente : l'inceste et le désir comme la volonté de puissance sont ■ à l'intérieur ■ des héros, et leur quête purifiante ne peut aboutir qu'au suicide; l'engendrement du mal par le bien, du meurtre et de la mort par la conscience pure sont présents, nous le verrons, à tous les niveaux du récit dramatique soit sous forme d'enchaînements métonymiques, soit sous forme de relais métaphoriques. L'idéologie du mélodrame est pulvérisée: le mal social, loin d'être évacué sous la forme de la catastrophe naturelle ou de la conscience mauvaise, éclate dans le paradoxe moral et sa liaison avec l'histoire. Quant à la structure du drame, nous avons déjà vu sa caractéristique essentielle : le mal et le bien contenus en même lieu, le récit est acculé à une structure itérative, très sensible dans Lucrèce Borgia. Si nous prenons la suite des épisodes (des séquences moyenneS) du texte, nous nous apercevons que se succèdent un épisode à conclusion heureuse et un épisode à conclusion malheureuse: le mal et le bien organisent une sorte de match, où chacun domine tour à tour. Les oppositions binaires de la tragédie sont réintroduites dans le drame, sans résolution possible, sinon par la fin du quiproquo; l'instabilité de la structure itérative est à la fois indiquée et masquée par le chevauchement des actes, qui ne recouvrent pas les grandes séquences. On pourrait montrer comment l'instabilité de la structure se répercute à l'intérieur des structures moyennes (scènes dont chacune penche sur la suivantE), de manière à compenser par l'instabilité une structure itérative qui n'est que trop visible. Une pareille structure dramatique conduit à la négation du récit: la répétition s'abolit en non-récit. Or c'est à la même conclusion qu'aboutit, nous le verrons, l'analyse des micro-séquences. Les octants L'objet de la quête d'amour, Gennaro, ne peut pas se déterminer en sujet : à la recherche de son nom, c'est-à-dire à proprement parler de son être, ce qu'il rencontre au bout de son action, c'est-à-dire dans l'instant où il cherche à se constituer en sujet, c'est son propre nom, et c'est ce nom-là qu'il a mutilé: la mutilation Borgia-Orgia est révélation-castration de soi-même: la quête du héros aboutit à la mutilation de soi. La justice immanente du mélo est ici refus de toute justice : le héros innocent se détruit soi-même. S'il ne peut se constituer en sujet, il n'est pas non plus l'objet un de toute bonne dramaturgie (même classiquE) : matériellement émietté, il s'identifie aux cinq autres capitaines qui sont des frères d'armes et les victimes de Lucrèce, son sort n'est pas différent du leur. L'ambiguïté de son destin d'objet est inscrite dans cette identification de l'objet et de ses compagnons. La réversibilité de toute l'action de Lucrèce Borgia interdit à la rigueur de parler d'adjuvant et d'opposant: Gubetta adjuvant de la mauvaise Lucrèce refuse d'aider la bonne Lucrèce' ; le duc Alphonse, adjuvant de la vengeance contre l'outrage, est en même temps l'opposant qui veut priver Lucrèce de Gennaro. Les opposants à Lucrèce, ceux qui l'injurient et la démasquent, sont en même temps les amis et les alliés de ce qu'elle aime. La belle clarté actantielle du mélo se trouve ici totalement niée. Inutile de montrer, c'est l'évidence, qu'il n'y a pas de destinateur métaphysique; toute providence est violemment absente du drame : le dénouement primitif le montrait avec encore plus de clarté ; la scène d'amour entre la mère et le fils, tout autant que le « caï-nisme ■ de Gennaro, excluait toute vue rassurante sur la divine providence. Le ciel étant vide, positivité et négativité s'annulent et le mélo devient la tragédie de la déception. La feté. Le titre primitif de la pièce était, on le sait, le Souper à Ferrarê -, toute la pièce est rythmée par deux Jetés, le carnaval masqué à Venise à l'acte I, I, et la fête chez la Negroni, cadre du dénouement; à sa dernière apparition, mortelle, Lucrèce s'écrie: ■ Sur mon âme, vous m'avez donné un bal à Venise, je vous rends un souper à Ferrare. Fête pour fête, Messeigneurs2! » La constellation de la fête s'épanouit ici. Nous avons vu son rôle dans l'ensemble de la dramaturgie hugolien-ne: liée à l'espace A et rarement fête « ouverte -, elle est en général liée au palais clos, lieu A typique, lieu du luxe, de la fermeture et de la mort, à la fois plaisir et piège. Toute une série de sèmes s'unissent pour former cette constellation, le masque ou le déguisement, la musique, le plaisir de la danse ou de la nourriture, le contact amoureux, la liberté plaisante des échanges sans contrainte, la beauté des femmes, leur coquetterie, mais aussi le mystère et la présence obscure du danger; le rire, toujours présent, y est toujours ambivalent. La fête dont il serait bien intéressant de montrer l'importance dans l'ensemble de l'oeuvre hugolienne, lyrisme et roman compris, peut se lire dans plusieurs contextes. Tout d'abord, comme nous l'avons vu, elle est un ensemble structural dont le rôle dramatur-gique est précis, ensuite, elle peut se lire comme le reflet, la reprise d'un élément sociologique de la vie quotidienne au XIX'' siècle : elle renvoie à un réfèrent, celui d'une expérience qui appartient à Hugo et à tout son public: les bals masqués étaient une des distractions les plus intenses de la