Victor Hugo |
Dans les derniers jours de l'année 1831, ou les tout premiers de 1832, Hugo conçoit un projet dramatique qui lui paraît assez sérieux pour qu'il en écrive le canevas, et un canevas relativement détaillé, - pour qu'il en rédige même la première scène. Or en principe il ne commence la rédaction d'un texte théâtral qu'au moment où tout est achevé avec lui, où toute la pièce est construite dans sa tête ; de là, l'étonnante rapidité dans la rédaction des drames. Certes, il n'est pas sans exemple {le Roi s'amuse, et surtout Marie Tudor et Ruy BioS) que Hugo rencontre de telles difficultés dans la rédaction du premier acte qu'il soit contraint à des aménagements importants, ou même à une réécriture totale des premières scènes. Mais ici, les obstacles sont si graves qu'ils conduisent à l'arrêt total. Nous sommes donc en présence de deux textes : l'un qui se présente sous la forme d'une canevas1, l'autre qui est une scène rédigée2. Cette scène est datée du 17 janvier 1832 ; dans notre introduction à l'édition de ces fragments3, nous avons conclu à l'antériorité du canevas, qui, lui, n'est pas daté, mais est écrit sur le même papier ; antériorité probable, mais non absolument certaine. la rencontre entre l'armée napoléonienne et la résistance nationale Si Hugo suit la mode, c'est pour en prendre le contrefil. Ce texte renvoie non pas seulement à l'histoire contemporaine mais à la biographie la plus intime de Hugo. Cette Espagne de guérilla, il l'a traversée enfant ; ces châteaux de nobles espagnols, où l'on recevait l'occupant français avec des sentiments mitigés, l'enfant Hugo y a dormi avec sa mère. Dans le récit du Victor Hugo raconté passe le frisson de la mort violente qui peut traverser la nuit. Ces guérilleros, le général Hugo les a combattus, lui qui traquait et mettait à mort l'Empecinado. Il y avait derrière ce projet toute l'épaisseur des souvenirs des deux voyages à travers l'Espagne. Il y avait aussi le Collège des Nobles, et le conflit des deux petits Français étrangers et plébéiens avec les jeunes aristocrates espagnols. Conflit amer, ambigu, avec son mélange non-manichéen de bien et de mal. Jamais projet hugolien n'a été plus directement chargé d'éléments autobiographiques. Le poète capitule devant une tâche pour laquelle manque la distance. Le lyrisme peut coller au moi, non le théâtre. Ce texte eût été en prose. Si le canevas ne l'impose pas à la rigueur, la scène rédigée ne laisse pas de doute. Tout le projet s'inscrit dans la ligne du drame moderne et libéral dont le Théâtre de Clara Gazul a donné le meilleur modèle (1825). Les Espagnols en Danemark par exemple offraient à Hugo l'image d'un épisode où l'histoire napoléonienne est traitée avec l'inversion de l'humour. Hugo, par ce projet, rejoignait la voie royale du drame ou mélodrame libéral en prose et des Scènes Historiques ; il se conformait ainsi aux thèses du Globe, de Stendhal, de Ludovic Vitet. À quelle scène Hugo destinait-il cette ouvre ? Nous l'ignorons. L'examen des emplois ne nous éclaire guère. Pour un drame en prose, et contemporain, la Porte Saint-Martin offrait sans doute plus de ressources : Mlle Georges pouvait être la Duchesse, Bocage et Frederick Lemaître se partageant les rôles jumeaux opposés du guérillero Tafalta et du colonel français. Mais pourquoi pas un retour de Hugo à la Comédie Française ? la gracieuse et aristocrate Mars pouvait être Juana comme elle avait été Dona Sol. Quant au héros Tafalta, n'eut-il pas fourni à Bocage sombre et beau l'occasion d'entrer au Théâtre Français ? C'eût été un coup de maître que d'investir la Comédie par un drame moderne en prose, un drame d'action avec enlèvement et incendie. La conquête de la scène de l'élite avec un texte . populaire ■ et libéral avait de quoi plaire à Hugo. La l'or