société française dans les premières années de la monarchie de Juillet. La fête masquée, dont le cadre était en général un théâtre, - pas seulement l'Opéra, mais tous les théâtres - était le lieu privilégié de la « collaboration de classes » ; certes, la révolution de Juillet n'avait pas donné le suffrage universel, mais le peuple pouvait se consoler en allant, sous déguisement, coudoyer les grands et les riches3. À la faveur du masque, tout le monde voyait, touchait tout le monde. Image mystificatrice de l'égalité des hommes: de l'égalité de la Raison bourgeoise universelle ne subsistait plus que cette hypostase dérisoire. La folie des bals masqués avait été pire que jamais au printemps 1832 ; le choléra se mêlait aux masques en une alliance bien proche du climat du dernier acte de Lucrèce Borgia. Certes, il serait absurde de donner une cause occasionnelle à ce qui est une structure stable, non seulement dans la dramaturgie de Hugo, mais aussi dans sa poétique', mais peut-être cette rencontre historique n'a-t-elle pas été sans incidence sur l'écoute de Lucrèce Borgia, ni sans effet sur la sensibilité du public. La liaison de la saturnale et de la mort ne pouvait que frapper des imaginations qui l'avaient vécue2. Enfin, il est inutile de montrer comment cette lecture peut s'articuler sur la précédente - h Jeté peut être lue comme l'introduction du Carnaval dans l'espace aristocratique. Le carnaval populaire s'y transpose; au lieu d'être la fête joyeuse, l'inversion provisoire des contraintes de la vie quotidienne 3, il devient la fête dérisoire ou scandaleuse, opposant les plaisirs des heureux de ce monde à la mort qui les menace: on voit par quel biais la fête carnavalesque se mue: en Jestin de Baltasar, et nous retrouvons notre vieille connaissance, le Commandeur du discours de Saint-Vallier, celui de Noces et Festins. La scène première de l'acte III Tous les éléments de la constellation de la fête se retrouvent dans cette scène-clef, ouvrant la péripétie du premier dénouement où Lucrèce Borgia, par une inversion significative, joue, elle, l'héroïne du Mai, le rôle de l'envoyé de Dieu, le Commandeur. L'acte NI porte le titre à'Ivres-Morts, signant ainsi l'ambiguïté du carnaval mortel, dont nous retrouverons les sèmes épars dans tout le cours de la scène. Mais ce qui nous importe ici, et ce que nous allons essayer de montrer, c'est la structure particulière de la scène et de sa combinaison de microséquences. Ce qui apparaît ici, dès la. lecture - naïve -, c'est 1° l'éparpillement des séquences et des protagonistes, une poétique de la dispersion dramatique; 2° le caractère métaphorique de tous les éléments du langage ou de la régie; 3° la reprise métonymique de l'ensemble des éléments1 du drame. L'analyse que nous allons tenter ici doit beaucoup aux recherches de Roland Barthes2 sur la structuration du récit, sans que nous nous tenions strictement à sa méthode: nous analysons ici un texte non romanesque, mais dramatique*. I. - Le texte de la régie. Il comporte une série de sèmes déterminant la constellation fête: à) objets signifiants : la table {superbement serviE) - à quoi s'ajoutent tous les éléments sémiques du luxe: salles magnifiques, palais, pages, brocart d'or. B) actions des participants : manger, boire, rire, flirt (avec leurs voisineS) (les actions du festin carnavalesquE). C) les femmes, jeunes, jolies, parées (connotation du plaisir amoureuX). Il indique d'autre part les participants à la fête: les femmes (non nommées, inconnueS) + Gubetta (adjuvant de LucrècE), - les cinq seigneurs indiqués par leurs noms + Gennaro (groupe des opposants à LucrècE): l'opposition entre les deux groupes est indiquée par la succession des indications de personnages. Une autre opposition est indiquée, qui ne coïncide pas avec un sous-groupe, mais manifeste un autre clivage : Tous/Gennaro (= dans le carnaval/hors du carnavaL) (sèmes: manger, boire, rire/'être pensif et silencieuX). Donc le texte de la régie, extrêmement riche, indique, non seulement le décor et le moment, mais une situation (fêtE) festin d'amour et des rapports, au moins connotés*. II- Les séquences. La division des séquences a ici l'avantage de n'être nullement arbitraire : il y a changement de partenaires de séquence à séquence, c'est-à-dire que la division peut se faire non sur le plan sémantique, mais en fonction des signifiants-personnages. 1 séquence. Elle a pour personnages les cinq seigneurs, dont la nature d'ac-tant collectif est ainsi soulignée, chacun parlant à son tour, à l'exception de Maffio, dont l'importance est indiquée par le fait qu'il a deux répliques, dont la plus longue de la séquence. La séquence est close par la réponse de Gubetta (opposition Seigneurs/GubettA). Séquence: noyau (fête, buvonS) (noyau de toute la séquence moyennE) fonction conative (malgré l'apparence expressive : excla-matiF) mais la didascalie connote l'acte de boire (son verre à la maiN): . Vive le vin de Xérès! -. - Opposition-liaison boire/conter (l'opposition renvoie à une séquence passé). La micro-séquence : récit dejeppo, est une séquence indicielle A) métonymique, renvoyant au passé (indice-réciT) opposition passé/présent Venise/Ferrare lugubre/gai opposition immédiatement inversée; signe probable de l'inversion de toutes les