Quemada. Ce texte est la reprise du schéma de la Mariposa II -. le conflit des deux hommes, le soldat et le bandit pour la possession de la même femme, la mort commune et volontaire de tous les personnages dans le piège tendu par l'un d'eux1, autant d'éléments communs. On peut lire aussi comme dans la Mariposa, le schéma quelque peu voilé du serviteur qui se retourne contre son maître2. La fable est la suivante : une jeune espagnole, Juana, est tombée amoureuse d'un Français en occupation (le ColoneL) (acte I). À l'acte II, le Colonel et Juana ont été faits prisonniers par le guérillero Tafalta qui veut épouser Juana mais s'aperçoit qu'elle est sa sour. Les Français cernent le repaire et délivrent les prisonniers. L'acte III voit le Colonel accueilli chez la Duchesse, tante de Juana. Toutes sortes de dangers paraissent environner le Colonel et son ordonnance Mathieu la Pipe ; Juana les avertit : » Ne buvez pas, ne mangez pas, ne donnez pas. ■ Le quatrième acte devait marquer l'essai d'enlèvement de Juana par le Colonel aidé de Tafalta qui compte ainsi lui tendre un piège. L'acte V intitulé L'incendie et l'échelle, conduit à la mort des protagonistes. Cette mort finale par le feu est la trace, on le sait, d'une obsession permanente de Hugo, celle de la tour brûlée(Torquemada}) dont la dernière apparition sera la Tourgue et Quatre-vingt-treize. On reconnaît au passage l'inceste, ici entre frère et sour, tel qu'il figure dans un fragment dramatique sans doute à peine antérieur'. Ce schéma triangulaire bandit-femme-personnage haut placé ou titré, c'est celui, non seulement de la Mariposa 11, mais d'Hernani, et même de Marion de Lorme (Didier-Marion-SavernY) ; ici, il est l'objet d'une inversion ; dans Hernani ou Marion, c'est l'homme de rien qui est aimé, ici, c'est le Colonel. Or il y a brouillage en ce qui concerne l'état civil des deux personnages antagonistes : le Colonel qui a obtenu le grade de colonel grâce à l'armée napoléonienne et peut devenir, s'il ne l'est déjà, comte ou baron du fait de l'Empereur, ■ le baron Jean Rolandet1 -, est en même temps l'enfant de très petites gens, le fils d'un « quincaillier, rue aux Ours, à Paris -. En revanche Tafalta, s'il est le frère de Juana, elle-même, nièce de la Duchesse, est donc comme Hernani, un personnage titré, caché sous le nom et la défroque d'un bandit2. On voit ici l'extrême complication, et la contradiction interne des implications idéologiques. D'un côté le plébéien, homme des lumières (■ de ces Français qui ont lu Voltaire ■), soldat de Napoléon, courageux sauveur de la petite Juana, - le vrai héros libéral pour image d'Épinal ; de l'autre, le héros de la résistance, le guérillero sauvage et passionné, défenseur de la liberté nationale, celui dont le courage mortel et désespéré emporte le dénouement. II n'est pas interdit de penser que Hugo, ce faisant, a voulu, comme dans Cromtvell, donner un dramatique exemple des apories de l'histoire, telles que les vivait un libéral de 1832 : - 1830 (étaiT) accouché d'un nain3. . Enfin l'opposition passé-présent dont on verra le rôle dans l'ensemble de la dramaturgie de Hugo n'est pas absente de ce petit texte : le Colonel ■ met au feu du bois d'un vieux cadre d'aïeux -. Quant à la scène rédigée (I, 1 "), c'est une très aimable et plaisante scène de comédie amoureuse, dont le modèle paraît être les scènes de Juliette et de la nourrice' dans le Roméo et Juliette de Shakespeare. Scène d'exposition très bien faite, elle annonce une comédie-drame, et son comique léger est voisin de celui des scènes amoureuses de Shakespeare ou du Barbier de Beaumarchais. La lecture de cette scène charmante fait regretter que Hugo n'ait pas écrit la suite. Adieu à Napoléon .