oppositions, d'où il suit ; passé = présent, Venise = Fer-rare, gai = lugubrE); B) métaphorique, le récit du mariage de don Siliceo étant métaphorique de toute une histoire de conjonction ■ ruineuse ■ ' Le texte régie marque la coupure entre la séquence 1 et la séquence 2. Il indique une opposition de lieu table/devant du théâtre, une opposition d'action : manger/causer (reprenant l'opposition de la séquence lente boire/conteR). Le sujet de l'action de manger est Gubetta (opposition avec l'indication de régie précédente : un verre à la main, d'où opposition Gubetta-manger/les autres-boire; cette dernière opposition contient un indice-récit, développé plus loiN) Le mot orgie est le rappel direct de la séquence de mutilation; le choix paradigmatique marque le caractère textuel des indications de régie; le verbe continue connote le statisme de toute la séquence moyenne. Séquence 2. Flirt entre la Negroni et Maffio Sujet: la Negroni, destinataire: Maffio, objet: Gennaro. Le caractère d'objet de Gennaro est indiqué au niveau de la régie par le geste de la Negroni dans sa direction. Indices: tristesse de Gennaro; superstition (prédiction du bohémieN). Rappel métonymique du passé: la prédiction de mort (I, 1). Indice-récit : la mort prochaine - Constellation carnavalesque : opposition mort/rire (en même temps, indice-récit: annonce de la mort carnavalesquE); opposition soir/matin (passage du carnaval à sa fiN); opposition baiser/fuite. Métaphore: le triangle la Negroni-Maffio-Gennaro, répété à la dernière scène par le triangle Lucrèce-Gennaro-Maffio: l'opposition amour/amitié = indice-récit du choix final de l'amitié (impossibilité du passage de la relation ■ homosexuelle . à la relation hétérosexuelle - opposition singulier/bellE). Enchaînement: la Negroni. Séquence 3 Triangle Gubetta-Jeppo-Maffio - Interrogation de Gubetta et Jeppo: destinataire: Maffio (même position que dans la séquence précédentE). Objet du discours: la Negroni. Indices: le mensonge de la parole (déjà dans la séquence précédente : Voire bohémien ne savait ce qu'il disaiT), ici opposition oui/non (inversiblE); vérité de la parole: diable/Borgia. Rappel métonymique; . Le palais Negroni touche au palais Borgia »; . Une orgie parfaite. - Constellation carnavalesque: désir (égratigner le couR), souper (3 foiS) (opposition souper/peur = grotesque + terreuR) - opposition mort/rire (veuve/gaîté). Fonction conative finale de la séquence Borgia/buvons: rappel du noyau: Buvons! Dérision de la parole : j'étais fou. Richesse et complexité du rappel métonymique, repris sur le plan phonique par des rapports complexes : Orgie - Borgia (diablE) - Belverana, buvons - peur, souper, princesse, pourquoi, parce que, palais. Tout un ensemble à la fois sémique et phonique de l'angoisse s'établit dans cette séquence. Séquence 4. Suite de la précédente (avec le même trianglE), elle s'en distingue par la nature du dialogue ; c'est un aparté : objet du discours : Gubetta. L'intervention de Gubetta parle aussi de lui. Reprise de la métonymie Borgia - Belverana - diable. Indices : vin/eau (vin = poisoN) - parole de l'erreur: j'étais fou repris pas je suis fou - parole du mensonge: vitre quatre-vingt-dix ans (antiphrasE) - le nom (fantaisie Gil-Basilio = Gil Blas - groupes phoniques fr/fl = signature de Hugo - Belverana = signature biographique de Hugo + présence d'Eugène1)- La qualité d'espagnol- parole dérisoire: quelle litanie. Constellation carnavalesque : souper, vin/eau, excès grotesque (de nomS) - le masque (du noM) - le mariage - rire. (Constellation grotesque, restreinte, submergée par l'angoisse et le mensongE). Séquence 5. Séquence non plus indicielle, mais catalytique3 : le départ des femmes. Elle s'ouvre sur une articulation en aparté. Rappel du noyau buvons: Goûtez de ce vin. Laissez-nous boire. Sujet : Gubetta ; destinataire - Olofemo. Objet: provocation. Opposition vin/poésie. Repris de l'opposition latente depuis le début de la scène entre boire et conter (parler, fabuler, écrire des verS). Toute la séquence parle la poésie inutile, chassée par le vin et le couteau. Oppositions chanter/embrasser, manger. Ailes, oiseau/faisan, oison.) Dans le lexique de cette séquence, la constellation carnaval/mort est prédominante : goûtez-vin (répété 4) - ivre - festin - repas -embrasse une belle femme- manger- enivrer- soûler-faisan- vin répété) - volailles - faisan. Et en regard: mordre - jeter des pierres-insulter (répété) - clouer les oreilles - couper en quatre - découper-couteau. Une particularité curieuse: le nom d'Oloferno Vitellozzo: certes, il est rappel métonymique de la scène de démasquage de Lucrèce (où les seigneurs disent leurs nomS); mais aussi rappel d'un élément du code culturel : Holopherne et par là ouvre au-delà de la comparaison grotesque Oloferano-Oison (homme-volaillE) sur une symbolique menaçante: Holopherne, c'est l'homme qu'une femme a proprement découpé (après un banquet et une séance d'amouR) : toute la suite métonymique-métaphorique : ailes (je voudrais avoir deux aileS) - clouer tes oreilles - couper en quatre -éventrer- découper d'aussi grosses volailles, conduit Oloferno à la décapitation à laquelle il est promis par son nom et dont il veut se faire le sujet (c'est lui qui parle de coupeR). Le couteau d'Olferno peut être lu comme l'annonce du couteau de Gennaro dans le flanc de Lucrèce, c'est-à-dire comme indice. Notons dans cette séquence l'apparition de la dérision du sacré par l'introduction du pape et de la bénédiction dans la série para-digmatique de l'insulte: Oloferno/chiens/pape/passants/- dire le sonnet/mordre/bénir/jeter des pierres. Séquence 6. Le rapport métonymique avec la précédente est immédiatement visible : couteau-épée. Toute la séquence 6, marquée par le silence d'Oloferno, hors de combat, et la parole subite de Gennaro (échange Oloferno/GennarO), est articulée en micro-séquences (informanteS) : A) disparition des épées; B) fermeture des portes; C) Gubetta jette son vin par-dessus son épaule et il est vu. Ces micro-séquences (à la fois informantes et indicielleS) sont articulées par deux reprises du noyau buvons ( Verse moi à boire, Majjîo, et le Buvons, messeigneurs de GubettA). AscanioApostolo apparaissent ici comme relais du monde extérieur (cf. répliques de la première séquencE). La séquence se centre autour des deux micro-dialogues Gennaro-Maffîo ; Gennaro intervient pour approuver Gubetta : le sens (appro-batif ou ironiquE) est indécidable, comme le silence de Gennaro à la question de Maffio: - Est-ce que tu songes à Lucrèce Borgia? Gennaro! tu as décidément quelque amourette avec elle! Ne dis pas non2. ■ Le rôle de Gennaro est de formuler le noyau Buvons! après avoir parlé l'ambiguïté des signes dramaturgiques de toute la scène: . Bonne précaution en effet. - Autrement dit, c'est la parole du héros (sujet-objet de l'actioN) qui reprend à son compte, en l'acceptant, la situation-piège. Notons à ce propos que le noyau Buvons! ne revêt qu'ici son ambivalence mortelle (vin-poisoN) : la présence des femmes était garante de l'innocuité du banquet. Or c'est à l'instant de la disparition des femmes que Gennaro parle et il parle l'action dont la signification est devenue mortelle. En bref, quand le héros ouvre enfin la bouche, c'est pour parler sa mort, la fonction conative signe ici la volonté de mort de Gennaro, volonté connotée également par la formulation ■ Je n'abandonne pas plus mes amis à table qu'au feu ■, où l'association paradigmatique de la table et du feu marque la mort1, de même que le verbe abandonner (connotation de dangeR), et l'extraordinaire négation signant la passivité du héros. Le second microdialogue n'est guère moins chargé de sens: le souhait de Maffio peut être entendu comme inversé (santé/morT), et quant au vou (retrouver la mèrE), son ambiguïté colore la fonction conative d'ironie tragique: il se lit à la fois comme retour en arrière (reprise directe d'un élément passé du réciT), comme élément d'une projection du récit sur le futur, comme élément renvoyant au code herméneutique (mystère de la naissance de GennarO), comme renvoyant au réfèrent psychologique du désir de la mère chez le héros. La réponse de Gennaro fait intervenir Dieu comme sujet transcendental d'un accomplissement. L'ironie de la situation obscurément perçue par le spectateur (connotations : dangeR) nie le rôle du sujet transcendental ou plutôt l'inverse: Dieu entend et accepte, mais renverse le vou en mal et en mort. Notons qu'ici une micro-séquence s'insère dans le noyau buvons!: c'est un page noir qui sert à boire, répétant la séquence où Lucrèce Borgia sert à boire à Gennaro le vin empoisonné ; la similitude des situations est soulignée par la présence des deux flacons ; la didas-calie est très explicite, il y a deux flacons, le page est noir (la répétition de la couleur dans le texte de régie est redondantE), enfin tous les verres sont remplis. La micro-séquence du page est inutile, si ce n'est pour projeter sur l'axe scénique le paradigme de Lucrèce empoisonneuse. Les deux flacons et le vin de Syracuse sont la métonymie de l'empoisonnement Borgia, à quoi s'ajoute l'élément métaphorique de la couleur sinistre. Quand aux trois micro-séquences danger (armes disparues, portes fermées, vin non bu par GubettA), elles sont parlées en choeur alterné par les cinq seigneurs (ou ce qu'il en reste, Oloferno étant - out ■), l'un indiquant le signe du danger, l'autre trouvant une explication contredisant la connotation danger-, la première est parlée par Ascanio-Apostolo, la seconde et la troisième par Jeppo-Maffio, dont le rôle se renverse d'une séquence à l'autre, l'un inquiet quand l'autre est assurant. Le sème peur est présent dans la deuxième micro-séquence, inversé par le sème ivresse dans la troisième. Les sèmes constitutifs du noyau (boire-ivressE) sont présents dans les trois microséquences qu'ils colorent d'incertitude, incertitude dénotée à la dernière réplique de la séquence: c'est possible. Séquence 7. Cette séquence longue marque l'association (simultanéE) du carnaval et de la mort; elle marque aussi la transformation de la scène en opéra, par l'introduction de la musique (vocalE). Donc dans la régie, la musique se joint au matériel visuel. Et non seulement elle est présente au niveau des didascalies, mais elle informe la structure contrapuntique de toute la séquence. Cette séquence d'une forte unité, contrairement à l'atomisation de la séquence précédente, a Gubetta pour sujet. Le grotesque terrible devient le sujet locuteur, mais passe de la parole à la chanson, soulignant l'élément