- l'histoire irréconciliable. Ce qui commençait comme une comédie devait se poursuivre comme un drame d'action et même un violent ■ mélodrame « avec intervention d'une catastrophe matérielle : l'incendie. On aperçoit, en particulier dans le canevas, comment Hugo fabriquait son drame à oartir d'un certain nombre de scènes brutales : conflits ouverts, découvertes-choc (■ Ma sour ! ■ ou le Colonel - fils d'un quincaillier ■), violences physiques (enlèvements, incendieS), . mots ■ décisifs (■ mourir avec vous ■). D'énormes difficultés d'adaptation technique subsistent dans le schéma : par quelle trouvaille Hugo ferait-il de ce Tafalta un héros à la fois populaire et frère de l'aristocratique Juana ? comment se tirer des rapports entre Tafalta et la Duchesse ? Tout ce passe comme si Hugo butait sur ce qui est une des constantes dans l'établissement de ses personnages, leur ■ double appartenance. ■ comme dirait G. Rosa1, autrement dit, le fait qu'ils sont de vivantes antithèses sociales, qu'ils vivent, dans leur chair, le projet et l'échec d'une société une. Peut-être Hugo a-t-il pensé que l'affrontement de ces deux personnages à - double appartenance -, Tafalta et le Colonel, rendrait la pièce idéologiquement si confuse, que le jeu des valeurs n'y apparaîtrait plus. Et quelles valeurs ? Quelles valeurs défendre en janvier 1832 ? Hugo s'est efforcé ici, et sans succès, de faire un drame contemporain. Mais faire un drame contemporain, c'est de manière quasi nécessaire s'insérer dans le système de valeurs dominant et prendre une option directe idéologico-politique : le mélange inextricable que détermine la double appartenance des deux héros rend cette option impossible. Par son écriture même Hugo la refuse mais il se rend compte qu'elle est pourtant dramaturgiquement nécessaire. Autre formulation de la même aporie ; s'il écrit un drame contemporain, Hugo est bien obligé d'écrire un drame bourgeois ; et ce n'est pas la présence de ces aristocratiques personnages espagnols qui y changera quelque chose ; l'effacement de la bourgeoisie entre personnages nobles et personnages populaires (ce fils d'un quincaillier est-il peuple ? est-il bourgeois ? apparaît nécessairement comme une abstraction, à la limite comme un mensonge. Or Hugo au théâtre ne veut pas parler, ne parlera jamais de la bourgeoisie. De là, le renvoi aux profondeurs de l'histoire. Une des manifestations de ces difficultés chez Hugo, est la présence de personnages qui sortent tout armés du théâtre espagnol, duègnes et serviteurs-. Mathieu la Pipe paraît être un gracioso. Hugo a-t-il jugé trop difficile l'adaptation à un sujet moderne de la dramaturgie du siècle d'or ? S'est-il dit qu'un tel canevas faisait au grotesque une part, non trop faible, mais peut-être trop circonscrite ? A-t-iJ pensé qu'il ne pouvait traité un sujet qui touchait à sa biographie par des liens trop étroits ? Qui ne voit que toutes ces ■ raisons . n'en font qu'une ? Hugo s'aperçoit qu'il ne peut, pour rassembler son public, écrire un seul drame. Il est renvoyé à un double projet. Et nos incertitudes touchant la scène à laquelle il destinait ce nouveau drame sont aussi un corollaire de la même difficulté. Prendre le parti de l'armée napoléonienne contre les aristocrates espagnols réactionnaires, mettre le feu à ce passé, c'est satisfaire l'idéologie libérale, mais c'est aussi sacrifier l'idée de nation et celle de liberté des peuples. Et comment prendre le parti inverse, celui de la lutte des Espagnols, sans paraître attaquer la Grande Armée ? Démontrer ainsi les contradictions de l'idéologie dominante, voilà qui ne satisferait personne. Il faudra attendre Quatre-vingt-treize (et la forme romanesquE) pour que Hugo fasse des contradictions de l'histoire la matière même de son texte. |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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