grotesque, en même temps que la chanson lui épargne de jouer son rôle dans l'action: le chant le dégage de la situation, en fait un pur spectateur; remarquons qu'il ne commente aucun des événements qui brisent la clôture du banquet. Il s'assimile sur ce point aux Fous de Cromwell, qui s'affirment par la chanson simples spectateurs1 de l'action dramatique. La chanson est annoncée par un discours de Gubetta, discours où, il s'affirme non-poète et non-auteur (de la chansoN) : . Ce n'est pas moi qui ait fait cette chanson. ■ Négation qui dégage sa responsabilité. D'autant que la fonction du discours des seigneurs, fonction conative, est de réclamer la chanson (ou sa suitE), en s'adressant à Gubetta destinataire ; jusqu'au moment où ils récupèrent (par la première personne du pluriel : continuonS) et revendiquent la chanson pour eux-mêmes1. Or si l'on remarque la fonction de la chanson (fonction conativE), elle est de réclamer de Saint-Pierre l'entrée du paradis (c'est-à-dire la morT). Tout se passe donc comme si les seigneurs réclamaient leur propre mort. Ainsi le deuxième noyau de la scène : chantez rejoint le premier noyau : Buvons.'Or le Buvons.'des seigneurs est aussi ambivalent: ce qu'ils réclament de boire, c'est leur mort. Le discours d'annonce de Gubetta se caractérise par la constitution d'un système phonique axé sur les consonnes b et p {pR) ; probablement l'insistance répétitive du b renvoie-t-elle à la décapitation Borgia : le b (toujours à l'initialE) marque le retour des Borgia, la présence Borgia2. Quant au p, surtout présent en liaison avec r subséquent {père, Pierre, portier, paradis, pouR), il renvoie sans doute à ce père mort {crânE) évoqué sans la moindre raison par Gubetta. Est-il aventureux de voir dans cette présence-absence du Père, reprise par le Gloria Domino du refrain de la chanson, le signe du silence de Dieu, de la mort de Dieu, marquée par l'invocation dérisoire au père mort. Toute la séquence s'établit dans le carnaval de mort : elle reprend tous les thèmes essentiels du banquet carnavalesque: l'exaltation de la boisson et de la nourriture, la dérision religieuse qui fait du banquet carnavalesque une sorte de Cène inverse où la parodie joue un rôle capital ', l'importance de la cérémonie sur le seuil (de là le rôle joué par le mot porte S). En même temps se fixe une double forme de dialogue: 1° le dialogue entre la chanson à boire et le plain-chant des moines, dialogue qu'il ne faudrait pas supposer fondé sur le pur contraste musical {joyeux- lugubrE), qui anime la régie et le texte, mais aussi sur une similitude, suggérée par la présence du latin dans les deux chants, et dans la puissance égale (.une voix pleine et forte - une voix éclatante ') ; 2° le dialogue interne entre l'imagination grotesque du paradis au buveur, et les connotations sinistres de l'entrée dans la mort. Le dia-logisme s'établit au niveau primitif du double sens, le grotesque parlant à la fois sa double fonction de rire et de mort. La chanson parle tous ces thèmes, par son vocabulaire (porte, entre; buveur, ventre, tonneau; DominO), surtout par l'insistance des reprises; non seulement le refrain, mais les répétitions (buveur, chanter/chantre; porte, repris à la rime par apporte, avec la répétition phonique qui porte au deuxième coupleT) ; la plupart de ces reprises se font de couplet à couplet, comme si chaque couplet représentait un système répété; enfin la rime triplée signe l'insistance répétitive. L'imagination grotesque se marque par l'invention de la demande à Saint-Pierre (imagination soulignée par le méta-langage de la dernière phrase d'annoncE) - par la métaphore homme-tonneau et plus encore par la métaphore filée du dernier couplet - enfin par le fantastique du personnage de Saint-Pierre et de la transformation grotesque finale (en poissonS). Le dialogue entre la chanson et le chants des moines s'établit très simplement : 1° les moines parlent la même langue (latinE) que Gubetta2; 2° ils répondent directement à l'invocation du nom de Dieu (DominO), par la formule d'avertissement: sanctum et terribile nomen ejus-, autrement dit, les moines parlent une réponse de Dieu ; mais en même temps, leur rapport à Gubetta se fait non seulement par la similitude du langage, mais par la constatation troublante que Gubetta ne paraît pas s'étonner de leur présence, comme s'ils faisaient partie de l'ensemble musical dont il a donné le signal. Hugo biffe une réplique où Gubetta se moquait des moines; il ne peut se moquer de ce qui fait partie du même ensemble dramaturgique que lui, de ce qui a la même fonction que lui, c'est-à-dire d'être l'adjuvant-Borgia. La formule qui suit (Nisi... ') nie expressément la présence de Dieu dans le palais Negroni, la présence de Dieu dans cette fable satanique. Les répons qui suivent dénotent la mort, ou plus exactement le passage de la sensation à la non-sensation, la fin du banquet. Le dialogue entre les moines et la chanson est relayé par une didascalie, les rires de tous les assistants, autrement dit le grotesque est représenté au niveau de la parole, par Gubetta, au niveau du rire, par les seigneurs. Une micro-séquence catalytique coupe le dialogue : le fantastique s'établit par un changement. C'est-à-dire que le thème du changement, présent au niveau syntaxique par le passage du présent au futur (oculos habent et non videbunI), s'établit au niveau de la régie par l'affaiblissement des lampes, inexplicable2, et corollaire de l'augmentation de volume des voix et des rires; ces deux indices de changement figurent, comme il est de règle dans la dramaturgie hugolienne, à la fois dans les didascalies et dans le dialogue. Le changement est repris parodiquement dans le dernier couplet de la chanson : change nous en poissons /Le changement mortel est parodié en changement grotesque5. Dans la dernière partie de la séquence (après la micro-séquence catalytiquE), la dérision s'installe dans les paroles des seigneurs, par le noyau buvons, qui déplie ici ses deux composantes, et la liaison boire/mort apparaît au niveau dénotatif: ■ Buvons à la santé de celui qu'on va enterrer. » La dérision s'accompagne d'une reprise accentuée du groupe phonique p-r, groupe dont la présence a été permanente tout au long de la séquence : procession, prières, plusieurs, Pierre, parlez, paradis. Dans toute la séquence, un fait capital : l'abolition du sujet je qui n'est jamais employé; le tu est présent deux fois par l'impératif, nous se retrouve à plusieurs reprises. Le Je individuel des seigneurs s'abolit dans le sort commun du groupe et Gubetta ne parle pas son propre moi, gommé par sa fonction d'instrument fatal des Borgia ; quant à la chanson, sa caractéristique est de transformer le Je en buveur impersonnel; la première personne ne se retrouvant qu'au dernier vers, fondue dans le nous du groupe soumis au changement fatal. Séquence 7 (version pour la scènE). Hugo nous indique lui-même, et dès la première édition de Lucrèce ; que cette séquence 7 n'est pas écrite pour la scène. Nous nous étonnerons moins de son caractère particulièrement ■ poétique -, et surtout de la violence destructrice qu'y revêt la dérision grotesque. Nous savons que Hugo avait censuré son texte après la première représentation du Roi s'amuse. Cette fois (sans doute à l'instigation d'HareL) Hugo se censure tout seul3. Les modifications du texte sont extraordinairement intéressantes"1, parce qu'elles nous confirment dans la certitude que le divorce de Hugo et de l'opinion se fait au niveau du grotesque; nous y voyons Hugo défaire sa poétique : 1° Si Gubetta réclame la chanson à boire, c'est aux autres qu'il la demande, et c'est Maffio qui la chante (changeant du même coup le registre vocal et le rapport aux cantiques des moineS), et gommant la similitude des fonctions et le renversement du grotesque en mort. Il se fait un divorce entre le grotesque et la chanson, de même qu'entre le grotesque et sa fonction d'annonciateur de la mort. Du même coup se trouve effacée, au moins pour cette séquence, l'opposition de Gubetta et des seigneurs (du vous et du nouS) ; la chanson est la chanson des seigneurs. Le rôle de Gubetta s'efface. 2° La chanson que Hugo substitue à la chanson de Saint-Pierre est d'une remarquable pauvreté : elle reprend le lieu commun de la poésie bachique, par son destinataire (amiS), par sa structure énu-mérative, par l'association à un niveau tout à fait décent de l'amour et du bon vin (le vin est dans les verres, et non dans les ventres, l'amour est dans les yeuX). La chanson n'est chanson que par le refrain qui est une strophe raccourcie, simple conseil d'aimer et de boire (fonction conative obligée de toute chanson à boire, la précédente n'était pas une chanson à boirE) mais, si l'on peut dire, à avoir bu, conseil qui s'accompagne d'un refus de la parole, au niveau dénotatïf. La mort n'est présente (uniquement dans le refraiN) qu'à ce seul niveau dénotatif ; et l'opposition de la vie brève et des plaisirs présents est le renouvellement d'un lieu culturel, d'un carpe diem horatien. L'opposition de la joie de vivre et de la mort y est bien présente, mais réduite, simplement dénotée, et aussi non simultanée, ce qui lui ôte son caractère typiquement grotesque, pxxisqu' il n'y a pas présence dialectique de la mort et de la vie en un même temps et en un même lieu. Le texte s'en tient à un ton purement lyrique, d'un lyrisme codé, semé de stéréotypes: la folle nuit, la nappe rougie, les dames peu sévères, et, pire encore, le stéréotype de la douce Italie {doux ciel, joie et foliE), lyrisme qui autorise la réapparition non seulement du nous, mais du je, et l'affirmation subjectiviste du plaisir. 3° Le corollaire en est la disparition, non seulement des rires, en presque totalité, mais surtout de leur crescendo. Il n'y a plus d'indication d'un changement, du passage d'un état à un autre. De même l'aspect fantastique est affaibli par la suppression de la didas-calie des lampes. Le thème de la porte disparaît du texte. 4° Tout rapport de texte entre la chanson et les citations bibliques se trouve aboli, en particulier la récupération du nom de Dieu dans le chant des moines. Toute parodie religieuse est absente, si ce n'est la présence même des moines, et le rapprochement dans le temps de la chanson à boire et de l'hymne funèbre1. 5° Le niveau phonique est singulièrement appauvri: le système p-r a disparu de la tirade d'annonce de Gubetta comme de la chanson2 : ce qui subsiste dans le dialogue devient donc non signifiant. S'il est besoin encore de démontrer que la signification (même idéologiquE) d'un texte s'inscrit à tous les niveaux de l'écriture, les corrections que Hugo a faites ici, pour être entendu en administreraient la preuve : la carnavalisation se trouve réduite par des corrections qui touchent à tous les détails du texte; corrections toutes convergentes. C'est la carnavalisation grotesque qui risque de mettre l'audition en péril, en s'inscrivant à tous les niveaux de l'écriture, y compris au niveau phonique. Hugo se livre, par nécessité d'auteur dramatique bourgeois, à une destruction de la fonction poétique du texte, et du même coup de sa cohérence idéologique. Ne pouvons-nous dire qu'un tel exemple, exceptionnel à divers égards, nous permet $ entrevoir en quel lieu on risque de rencontrer ce qu'on est convenu d'appeler la valeur esthétique d'un texte? Séquence 8. Si cette séquence finale catalytique est étroitement liée à la précédente par la présence des moines (présence visuelle et non plus simplement auditivE), il y a une coupure profonde liée non seulement au coup de théâtre de la régie, mais à la disparition de la parole de Gubetta1. Le premier texte est un texte didascalique, très remarquable par sa richesse et les curieux détails dont la fonction ne saurait être que poétique, puisqu'ils ne peuvent correspondre à aucune mise en scène concrète : la porte s'ouvre silencieusement, on ne voit que les yeux des pénitents. Le début est Y ouverture de la porte-, le carnaval s'abolit dans sa fonction de jeu sur le seuil; le système phonique p/r se retrouve dans son rapport avec la porte. Cette ouverture libère le monde inverse: l'espace identique à celui du festin carnavalesque, mais de sens opposé : c'est salle pour salle, aux parures de l'une correspond la tenture noire de l'autre; la table de l'une renvoie à la croix d'argent de l'autre, et au masque carnavalesque correspondent les cagoules des moines2. Le sème statue renvoie à la statue du Commandeur, par un rapport métonymique simple. On ne s'étonnera pas de trouver dans ce contexte le flambeau de la mon1. La cagoule signe la dépersonnalisation totale de la puissance vengeresse, en laquelle ne subsiste que l'oil (qui regardait CaïN). La cagoule se retrouve dans le dialogue, et le jeu de scène de Jeppo, soulevant la cagoule d'un moine. L'inversion du masque carnavalesque en cagoule lugubre, du grotesque en mort, est déniée par le geste carnavalesque du démasquage: le Seigneur s'efforce de se maintenir dans le carnaval, dans la fête aristocratique par les gestes du carnaval, le rire et le démasquage, autrement dit d'inverser l'inversion. Pour cette opération, le locuteur jette dans la balance des objets d'échange (signant ainsi le sens de cette inversion d'éléments homologueS): cheval/pourceau2; et pour finir son nom même, c'est-à-dire son être: Liveretto/Borgia, réintroduisant ici le réfèrent Borgia. À ce point du texte, le je ne peut manquer de réapparaître, comme il reparaît dans l'angoisse de la mort individuelle. Or ce que découvre le démasquage, en lieu et place de la féminité sensuelle, c'est, dénotée au niveau de la régie, une tête de mort: . le visage livide d'un moine ». Mort contagieuse, Maffio constate : ■ Mon sang se fige dans mes veines. . La mort est dénotée par les répons latins : le De Profundis, et cette annonce biblique du meurtre (sans sujet, remarquons-le: Dieu ou Lucrèce?) « Conquassabit capita in terra multo-rum. Cette révélation de la mort conduit à l'articulation des deux scènes, c'est-à-dire au noyau nouveau : nous/vous sommes/êtes dans la mort, noyau à fonction référentielle définissant une situation de mort, et identifiant la mort à Lucrèce Borgia par le paradigme (chez le démon/chez moi- Lucrèce Borgia!) qui accompagne l'apparition scénique de Lucrèce : la scène du banquet carnavalesque se termine par l'apparition du Commandeur. Commandeur inverse, puisque d'origine satanique et non divine, et dont la fonction n'est nullement de venger l'offense faite à Dieu, mais l'offense faite à Lucrèce : une ironie macabre signe la transformation du commandeur providentiel en commandeur satanique: il n'est plus une marionnette qui vient enlever Faust ou Don Juan, aux lazzi des spectateurs, il est cette force sombre, qui, par la mort et la destruction, restitue aux amants de l'inceste leur paradis de fumée. Mais la scène du Commandeur se joue deux fois, quand au commandeur noir, Lucrèce, s'oppose soudain le chevalier blanc, son fils, Gennaro-Caïn. Un jeu de miroirs projette à l'infini l'inachèvement carnavalesque. Les deux commandeurs s'annulent à la minute où dans l'universelle destruction s'ouvre le duo d'amour des monstres, effaçant à son tour la damnation: -Je dirai à Dieu [...] que tu es un bon fils1! ■ Comment donc! le meilleur possible, celui qui accepte de devenir Caïn pour rejoindre dans le mal ce qu'il aime. Hugo désespérant d'être entendu, coupe la grande scène d'amour finale, se disant apparemment que, de tout cela, rideau tombé, le spectateur penserait ce qu'il voudrait, ce qu'il pourrait. De l'assomption possible qui voit ■ les monstres s'azurer^ ■ par l'amour, à cette chute brutale (■ Gennaro! je suis ta mère! 0 il y a tout l'intervalle, la faille historique, où Hugo, prenant ses ciseaux, jette aussi son espoir d'être Shakespeare. La dispersion dramaturgique. La scène 1 de l'acte III, que nous venons de commenter est une scène paradoxale dans la mesure où son inutilité dramaturgique est - apparemment - flagrante: du point de vue de l'action, l'acte III pourrait sans difficulté commencer au moment où le festion s'achève et où apparaît Lucrèce Borgia, ange exterminateur. Elle ne fait pas avancer l'action puisque le fait de l'empoisonnement qu'elle contient n'est nullement visible au niveau de l'action et ne saurait l'être: son problème est de rendre visible l'invisible, de receler le clandestin, de dire tout sans rien dire. L'analyse de cette scène met en lumière un certain nombre de particularités dramaturgiques: et la première, la plus visible qui est à tous les niveaux d'analyse l'atomisation de la structure: 1° multiplicité des séquences relativement autonomes, et dont l'articulation est extrêmement visible; présence de micro-séquences à l'intérieur des séquences; 2° pulvérisation des actantS: les actants de même fonction étant divisés : les cinq seigneurs sont de fonction identique dans la scène, ils sont Y objet (qui joue ailleurs le rôle d'opposanT) et Gennaro dont le statut dramaturgique est diffèrent dans le reste de la pièce est ici confondu avec l'objet pulvérisé; le sujet (qui joue ailleurs le rôle d'adjuvanT) est divisé en deux, Gubetta et la Negroni. Autrement dit, le sujet et l'objet sont des sujets et objets de remplacement. La conséquence la plus importante en est la place vide du sujet, parfaitement perceptible dans le discours et surtout dans l'impersonnalité de la chanson de Gubetta. Le destinateur en revanche est parfaitement visible, c'est à la fois Dieu (la providence bafouéE) et c'est Lucrèce Borgia, strictement confondus-. 3° La succession des séquences se fait de telle façons que le sujet de chacune ' est différent de celui des autres: il s'établit entre tous les personnages une sorte de contrepoint, où chacun des personnages parle tous les autres : devant tous les autres, y compris lui-même et sa propre action; la parole est ici commentaire du spectacle et de la fête. On se retrouve donc dans une variété du théâtre dans le théâtre qui est la fête ou plus exactement la cérémonie. Le destinataire est double, non seulement le public, mais les autres participants. Le théâtre s'achève en cérémonie. La Fête et l'espace-temps carnavalesque. Toute la grande séquence qui constitue la scène est le lieu d'un renversement carnavalesque : le carnaval s'établit et se détruit ; dans une double inversion, l'univers traditionnel est mimé par les structures carnavalesques, et celles-ci portent en elles-mêmes leur propre destruction. D Tous les éléments du banquet carnavalesque sont présents dans cette scène: A) le corps (le manger, le boirE); B) le bouffon et le rire, avec leur valeur ambivalente, le bouffon étant celui qui parle la dérision, mais ici la dérision ouvre sur la mort, et le rire n'est pas destiné à la participation par les spectateurs; le rire est un rire de la régie, un rire vu et non vécu. Le rôle du bouffon est de chanter la dérision, comme les fous de Cromwell; C) le masque, qui avant d'adopter dans la dernière séquence la forme de la cagoule, masque de l'horreur, revêt l'apparence du camouflage du nom: Gubetta (dont le vrai nom possède l'initiale du gueux-grotesquE) apparaît ici sous le masque d'un nom espagnol, extrêmement compliqué, et aristocratique: par le camouflage, le bouffon se fait l'égal des grands seigneurs qu'il mystifie. Le masque est aussi celui du nom Borgia figurant non l'absence, mais la négation. Le masque n'est pas seulement le masque de dérision ; il est la cagoule de la tête de mort1 et se trouve en prise directe sur une mise en question du sujet. Le masque qui moque l'identité, finit par nier l'être ; D) la folie et sa variété mineure, l'ivresse-, le moi est mis en question dans sa conscience par l'inversion de la logique et de la pensée: à la folie est lié l'aveuglement des participants, ainsi la folie grotesque, cessant d'être un instrument critique, devient un des véhicules de la mort; é) la parole religieuse inversée, et le banquet présenté comme retournement parodique de la Cène, mime annonciateur du Commandeur noir. 2) Ces éléments carnavalesques ne sont pas présentés comme isolés, ils figurent dans le cadre spatio-temporel du Carnaval ; A) le temps carnavalesque ; toute cette scène est mise en abyme de l'ensemble de l'action, reprise négatrice du temps écoulé ; toutes sortes d'indications marginales, comme celle du mariage disproportionné indiquent un jeu avec le temps ; enfin la mort connotée marque une fin du temps, une mise de la fête hors du temps, dans ce qui est déjà de la mort : de là dans les répons latins le jeu avec les futurs et les négations; l'avenir est nié comme le passé; en ce sens, le temps carnavalesque est incomplet : le changement qui est en lui, loin de s'ouvrir sur une renaissance, s'abolit définitivement en non-temps; B) l'espace: le lieu est celui de la salle de banquet, où s'abolissent les contraintes, où le désir, l'appétit, l'agressivité se donnent libre cours '; mais il est aussi lieu double, prolongé par ce qui est son envers (son échO), la salle funéraire ou reposent les |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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